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Hanoi, Vietnam : Signature du réunissant 15 pays d'Asie en visioconférence le15 novembre 2020. Source : Capture d'écran.

Libre-échange : 10 ASEAN + 4 Asie + Chine – Inde = RCEP

Quinze pays d’Asie et du Pacifique ont signé — en ligne — un accord de libre-échange lors d’une cérémonie présidée de Hanoi. Ce Partenariat régional économique global (RCEP) devient l’accord commercial le plus important du monde — 30% du PIB mondial, — et concernera plus de 2 milliards d’habitants. Ce pacte devrait contribuer à accélérer la croissance post-pandémique de CoVid-19 de ses membres.

La cérémonie de signature s’est déroulée le 15 novembre 2020 en ligne, sous l’égide du président de l’ASEAN de cette année, le Viêt Nam.

Il s’agit des dix États de l’ASEAN – Indonésie, Thaïlande, Singapour, Malaisie, Philippines, Viêt Nam, Birmanie, Cambodge, Laos et Brunei – et la Chine, le Japon, la Corée du Sud, l’Australie et la Nouvelle-Zélande.

L’Inde devait également rejoindre ce gigantesque pacte commercial, mais a décidé en 2019 de s’en retirer par crainte de voir des produits chinois à bas prix envahir son marché. En particulier, son secteur agricole et d’autres secteurs clés comme la pharmacie et la télécommunication. New Delhi a toutefois conservé la possibilité de rejoindre le RCEP plus tard.

L’absence de la protection des travailleurs et de l’environnement

Le RCEP, qui va au-delà du commerce pour fixer des règles et des normes communes pour toute une série d’activités économiques, prendra effet après sa ratification par au moins six pays de l’ASEAN et trois pays non membres de l’ASEAN.

L’accord comprend 20 chapitres de règles couvrant tous les champs, du commerce des marchandises, des investissements et du commerce électronique à la propriété intellectuelle et aux marchés publics. Mais, il exclut tout ce qui touche à la protection des travailleurs et à l’environnement. 

Le Premier ministre vietnamien Nguyen Xuan Phuc : « Je suis convaincu que le RCEP sera bientôt ratifié et entrera en vigueur, ce qui renforcera encore notre reprise économique post-pandémique et apportera une prospérité partagée aux populations et aux entreprises de tous les pays participants ».

Le grand marché d’Asie

Le RCEP a été officiellement proposé en 2012, et les négociations se poursuivent depuis 2013. Les progrès ont été particulièrement lents au cours des premières années, mais les discussions ont pris de l’ampleur après que Donald Trump est devenu président des États-Unis en 2017. Dans un contexte de protectionnisme croissant, les gouvernements participants sont devenus plus motivés pour promouvoir le libre-échange.

Selon les documents consultés par Asie Pacifique News, l’accord éliminera les droits de douane sur un plus large éventail de biens circulant entre les membres. Et aussi, les plafonds des participations étrangères seront relevés dans un plus grand nombre de secteurs de services « stratégiques », tels que les services essentiels et les télécommunications. Le chapitre sur le commerce électronique vise à renforcer la protection des consommateurs et à protéger les informations personnelles, ainsi qu’à promouvoir la pratique des signatures électroniques dans les transactions.

Quand le RCEP sera-t-il effectif ?

Le RCEP offre une certaine flexibilité aux pays membres moins développés pour mettre en œuvre les changements pratiques et législatifs qu’elle requiert. Le Cambodge et le Laos, par exemple, disposent de trois à cinq ans pour améliorer leurs procédures douanières.

Plus précisément, les domaines ouverts aux réductions tarifaires dans le cadre du RCEP sont complexes et varient d’un pays à l’autre. Certains États ont énuméré ce que le RCEP inclut, d’autres ont énuméré ce qu’elle n’inclut pas.

La Chine en maître du jeu, et aussi le Japon, les grands bénéficiaires

Il s’agit du deuxième grand accord commercial multilatéral pour l’Asie, après l’Accord global et progressif pour le partenariat transpacifique, ou CPTPP — la version à 11 membres du TPP crée après le retrait des États-Unis décidé par Donald Trump. Sept des 15 membres du RCEP font également partie du CPTPP.

Gregory Poling, directeur de l’Initiative pour la transparence maritime en Asie (AMTI) et du Programme Asie du Sud-Est au Center for Strategic and International Studies (CSIS, Washington) : « Contrairement à ce que les médias ont écrit, le RCEP est dirigé par l’ASEAN, et non par la Chine. Sinon le Japon n’en ferait pas partie. Et ce n’est pas le projet de domination économique régionale de la Chine. C’est le Belt and Road Initiative (l’Initiative Ceinture et Route, BRI). Le RCEP aura un impact marginal sur le commerce, surtout sans l’Inde. La plupart des membres ont déjà conclu des accords à la portée égale ou supérieure les uns avec les autres. »

Certains membres sont également déjà liés par des pactes bilatéraux de libre-échange, comme celui entre l’ASEAN et la Chine. Le RCEP peut donc être considéré comme un cadre réunissant des accords existants.

Mais à certains égards, le pacte apporte également des avancées importantes. Par exemple, le RCEP crée un ensemble commun de règles d’origine, ce qui facilitera la circulation des marchandises entre les 15 membres.

Pour la Chine et le Japon — les deux plus grandes économies d’Asie —, le RCEP est le premier accord de libre-échange à les relier. Les droits de douane sur 86 % des marchandises japonaises exportées vers la Chine seront supprimés, contre 8 % actuellement. Cela promet de grands avantages pour les fabricants japonais, tels que les fournisseurs de pièces automobiles.

