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Droits de l'homme — ©MEIRO KOIZUMI (Japon)

UE : Le « Magnitsky Act » européen – Part 02

[Mis à jour le 29/03/2021 à 14:45 CET] — L’Union européenne peut désormais sanctionner les auteurs de violations des droits de l’homme dans le monde entier.  L’outil européen a suscité beaucoup d’attention et constitue certainement un pas en avant pour la protection des droits de l’homme. Cependant, il n’est pas certain que ce régime constitue en soi une amélioration majeure des politiques de l’UE en matière de droits de l’homme et de démocratie. Une question de cohérence. L’UE devra définir précisément ce que le nouveau régime de sanctions ajoute aux approches politiques existantes.

Bruxelles se veut ferme et lance une série de sanctions contre la junte birmane et les responsables chinois de la répression des Ouïgours.

A Naypyidaw, la capitale, samedi  27 mars, pour commémorer le soulèvement des indépendantistes birmans contre les forces d’occupation japonaises en 1945, la Tatmadaw — l’armée birmane — a fait défiler des milliers de soldats, de blindés, des véhicules lanceurs de missiles, des hélicoptères dans une parade de démonstration de force. Dans le même temps, les militaires et les policiers aux ordres ont tué au moins 114 personnes dont 6 enfants, d’après des témoignages recueillis par l’agence de presse Reuters.

Les sanctions tombent

L’Union européenne (UE) : « Nous réagissons au renversement illégitime du gouvernement démocratiquement élu et à la répression brutale exercée par la junte contre des manifestants pacifiques. L’UE continuera d’examiner toutes les options stratégiques dont elle dispose, y compris des mesures restrictives supplémentaires envers des entités économiques détenues ou contrôlées par l’armée en Birmanie. »

Bruxelles a sanctionné, lundi 22 mars, le chef de la junte au pouvoir, le général Min Aung Hlaing, son adjoint, Soe Win, ainsi que neuf des plus hauts gradés des forces armées et Thein Soe le nouveau président de la commission électorale. Les sanctions consistent en une interdiction de se rendre ou de transiter par l’UE et un gel de leurs avoirs au sein de l’Union. En avril, Bruxelles devrait s’attaquer aux entités économiques birmanes.

Dans un entretien avec le journal Le Monde, Kyaw Moe Tun, l’ambassadeur de Birmanie à l’ONU, qui a rompu avec le pouvoir militaire : « Tout flux financier parvenant au régime militaire doit être coupé. En particulier, les contrats des grandes entreprises de l’industrie du gaz et du pétrole. Le ministre du plan, des finances et de l’industrie du CRPH [le Comité représentatif du Parlement birman, formé de parlementaires élus entrés en résistance], va demander au groupe Total de faire jouer la clause de force majeure dans son contrat. »

En direction de la Chine, pour la première fois depuis Tiananmen en 1989, l’Union européenne (UE), suivi par le Royaume-Uni, ont imposé, lundi 22 mars, des sanctions contre quatre responsables chinois du Xinjiang dans le dossier ouïgour. Les mesures : interdictions de visas et gels d’avoirs.

Les sanctions ciblent Chen Mingguo, le directeur du Bureau de la sécurité publique du Xinjiang, accusé par Bruxelles de « graves atteintes aux droits de l’homme », de « détentions arbitraires et traitements dégradants infligés aux Ouïgours et aux membres d’autres minorités ethniques musulmanes, ainsi que d’atteintes systématiques à leur liberté religieuse ».

Les autres cibles sont Zhu Hailun, l’ancien responsable de la province, deux hauts responsables chinois, Wang Mingshan et Wang Junzheng, ainsi que le Bureau de la sécurité publique du corps de production et de construction du Xinjiang.

 

Birmanie : Manifestation à Rangoun contre le coup d'Etat militaire. © DR
Birmanie : Manifestation à Rangoun contre le coup d’Etat militaire. © DR

 

Une approche renforcée pas si nouvelle en réalité

Ce régime permet à l’Union européenne de cibler les individus d’une manière distincte de la stratégie plus large de l’Union à l’égard de leur pays d’origine. Il sera ainsi plus facile pour l’Union d’imposer des mesures ciblées à l’encontre des personnes coupables de violations des droits de l’homme. 

Ce nouveau dispositif s’inscrit dans une tendance plus large consistant à compléter les sanctions géographiques par des sanctions thématiques. L’UE a introduit des régimes de sanctions concernant les cyberattaques contre l’Union et l’utilisation d’armes chimiques.

En pratique, dans la plupart des cas où l’UE a agi pour des raisons de droits de l’homme au cours de la dernière décennie, ses mesures ont de toute façon ciblé des individus.

Alors que le nombre de sanctions de l’UE n’a cessé d’augmenter, Bruxelles n’a que rarement adopté des mesures relatives aux droits de l’homme qui vont au-delà des restrictions à l’encontre des individus. Sauf lorsqu’elle a adopté des sanctions plus larges des Nations unies liées à des conflits graves et à des questions de sécurité — comme les guerres en Syrie et en Ukraine —, l’UE s’est généralement montrée réticente à appliquer des sanctions à des pays entiers plutôt qu’à un petit nombre d’individus.

La logique qui sous-tend ces mesures ciblées est de réagir aux violations des droits de l’homme sans punir la population en général. Si cette logique fait sens, le recours croissant à des sanctions ciblées semble souvent avoir donné des résultats décevants.

D’une part, parce qu’il est presque impossible d’isoler l’effet des sanctions sur les actions des régimes et, d’autre part, parce que les États qui imposent des sanctions peuvent avoir de nombreux objectifs autres que ceux qu’ils déclarent en invoquant ces mesures.

La politique et les droits de l’homme

Une préoccupation plus large réside dans la relation entre le nouveau régime de sanction et les stratégies de politique étrangère de l’UE. Ce mécanisme facilite l’imposition de sanctions à des individus et, éventuellement, à des acteurs non étatiques en cas de graves violations des droits de l’homme.

Toutefois, les sanctions ne peuvent être efficaces que si elles s’articulent avec d’autres mesures de politique étrangère, dans la pratique, le nouveau régime de sanctions pourrait accentuer le décalage entre les droits de l’homme et d’autres préoccupations.

Le nouveau régime de sanctions de l’UE ne répond pas au défi plus structurel pour les droits de l’homme et la démocratie. La liste des violations des droits de l’homme qui entrent dans le champ d’application du mécanisme est centrée sur des questions fondamentales comme la torture, les meurtres, la violence, l’esclavage et le génocide. Il exclut la corruption en tant que délit ciblé, ce qui rend plus difficile la saisie des fonds des kleptocraties. Or, le problème s’avère plutôt d’ordre structurel qui permet la violation des droits de la personne.

En substance, ce régime de sanction ne s’attaque qu’aux symptômes, et non aux facteurs sous-jacents, des problèmes mondiaux en matière de droits de l’homme.

Vo Trung Dung

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Illustration de Une : Hong Kong par © Meiro Koizumi, né en 1976 à Gunma, Japon. Il vit et travaille à Yokohama.

Travaillant principalement en vidéo, Meiro Koizumi mélange une expérimentation formelle avec un commentaire social aigu, souvent axé sur la montée de l’ultra-nationalisme au Japon, ainsi que des souvenirs et des représentations de la guerre du Pacifique. Il utilise la vidéo pour révéler la fragilité de la psyché humaine et pour attirer ses spectateurs dans les relations complexes entre l’individu et le pouvoir.

 


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