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Mer de Chine : la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni dans la bataille diplomatique

#Analyses | Les enjeux territoriaux de la Mer de Chine méridionale se jouent à l’ONU. Avec des mots, à défaut d’une guerre. Ainsi, la « guerre » des notes diplomatiques continue de plus belle et ne faiblit pas.

C’était la Malaisie qui a commencé, le 12 décembre 2019, en présentant son rapport — et les points de vue juridiques de Kuala Lumpur — concernant le plateau continental, au nord de la Mer de Chine méridionale, à la Commission des Nations Unies sur les limites du plateau continental (en anglais, CLCS).

Le jour même, la Chine a envoyé une note diplomatique pour contrer celle de la Malaisie. Puis, à leur tour, les Philippines, le Vietnam, l’Indonésie et la Malaisie ont envoyé des notes s’opposant aux arguments de la Chine. Dans le même temps, la Chine a également fait parvenir des notes en guise de réponse à ces pays, tout en réaffirmant les revendications de la Chine dans la Mer de Chine méridionale.

Et Washington n’a pas tardé à entrer dans la danse. Le 1er juin 2020, les États-Unis ont également envoyé une note aux Nations Unies, critiquant — et opposant de façon générale — « toutes réclamations et revendications maritimes qui vont à l’encontre du droit international et la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982 (CNUDM – UNCLOS en anglais). » Sans mentionner explicitement Pékin.

Canberra n’était pas en reste. Le 23 juillet 2020, l’Australie a également envoyé une note diplomatique protestant contre les « arguments infondés » de la Chine concernant les prétentions territoriales chinoises dans la Mer de Chine méridionale.

Trois puissances européennes et une vision commune

D’ordinaire discrets sur cette question, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont créé la surprise le 16 septembre 2020, en envoyant simultanément leurs propres notes. Paris, Berlin et Londres y ont exprimé leurs vues communes sur la question de la Mer de Chine méridionale aux Nations Unies. Les notes diplomatiques de ces trois pays ont exprimé leurs désaccords avec les sept notes émises par la Chine précédemment.

Le fait que les trois plus grandes puissances européennes — faisant partie du G7 — expriment ensemble une vision commune confirme leur position unifiée sur la question de la Mer de Chine. En outre, cette position a été soigneusement pesée, discutée, préparée par ces trois pays. Elle démontre leur inquiétude face aux conflits en Mer de Chine méridionale, ainsi que la nécessité d’expliciter les vues européennes sur cette question.

Auparavant, lors de sa tournée en Asie en 2018, le président français Emmanuel Macron avait appelé à la création de nouvelles alliances stratégiques, y compris l’axe « France-Australie-Inde », pour maintenir une région « Indo et Asie pacifique sans entrave et ouverte. » Encore, en 2019, la France a annoncé une stratégie régionale, qui « renforcerait le rôle de la France en tant que puissance régionale dans l’Indo-Pacifique, protégerait souveraineté, intérêts, et sécurité pour ses citoyens, tout en contribuant activement à la stabilité internationale. »

Du côté du Royaume-Uni, autre puissance maritime et allié important des États-Unis, le « gendarme maritime » du monde jadis, a également publié au début de septembre 2020 une déclaration — une sorte de livre blanc — affirmant ses points de vue sur les questions juridiques posées dans les disputes en Mer de Chine méridionale.

Quant à l’Allemagne, bien qu’elle ne soit pas une puissance navale comme la France et la Grande-Bretagne, cependant, au début du mois, a également publié pour la première fois un document intitulé « Principes directeurs pour la région Indo-Pacifique ». Ce document souligne l’ambition de Berlin de « contribuer positivement à la construction de l’ordre international dans l’Indo-Pacifique ».

La volonté de ne pas laisser la place aux seuls États-Unis et à la Chine

Les déclarations de la France, de l’Allemagne et du Royaume-Uni sont intervenues dans un contexte de tensions accrues entre les États-Unis et la Chine, en particulier dans la Mer de Chine méridionale. Washington et Pékin y ont déployé de nombreuses forces navales. Ces deux puissances y ont effectué — et continueront de le faire — de nombreux exercices navals d’envergure, comme une démonstration des forces.

La tension sino-américaine ne se trouve pas seulement en mer. Le secrétaire d’État américain Mike Pompeo a rendu public, en juillet 2020, la « Déclaration sur la position des États-Unis sur la Mer de Chine méridionale », critiquant dans des termes sans équivoque, les revendications infondées de la Chine. Et juste après cette déclaration, les États-Unis ont ordonné des sanctions à l’encontre de 24 entreprises chinoises pour leur implication dans la construction et la militarisation des îlots et autres récifs coralliens sous contrôle chinois.

La Chine cherche également à répondre aux pressions américaines. En mettant la pression sur ses voisins. Pékin continue à envoyer ses navires dans les eaux de certains pays de l’ASEAN (Association des nations de l’Asie du Sud-Est), tout en menaçant militairement Taiwan — un allié des États-Unis. Face au risque d’un conflit américano-chinois en Mer de Chine méridionale, ces trois pays européens ont ressenti le besoin de s’exprimer pour expliciter leurs points de vue. Ils ont su ainsi éviter la posture silencieuse qui pourrait affecter leurs intérêts. Il s’agit aussi de signifier la position européenne à Washington et à Pékin.

