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Indo-Pacifique : L’Europe doit jouer (vraiment) son rôle

Tribune | Au début du 21e siècle, l’attention de la politique mondiale s’est déplacée vers la région indopacifique. Cette région comprend des « géants réveillés » comme la Chine et l’Inde, en plus de l’émergence géostratégique remarquable des pays d’Asie du Sud-Est.

Autrefois en position dominante dans toute l’Asie, aujourd’hui, le rôle des puissances européennes dans cette région est devenu plus flou qu’auparavant. Les relations entre les nations d’Asie du Sud-Est et les pays européens qui les ont autrefois colonisés, comme les Philippines et le Viêt Nam avec l’Espagne et la France, sont désormais éclipsées par d’autres acteurs de la scène politique mondiale comme les États-Unis et la Chine.

Un facteur important qui influence grandement l’intérêt de l’Europe pour la région Indo-Asie-Pacifique est le fait que la Chine s’efforce de faire valoir ses revendications sur la presque totalité de la Mer Orientale (le nom vietnamien de la Mer de Chine méridionale, NDLR), défiant ainsi le droit international.

Bien que l’Europe soit géographiquement éloignée, le maintien de la Mer de Chine méridionale libre de crises ou de conflits est certainement vital en son intérêt. On estime que jusqu’à 40 % du commerce extérieur de l’Europe transite par la région, ce qui rend les voies de communication maritimes libres et sûres indispensables à l’économie européenne. Cependant, outre les préoccupations concernant le maintien des voies maritimes de commerce, le respect du droit international et le maintien d’un ordre fondé sur des règles relèvent des piliers fondamentaux du système de gouvernance ainsi que du cadre et de la forme européenne d’engagement extérieur.

Nous pouvons voir à quel point il est dangereux de voir le défi de la Chine d’interpréter — à sa façon — les principes fondamentaux du droit international qui sous-tendent l’ordre international.

Les interprétations à visée nationaliste de Pékin de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (UNCLOS) sont incompatibles avec l’une des interprétations reconnues de la Convention. Les arguments que la Chine avance à elle seule ne s’appliquent pas seulement aux règles spécifiques de l’UNCLOS, mais tentent également d’imposer des interprétations des accords multilatéraux au service de ses revendications unilatérales. Revendications que UNCLOS ne reconnaît pas. Une telle interprétation chinoise menace le sens de la souveraineté nationale des pays concernés et donc l’ordre international. Les principes que la Chine veut appliquer changeront la loi en tant que [son] instrument du pouvoir impérialiste.

Lors de la réunion ministérielle « ASEAN-UE » en septembre 2020, le haut représentant de l’Union européenne (UE) pour les Affaires étrangères et la Sécurité, Josep Borrell, a souligné : « Nous ne pouvons pas permettre aux pays de saper unilatéralement le droit international et la sécurité maritime en Mer de Chine méridionale, menaçant ainsi gravement le développement pacifique de la région. » Cette déclaration est conforme à la position cohérente de l’UE sur le différend en Mer Orientale, appelant à une résolution pacifique et exprimant des critiques sur les actions et les revendications de la Chine qui vont à l’encontre du droit international.

Ce que le trio européen — la France, de l’Allemagne et de la Grande-Bretagne — a fait, c’est contenir la Chine en réitérant l’importance primordiale du droit international. Dans un acte sans précédent, les trois pays ont envoyé une note commune aux Nations Unies en septembre 2020, soulignant l’importance d’un ordre libre et ouvert dans l’Indo-Pacifique.

Sans blâmer nommément la Chine, ces trois pays ont également souligné l’importance d’assurer l’intégrité de l’UNCLOS. En particulier, cette note citait la sentence de la Cour permanente d’arbitrage de La Haye (CPA) de 2016 dans l’affaire « Philippines contre Chine ». Le rendu de la CPA a rejeté sans ambiguïté les revendications de la Chine sur les « droits historiques » en Mer Orientale.

