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Ocean - Taken by the sky. © Scott Denholm Art

L’Europe doit se soucier des nouvelles lois maritimes chinoises

Point de vue | Mer de Chine | La promulgation par la Chine de la Loi maritime — réformée — a été signée par le président Xi Jinping le 22 janvier 202. Avec elle, les garde-côtes chinois peuvent désormais faire l’usage de la force, avec des armes lourdes. Cette loi maritime fait partie des « trois types de guerre » que la Chine promeut. Il s’agit de la guerre juridique, la guerre médiatique et la guerre psychologique.

La nouvelle version de la loi maritime en vigueur depuis le 1er février 2021 a rencontré des réactions négatives de la part des pays voisins des Mers de Chine orientale et méridionale, ainsi que d’autres pays.

Les Philippines qualifient la loi de « menace de guerre », tandis que le porte-parole du département d’État américain, Ned Price, affirme que « la loi maritime chinoise pourrait aggraver les différends maritimes en cours ». Le ministre japonais de la Défense, Nobuo Kishi, a déclaré que cette loi était « totalement inacceptable. »

En particulier, la plupart des pays craignent que la nouvelle loi donne carte blanche aux différentes forces maritimes chinoises — police maritime, garde-côtes, surveillance maritime — à agir dans les eaux de leur « juridiction », un terme ambigu faisant référence à la « ligne des 9 traits » de Pékin. Ces « Neuf traits » approprient 90% des 3,5 millions de kilomètres carrés de la Mer de Chine méridionale qui est bordée par de nombreux pays, dont la Malaisie, le Brunei, les Philippines et le Viêt-Nam.

Certains experts suggèrent que la Chine a peut-être promulgué cette loi dans l’intention d’empêcher les forces navales et maritimes d’un autre pays d’agir contre ses navires, même si elles empiètent sur un autre pays.

Le chercheur Collin Koh, de Singapour : « Avec cette loi, ils ont envoyé un signal [voulant] dissuasif au reste du monde : si vous installiez une plate-forme pétrolière dans une zone que nous n’aimons pas, nous la remorquerions, si vous faisiez quelque chose dans nos eaux ou essayez de résister à l’arrestation, nous vous tirerons dessus. Lorsque l’emploi des mots est vague, il a tendance à inciter les gens à la spéculation. Par exemple, les Philippines comprendront ceci : si les Chinois pêchaient dans leur zone économique exclusive, même si le droit autorise les services de police maritimes philippins de les arrêter au nom de la loi, ces services réfléchiraient très attentivement avant d’agir s’ils voient les garde-côtes chinois près d’eux. »

Certains autres experts estiment que la loi maritime chinoise a été promulguée pour tester l’alliance du traité entre les États-Unis et leurs alliés dans la région sous le président américain Joe Biden et le nouveau Premier ministre japonais Yoshihide Suga, qui a pris ses fonctions en septembre 2020.

Le professeur Raul Pedrozo, du US Naval War College : « Bien que la nouvelle administration américaine ait réaffirmé ses engagements à protéger les intérêts du Japon dans les îles Senkaku et à respecter ses obligations en vertu du traité de défense conjoint États-Unis-Philippines, la Chine emploierait sa force maritime juste en dessous des seuils admis d’une attaque armée traditionnelle pour éviter une réponse américaine au nom du Japon ou des Philippines, faisant ainsi que les États-Unis ne sont pas un allié fiable ».

Tous ces jugements sont basés sur des faits. Cependant, on peut dire que, pour affirmer sa puissance montante, la Chine s’est transformée en une nation qui est contre les ordres du monde façonnés depuis la Seconde Guerre mondiale. Y compris l’ordre maritime. Même si la Chine a participé aux Conférences des Nations Unies sur le droit de la mer, et elle est également membre de la Convention des Nations Unies sur le Droit de la mer de 1982 (CNUDM-UNCLOS).

Comme l’a observé l’expert Collin Koh : « L’attitude de Pékin représente les tentatives d’intimidation graves les plus récentes. La Chine cherche à tirer parti de sa puissance militaire croissante pour forcer les États côtiers de la Mer de Chine méridionale à renoncer à leurs droits légaux, protégés par la Convention des Nations Unies sur le Droit de la mer, d’exploiter les ressources de leurs zones économiques exclusives. »

Pékin s’est donné le prétendu « droit historique » de revendiquer la totalité de la zone maritime dans la « ligne de la langue de bœuf » — l’autre nom des « Neuf traits » — dans la Mer de Chine méridionale. La Chine a dépensé sans compter pour poldériser les récifs contestés dans les Spratley, y a mis en place des bases militaires pour créer « un état de fait ». Depuis lors, la Chine s’est montrée, à plusieurs reprises, agressive avec les navires qui se rapprochaient de ces îles artificielles. Et ce, malgré la décision de la Cour d’arbitrage de La Haye de 2016 selon laquelle « la revendication dite historique de la Chine ici n’est pas valable et sans fondement juridique ».

Avec un tel assaut de la Chine du droit international de la mer, l’attitude de Pékin inquiète bien des États des zones maritimes et océaniques dans le monde.

Le vice-amiral Pascal Ausseur, ancien Préfet maritime, et directeur de la Fondation méditerranéenne pour les Études stratégiques (FMES) : « L’UNCLOS est en danger ! L’océan est toujours une propriété commune, selon les principes de Grotius au 17e siècle, avant de devenir un lieu de transit de marchandises du colonialisme européen. La convention UNCLOS est un accord conclu entre les États pour utiliser les eaux de manière appropriée. Aujourd’hui, cependant, des puissances continentales — la Chine, la Turquie et la Russie — en exigent davantage. »

En août 2020, pour la première fois, la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne ont envoyé une note commune dénonçant le manque de respect de Pékin pour la Convention des Nations Unies sur le Droit de la mer (CNUDM-UNCLOS) en Mer de Chine méridionale. C’est un acte qui marque l’expression de la position de l’Europe sur cette question.