Le respect de Convention des Nations Unies sur le droit de la mer

Les trois puissances européennes « ont réitéré l’universalité et l’unité de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982 en établissant un cadre juridique pour les opérations sur les mers et les océans ». La Chine d’une part a également déclaré « un strict respect de la CNUDM et avec une attitude responsable », cependant, la Chine a affirmé que « la CNUDM ne comprend pas toutes les règles maritimes et océaniques ». Pékin a sous-entendu que les activités de la Chine pourraient s’affranchir de la CNUDM.

Dans les notes diplomatiques européennes, il est dit que « le fait qu’un État continental se considère comme un État archipélagique pour tracer une ligne de base droite ou une ligne de base pour un État archipélagique est injustifié. Il s’agit d’une base juridique en vertu de la CNUDM. »

Cela veut dire que ces trois pays européens n’ont pas accepté que la Chine trace arbitrairement une ligne de base droite autour des îles Paracels en 1996, lorsqu’elle a utilisé une ligne de base droite en reliant des points externes. Les îles Paracels ne sont applicables que dans le cas d’un État archipélagique (comme les Philippines), tandis que la Chine — qui est un État continental, enfreint, ce faisant, les dispositions de la CNUDM sur cette question.

Paris, Berlin et Londres ont également fait valoir que « selon les dispositions de la CNUDM, la remise en état ou d’une manière ou d’une autre pour transformer [îlots et récifs] en îles artificielles ne peut pas changer leurs propriétés ».

Cela fait référence au fait que la Chine poldérise, construit sans relâche des îles artificielles en Mer de Chine, dans le but de transformer leur statut juridique en « île », afin que la Chine puisse revendiquer des eaux telles que les eaux territoriales et les zones économiques exclusives (ZEE) ou le statut de plateau continental autour de ces « îles artificielles ». Cependant, selon la CNUDM, sans ambiguïté, l’utilisation de telles actions « artificielles » ne changera pas la nature inhérente de cette entité (caractéristiques maritimes). Et, bien entendu, une « île artificielle » ne peut pas se prévaloir de cette qualité maritime et territoriale au sens large, sauf les 500 m de zone de sécurité autour d’elle.

Ces trois pays européens ont également souligné que les réclamations — chinoise et d’autres pays — liées à l’exercice de « droits historiques » en Mer de Chine méridionale n’étaient pas conformes aux dispositions du droit international et de la CNUDM. De plus, ils ont réitéré que l’arrêt rendu le 12 juillet 2016, en défaveur de la Chine, dans les murs de la Cour permanente d’arbitrage de La Haye (CPA) doit faire foi. Dans cette affaire, les Philippines ont demandé à la CPA de statuer justement sur les statuts des îles, îlots et récifs coralliens en Mer de Chine méridionale. Et l’arrêt rendu a bien confirmé que les îles artificielles n’étaient pas des « îles ».

La France, l’Allemagne et le Royaume-Unis ont exprimé deux points importants
  • Primo, l’allégation — territoriale et maritime — de Pékin dite de « ligne de neuf traits » est contraire au droit international et à la CNUDM, et est donc sans valeur. Y compris sa justification par les « droits historiques » sur ces eaux qui représente près de 90% de la surface de la Mer de Chine méridionale. La décision du tribunal arbitral de La Haye en 2016 dans l’affaire Philippines vs Chine a clarifié cette question.
  • Secundo, lorsque ces pays européens ont évoqué le jugement arbitral de 2016, il s’agissait de réaffirmer la valeur universelle de cette décision du tribunal arbitral. Bien que cet arrêt ne soit valable que pour les deux parties directement liées. Ce jugement demeure valable pour les autres mers et océans. Sans surprise, la Chine déclare toujours s’opposer à cet arrêt, mais en fait, dans toutes les déclarations des quatre pays de l’ASEAN, des États-Unis, de l’Australie ainsi que ces trois pays européens invoquent directement l’arrêt. Cela montre que cet arrêt ne peut pas être ignoré, mais il s’agit d’un élément de droit important pour clarifier davantage certaines questions dans la CNUDM.

La lecture des notes diplomatiques de la France, de l’Allemagne et de l’Angleterre démontre l’importance de la Mer de Chine méridionale pour le monde, y compris l’Europe. L’importance de cette mer ne se limite pas aux ressources naturelles, aux routes maritimes, mais aussi le maintien de l’ordre international basé sur le droit international, en particulier sur la CNUDM, souvent qualifiée de « Constitution des mers et des océans ».

Comme l’a dit le ministre allemand des Affaires étrangères Heiko Maas, cet ordre international « dois être fondé sur la loi et la coopération internationale, et non sur la loi du fort. »

Par Hoang Viet, maître de conférences à l’Université de droit de Hô Chi Minh-Ville, Vietnam. Il est aussi membre du Conseil de recherche sur le droit maritime et insulaire, de la Fédération des barreaux du Vietnam et chercheur invité à l’Université nationale de Taiwan.

 

Notes | La Mer de Chine méridionale ou Mer de Chine du Sud est nommée différemment selon le pays :  en filipino Dagat Timog Tsina, en chinois Nán Hai 南海 / 南中国海, littéralement « Mer du Sud », en japonais Minami shina kai 南シナ海 / 南支那海, littéralement « Mer de Chine du Sud », en vietnamien Biển Đông, littéralement « Mer de l’Est » ou « Mer Orientale ».

(Traduit du vietnamien et édité par Vo Trung Dung)

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