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Le Buffle d'eau de Joan Miro revisité par Jim Rain.

Quand le Nouvel An devient instrument de « soft power » chinois

En Asie du Sud-Est multiethnique, le terme « Nouvel An lunaire » est plus approprié que celui de « Nouvel An chinois ». La célébration traditionnelle a toujours transcendé l’ethnicité et l’identité nationale. Cependant, les outils diplomatiques culturels et les médias d’État de Pékin continuent à promouvoir à l’étranger le terme « Nouvel An chinois ».

Les Chinois de Chine continentale, de Hong Kong, de Macao, les Chinois ethniques hors de Chine, les Taïwanais, les Vietnamiens, les Coréens célèbrent le Nouvel An lunaire ce vendredi 12 février. Cependant, les pays utilisent des noms différents pour cette fête.

En Chine même, la célébration festive s’appelait à l’origine Nongli Xinnian(农历新年) qui  signifie « Nouvel An lunaire », mais elle est plus connue en mandarin sous le nom de Chunjie(春节) qui veut dire « Festival du printemps ». Le festival n’a pas de connotation ethnique ou nationale. En fait, dans le passé, les habitants de nombreux pays d’Asie de l’Est et du Sud-Est tels que le Japon, la Corée et le Viêt Nam célébraient le Nouvel An lunaire. Bien sûr, ils ne l’appelaient pas « Nouvel An chinois », et encore moins « Nouvel An de Chine ». 

Au fil des siècles, différents pays ont jugé nécessaire de modifier la nomenclature associée à la célébration de cette fête. Pendant la restauration meiji, le Japon a abandonné la pratique de la célébration du Nouvel An lunaire et a adopté le Nouvel An solaire — occidental. La Corée du Sud et le Viêt Nam célèbrent également le Nouvel An solaire — souvent appelé Nouvel An occidental. Toutefois, les Coréens et les Vietnamiens célèbrent principalement le Nouvel An lunaire. Pour les Vietnamiens et les Chinois continentaux, cette fête fait office aussi de leurs principaux congés annuels.

La Corée et le Viêt Nam. Depuis 1999, les Sud-Coréens ont réadopté le Nouvel An lunaire comme une fête traditionnelle coréenne, connue sous le nom de Seollal, qui signifie « Nouvel An lunaire ». Au Viêt Nam, le terme pour le Nouvel An lunaire est « Tết » ou « Tết âm lịch » — le Nouvel An selon le calendrier lunaire. 

L’Indonésie. Les Indonésiens d’origine chinoise appellent le Nouvel An lunaire « Tahun Baru Imlek ». Le terme Imlek vient de la prononciation Hokkien du Yinli, qui signifie le calendrier lunaire. Il a d’abord été popularisé par les Chinois Peranakan — des Indonésiens chinois nés en Indonésie et dont la langue maternelle est le Bahasa Indonesien —, puis est devenu le terme indonésien officiel pour le Nouvel An lunaire en Indonésie.

L’ancien président Susilo Bambang Yudhoyono a utilisé ce terme pour désigner le Nouvel An lunaire — tout comme l’actuel président Joko Widodo. Parfois, des Indonésiens non chinois l’appelaient Tahun Baru Cina, ou Nouvel An chinois. Étant donné que le terme « Cina » peut également signifier la Chine, les Indonésiens chinois politiquement conscients évitent de façon délibérée ce terme pour faire référence au festival. Cela est dû à deux facteurs : le terme « Cina » est péjoratif et de nombreux Indonésiens se méfient de la République populaire de Chine.

La Malaisie et le Singapour. Les personnes d’origine chinoise appellent le Nouvel An lunaire « Nongli Xinnian », ou le plus souvent « Chunjie ». Cela correspond à la pratique en Chine continentale, à Hong Kong et à Taïwan.

Le terme, cependant, devient problématique lorsqu’il est traduit en anglais, car il y a un problème de traduction littérale qui reflète l’ethnicité. On observe que, de plus en plus, la traduction anglaise qui reflète le point de vue de l’ethnie chinoise prévaut. Ces dernières années, le terme anglais « Chinese New Year », abrégé en « CNY », est devenu plus populaire que « Lunar New Year ». À Singapour, le terme « Nouvel An chinois » est souvent utilisé dans les programmes de télévision de langue anglaise ainsi que dans les journaux de langue anglaise. L’ethnicisation du Nouvel An lunaire est devenue la mode du jour.  