L’année dernière, au plus fort d’un différend commercial entre le Japon et la Corée du Sud, qui trouve son origine dans un litige découlant de la colonisation de la péninsule coréenne par le Japon en temps de guerre, les responsables sud-coréens ont déclaré que « les restrictions commerciales japonaises violaient l’esprit du RCEP ».

Deborah Elms, de l’Asian Trade Centre basé à Singapour à l’agence Reuters : « Le Japon pourrait trouver des avantages significatifs [avec le RCEP], car il a maintenant un accès préférentiel à la Corée du Sud et à la Chine, qu’il n’avait pas. »

Les promesses chinoises à vérifier dans les faits

Les responsables chinois ont fait pression sur ses partenaires pour la conclusion d’accords multilatéraux au cours des derniers mois, comme l’illustrent les nombreuses réunions de haut niveau, tant physiques que virtuelles. Pékin s’est également engagé à ouvrir davantage son marché intérieur, le commerce et l’investissement. L’objectif de la Chine est de devenir un « pays à revenu élevé » d’ici 2025 et un statut de « l’économie développée » d’ici 2035.

Qian Keming, vice-ministre chinois du Commerce : « Nous continuerons à réduire la liste des secteurs protégés qui interdit de facto l’accès aux investissements étrangers. Les entreprises multinationales seront encouragées à participer aux secteurs de haute technologie et aux projets de développement dans les régions centrales et occidentales moins développées de la Chine. » 

Pékin espère également que le RCEP donnera une impulsion à d’autres accords multilatéraux actuellement en préparation, notamment un traité d’investissement entre la Chine et l’Union européenne et un accord de libre-échange entre la Chine, le Japon et la Corée du Sud.

Le décisif facteur indien

Sans l’Inde, la Chine est de loin le membre le plus important au RCEP, tant en matière de PIB que de population. Pékin semble donc prête à exercer une grande influence dans le bloc, un facteur qui a apparemment rendu certains gouvernements réticents à aller de l’avant si New Delhi ne pouvait pas être attirée.

« Au début, le Japon a dit qu’il ne voulait pas signer si l’Inde n’était pas là parce que le RCEP devient trop dominé par la Chine sans l’Inde. Mais maintenant, Tokyo a dit oui, parce qu’il n’y a pas le choix », a confié une source diplomatique de l’ASEAN  à l’agence de presse japonaise Nikkei, sous couvert d’anonymat. Les 15 membres ont formellement laissé la porte ouverte à l’Inde pour les rejoindre plus tard.

Le Premier ministre japonais Suga Yoshihide : « Le Japon jouera un rôle de premier plan dans les efforts visant à faire entrer ce pays d’Asie du Sud [Inde] dans le giron du RCEP. »

Le président indonésien Joko Widodo : « La signature n’était qu’un début. Les membres [du RCEP] doivent encore faire des efforts pour mettre en œuvre l’accord. Cela nécessite également un engagement politique au plus haut niveau. Et aussi, nous offrons des possibilités à d’autres pays de la région de rejoindre ce RCEP ».

Pourtant, les chances que l’Inde rejoigne un jour le RCEP sont difficiles à évaluer.

Riva Ganguly Das, secrétaire au ministère des Affaires étrangères : « En ce qui concerne l’Inde, nous n’avons pas rejoint le RCEP car il ne répond pas aux questions et préoccupations de l’Inde. Cependant, nous restons engagés à approfondir nos relations commerciales avec l’ASEAN. »

Par ailleurs, l’ancien ministre indien des Affaires étrangères, Kanwal Sibal, a tweeté samedi 14 novembre que la signature du RCEP est « très inopportune ». Il a jugé : « Ces pays d’Asie ne peuvent pas se défaire de l’influence de la Chine, mais qu’ils sont prêts à approfondir leurs liens économiques avec elle ».

Le RCEP comme espoir de l’après-CoVid

Cette signature intervient alors que l’économie mondiale continue à souffrir des effets néfastes de la COVID-19. Alors que la Chine, la Corée du Sud et le Viêt Nam ont connu une reprise plus rapide, de nombreux pays asiatiques ont continué à enregistrer des contractions économiques au cours du trimestre de juillet septembre 2020.

Le ministre du Commerce et de l’Industrie de Singapour, Chan Chun Sing : « La signature de l’accord du RCEP est une impulsion opportune pour les perspectives à long terme de la région. » Et d’après le ministre, le Singapour devrait le ratifier dans les prochains mois.

Le secrétaire au Commerce des Philippines, Ramon Lopez : « Le RCEP offre des opportunités de marché plus larges pour nos exportateurs et nos fournisseurs de services. » Les pays du RCEP représentent plus de 50% du marché d’exportation des Philippines.

Cassey Lee, chercheur à l’ISEAS – Yusof Ishak Institute, basé à Singapour : « Le commerce est un important moteur de croissance pour les membres du RCEP. Cela mettra ces pays dans une bonne position pour en tirer parti et renforcer mutuellement leur reprise économique ensemble à l’avenir. »

Pour la Chine, le RCEP s’aligne sur la nouvelle stratégie économique de « double circulation » du président Xi Jinping . Il s’agit de « se recentrer sur la demande intérieure tout en tirant parti du commerce et des investissements étrangers. »

 

RCEP ? CP-TPP ? Nous attendons de voir comment Washington réagirait après la passation du pouvoir de Donald Trump à Joe Biden en janvier 2021. Ce nouveau gigantesque pacte dans le commerce mondial est un premier et énorme défi pour la future administration Biden, pour contrer l’expansionnisme chinois.

Vo Trung Dung

 


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