Les trois puissances européennes ont accusé la Chine de violer le droit international, car elle refuse toujours de reconnaître et de respecter la décision de l’instance arbitrale, certes non contraignante. Quelques mois plus tôt, l’administration Donald Trump avait publié une déclaration de politique sur les différends en Mer de Chine méridionale, qui citait également la décision de la CPA invalidant les réclamations de Pékin. Cette bataille juridique des trois pays européens apparemment coordonnée a des implications opérationnelles, d’autant plus que la Grande-Bretagne et la France sont des membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies.

Des navires de la milice maritime chinoise sont vus ancrés sur une image satellite prise le 23 mars 2021 au récif Whitsun, à environ 320 km à l'ouest de Bataraza, à Palawan, aux Philippines, en Mer de Chine méridionale — © MAXAR TECHNOLOGIES
Des navires de la milice maritime chinoise sont vus ancrés sur une image satellite prise le 23 mars 2021 au récif Whitsun, à environ 320 km à l’ouest de Bataraza, à Palawan, aux Philippines, en Mer de Chine méridionale — © MAXAR TECHNOLOGIES

L’implication de l’Union européenne dans les affaires de sécurité de l’Asie a rendu difficile pour la Chine de faire valoir l’argument selon lequel les différends maritimes dans la région ne sont qu’une affaire bilatérale entre elle et d’autres États d’Asie du Sud-Est, et que les pays extérieurs à la région devraient rester à l’écart. Compte tenu de la puissance écrasante de la Chine, les États d’Asie du Sud-Est tels que les Philippines, le Viêt Nam ou la Malaisie n’auront aucune chance de protéger leurs droits dans les eaux où, en vertu de la CNUDM, ils ont le droit d’explorer ou d’exploiter l’exploitation des ressources marines.

Cependant, l’engagement des puissances européennes dans la région indopacifique pourrait avoir un impact plus important s’ils aident à renforcer les petits États de la région qui cherchent à restreindre les actions dangereuses de la Chine. Ainsi, l’Europe peut prendre les mesures suivantes :

  • D’une part, l’Europe peut contribuer à améliorer la capacité des forces de garde-côtes dans les pays d’Asie du Sud-Est directement impliqués dans les différends en mer de Chine méridionale tels que les Philippines, le Viêt Nam, la Malaisie et l’Indonésie. Ces pays ont du mal à affronter la flotte « grise » des milices maritimes chinoises opérant dans toute la mer de Chine méridionale. Cette approche permettrait aux pays de la région de dissuader les empiétements chinois sans conduire à des conflits armés et à une escalade indésirable.
  • D’autre part, l’Europe peut également fournir une assistance technique aux principaux pays d’Asie du Sud-Est aux prises avec des investissements chinois prédateurs. L’Allemagne est une puissance économique avec une activité commerciale et d’investissement croissante à travers l’Asie. Les entreprises publiques chinoises qui cherchent à investir dans des infrastructures critiques et des sites sensibles dans de nombreux pays d’Asie du Sud-Est sont un sujet de préoccupation. L’Europe peut contribuer à lutter contre ces pratiques prédatrices en mobilisant des investissements ciblés et en fournissant une assistance technique. Entre 2013 et 2018, l’Europe a fourni 410 milliards d’euros d’aide publique au développement dans le monde, tandis que la Chine n’a fourni que 34 milliards d’euros au cours de la même période. L’investissement étranger direct de l’Europe est également six fois supérieur à celui de la Chine. Il est important que les grands pays tels que l’Allemagne, la Grande-Bretagne et la France travaillent ensemble pour donner à l’Europe une voix plus forte dans les développements dans l’Indo-Pacifique.

Il est temps d’agir pour le droit international. Ensemble !

Par James Hoang, chercheur invité au département des sciences politiques de l’université nationale de Taiwan.

(Traduction du vietnamien par Vo Trung Dung)

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Photo de Une : Les bateaux de la milice maritime chinois au récif Whitesun des Philippines — © La Marine nationale des Philippines.


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