En plus d’un label ethnique, le Nouvel An lunaire a maintenant reçu un label national pour les ressortissants chinois également. Il y a trois ans, un journaliste de Xinhua News en Indonésie a traduit, dans une dépêche, le message du Nouvel An lunaire de Joko Widodo « Selamat Tahun Baru Imlek » en « Nouvel An chinois ». Il est impossible qu’un président indonésien ait souhaité à ses citoyens d’origine chinoise un joyeux « Nouvel An chinois ». En fait, il s’agit simplement d’une « bonne année lunaire ».

Le nationalisme chinois

« L’erreur » de traduction de Xinhua News reflète une tendance dans la pensée de certains ressortissants chinois concernant leur position dans le monde. En 2018, Liu Wen, un mannequin célèbre en Chine, a utilisé l’anglais pour souhaiter aux gens une « Bonne année lunaire » via Instagram. Elle a été critiquée par les internautes chinois pour son manque de patriotisme. Ils ont ajouté qu’elle avait oublié qu’elle était toujours une ressortissante chinoise.  Sous la pression, elle a finalement été obligée de s’excuser et de changer le message d’accueil en « Bonne Année Chinoise ».

En Chine même, la fête s’appelait à l’origine Nongli Xinnian(农历新年) qui signifie « Nouvel An lunaire » .. Cette fête n’a pas de connotation ethnique ou nationale.

Dans les médias sociaux chinois, on peut lire beaucoup de commentaires et de messages qui discutent du « terme approprié » qui devrait être utilisé par tout un chacun, qu’il soit étranger ou Chinois. De nombreux internautes chinois sont d’avis que le terme « Chine » ou « Chinois » devrait être utilisé. Selon eux, le Nouvel An lunaire fait partie de la civilisation chinoise. Ils affirment même que puisque la Chine est devenue puissante, les Chinois devraient avoir « confiance en eux ».

Cependant, certains internautes chinois établis à l’étranger ne sont pas d’accord avec l’utilisation des termes « Nouvel An chinois » ou « Nouvel An de Chine » (China’s New Year), car cette fête n’est pas célébrée par les seuls Chinois. Dans le quartier chinois de Sydney, il y a toujours eu une célébration du Nouvel An lunaire appelée « Chinese New Year », mais en 2019, elle a été remplacée par le « Lunar New Year Festival » en raison des objections des communautés non chinoises de la ville. Cependant, certains ressortissants chinois estiment toujours qu’il ne faut pas la changer.

Le « Nouvel An lunaire » du consensus

Il est évident que le « Nouvel An lunaire » est le terme original utilisé pour désigner le festival du printemps. Cependant, avec la montée des politiques identitaires, nationalistes en Chine, le terme « Nouvel An chinois » est poussé dans son usage, porté par la diplomatie culturelle de Pékin. Le problème est que le Nouvel An n’est pas le monopole de la Chine ou des Chinois. En outre, les Chinois d’Asie du Sud-Est considèrent que leur avenir est lié au pays dont ils sont citoyens. Le débat sur le « Nouvel An chinois » ou le « Nouvel An lunaire » intervient à un moment où l’essor de la Chine pose un défi à la construction de la nation dans les pays de la région.

La France n’échappe pas non plus à la stratégie d’influence culturelle chinoise. Une stratégie légitime. Mais, la France cherche-t-elle vraiment à la résister ou au moins à tenter un équilibre honnête, équitable ? Non, pas vraiment. Le site officiel de l’Office du Tourisme et des Congrès de Paris utilise toujours la qualification « chinoise » pour présenter le Nouvel An lunaire 2021. Et on la voit encore dans les médias, même si la tendance va vers une diminution.

En ces jours, la Mairie du 13e arrondissement de Paris produit un livret qu’elle vient de distribuer au public — dans les écoles et les commerces — à l’occasion du Nouvel An lunaire de 2021, et qu’on peut remarquer sans peine la présence du terme « Nouvel An chinois » dans les pages.

Mais, soyons optimistes. Le président de la République française Emmanuel Macron a prononcé aujourd’hui les voeux du Nouvel An…lunaire aux Français qui le fêtent. Et sur sa page Facebook, des voeux spécifiques écrits en vietnamien, en coréen et en chinois.

Revenons donc au terme original — le Nouvel An lunaire — plutôt qu’aux termes qui mettent l’accent sur l’ethnicité ou l’identité nationale d’un pays.

 

 

Par Vo Trung Dung et la rédaction d’Asie Pacifique News

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Illustration de Une : « Le buffle de moi et Joan Miro » © Jim Rain.


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