Selon trois puissances européennes, la Chine ne peut pas s’appuyer sur des constructions artificielles dans les îles Spratleys et Paracels pour changer le droit de la mer. La note diplomatique se lit comme suit : « La France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne soulignent l’importance de l’exercice de la liberté de navigation en mer, en particulier la liberté de navigation et de survol et le droit de navigation sans danger dans la Mer de Chine méridionale. » Les trois pays ont appelé, dans le même temps,  la Chine à se conformer aux lois internationales existantes.

Non seulement montrant leurs points de vue à travers ces documents diplomatiques, ces trois pays européens ont également pris des mesures plus décisives. Récemment, la ministre des Armées Florence Parly a confirmé le fait que le sous-marin nucléaire Émeraude et le navire de soutien français Seine patrouillaient en Mer de Chine méridionale avant d’achever la campagne de déploiement en Asie débitée à partir de septembre 2020.

Le 18 février dernier, le navire d’assaut amphibie Tonnerre et la frégate Surcouf de la Marine nationale française ont également quitté leur port d’attache pour des opérations dans le Pacifique. Ils ont fait escale dans des ports de nombreux pays et ont participé à plusieurs exercices avec des alliés et des partenaires. Au cours des allers-retours, les deux navires de guerre français traverseront la Mer de Chine méridionale.

Le 23 février 2021, Londres a déclaré que le porte-avions Queen Elizabeth avait quitté le port pour partir pour l’Asie et la Mer de Chine méridionale. Le porte-avions britannique était accompagné d’une flotte tactique et de soutien composée de deux destroyeurs, de deux navires d’escorte, d’un sous-marin nucléaire et de deux navires de ravitaillement.

De plus, début mars 2021, un navire de guerre allemand, après avoir participé à l’exercice avec la Marine nationale japonaise, a participé à une patrouille en Mer de Chine méridionale. L’Allemagne est la troisième puissance européenne après la France et la Grande-Bretagne à promouvoir ce que l’on pourrait appeler une « stratégie du pivot » vers l’Asie. Dans le viseur : la puissance croissante et expansionniste de la Chine.

Helena Legarda, analyste, au Mercator China Research Institute à Berlin : « L’approche de Berlin avait commencé à changer, reflétant une nouvelle vision de l’importance de la région Indo-Pacifique dans la stabilité mondiale et un ordre international fondé sur le droit. »

Lors du Dialogue Shangri-La en 2016, le ministre français de la Défense Jean-Yves Le Drian : « Si le droit de la mer n’est pas respecté dans la Mer de Chine méridionale maintenant, il risque de ne pas l’être dans l’Arctique, la Méditerranée ou ailleurs demain. »

Ce qui est préoccupant, ce n’est pas seulement l’ambition de la Chine de devenir une puissance mondiale, mais aussi son comportement en défiant l’ordre du droit international et la menace de la Chine sur le monde dans son ensemble.

La nouvelle loi maritime chinoise affectera sans aucun doute les efforts visant à exploiter conjointement le pétrole et le gaz en Mer de Chine méridionale ainsi que les négociations d’un code de conduite en Mer de Chine méridionale (COC) entre la Chine et les États de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) .

Selon les résultats d’un sondage publié par le Centre de recherche sur l’Asie du Sud-Est (ISEAS, Singapour) le 10 février 2021, le taux de confiance des populations d’Asie du Sud-Est dans la Chine a « plongé ». En baisse à 38,5% au lieu de 46,6% exactement il y a un an. Pire encore, jusqu’à 62,4% des personnes interrogées ont exprimé leur inquiétude lorsque la Chine a militarisé les îles de la Mer de Chine méridionale et l’a qualifiée d’acte « agressif ». La majorité des personnes consultées ont également exprimé leur inquiétude au sujet de « l’invasion » chinoise du « plateau continental et des zones économiques exclusives » des pays riverains de Mer de Chine méridionale.

Martin Luther King — le militant des droits de l’homme lauréat du prix Nobel de la paix en 1964 a dit un jour : « Ce qui m’effraie, ce n’est pas l’oppression des méchants ; c’est l’indifférence des bons. »

Le moment est donc venu pour les pays européens de prendre la parole et d’agir pour protéger l’ordre mondial à la lumière du droit international de la mer !

Par Jose Antonio A. Custodio, analyste et commentateur indépendant en sécurité et défense et chercheur invité de Stratbase ADR Institute (Philippines). Il a été consultant pour le Bureau du Conseiller national de sécurité et le Bureau du Président.

L’article a été traduit de l’anglais et mis en forme par Vo Trung Dung

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Illustration de Une : « Taken By The Sky » par © Scott Denholm, artiste peintre et surfeur australien. Les scènes océaniques contemporaines de Scott Denholm racontent une histoire d’amour et de trahison entre la nature et l’humanité en capturant des moments fugaces de puissance brute et de beauté infinie de nos côtes et de nos océans. Les palettes de couleurs soigneusement choisies par Scott et son style rythmique unique attirent l’attention du spectateur pour lui faire découvrir des sentiments, des souvenirs et des émotions perdus depuis longtemps dans sa relation personnelle avec l’océan.


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