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Droits de l'homme — ©MEIRO KOIZUMI (Japon)

UE : Le « Magnitsky Act » européen  – Part 01

L’Union européenne peut désormais sanctionner les auteurs de violations des droits de l’homme dans le monde entier. Depuis le 7 décembre 2020, l’UE s’est dotée d’un nouvel outil puissant, qui pourrait donner un coup de pouce à la politique Joe Biden.

Le Conseil des Affaires étrangères du Conseil de l’Union européenne a adopté la décision du Conseil (PESC) 2020/1999 et le règlement « UE 2020/1998 » — un règlement dit « du Conseil ». Ils concernent des mesures restrictives et des sanctions à l’encontre des auteurs de violations graves des droits de l’homme et des abus. Une sorte de « Global Magnitsky Act » européen qui établit ensemble le premier régime global et complet de sanctions en matière de droits de l’homme à être adopté par l’Union européenne.

Les outils de sanctions de l’UE permettront de cibler les personnes et les entités responsables de violations et d’abus graves des droits de l’homme, ou qui sont impliqués ou associés à ces violations et abus. Ils prévoient la possibilité d’imposer des interdictions de voyage, des mesures de gel des avoirs et l’interdiction de mettre des fonds ou des ressources économiques à la disposition des personnes désignées.

Cette adoption souligne que la promotion et la protection des droits de l’homme restent une pierre angulaire et une priorité de l’action extérieure de l’UE qui, jusqu’alors, ressemblaient plus aux voeux diplomatiques que d’actes effectifs.

Une unanimité plutôt rare

Les 27 États membres de l’UE ont tous donné leur accord, y compris certains pays problématiques en matière démocratique, comme la Hongrie, qui avait auparavant bloqué les tentatives d’adoption de ce type de loi à l’échelle européenne.

Concrètement, cela donne à l’UE une plus grande flexibilité et une réelle efficacité quant à savoir qui et ce qu’elle peut cibler en cas de violation des droits. Cette loi s’applique à tous les États membres de l’UE. Auparavant, Bruxelles se limitait essentiellement à appliquer des sanctions dans des situations spécifiques à un pays, comme un conflit, comme en Syrie, ou pour certaines questions comme le terrorisme ou les cyberattaques.

Julia Friedlander, chargée de mission au Conseil atlantique : « Cela montre que la boîte à outils de l’UE contient désormais une arme supplémentaire. Ce fait est important pour l’administration Biden, car l’UE pourra montrer que nous sommes des acteurs mondiaux, que nous assumons une partie de cette responsabilité supplémentaire. »

Et quelques lacunes

Le régime de sanctions de l’UE présente certaines lacunes. Par exemple, il n’inclut pas la corruption et exige que tous les États membres se mettent d’accord sur les sanctions, ce qui risque de diluer son efficacité lorsque la politique et les intérêts nationaux entrent en jeu.

Mais la décision de l’Union européenne d’adhérer au « club » mondial de Magnitsky Act  — qui comprend Washington, Londres, Ottawa et une moindre mesure, le Kosovo, et bientôt Canberra — pourrait être un outil puissant pour les Occidentaux. Ils pourraient ainsi coordonner leur action contre les auteurs de violations des droits de l’homme.

Juliet Sorensen, professeure à la Northwestern University School of Law : « Ces lois rendront beaucoup plus difficile pour les auteurs d’abus de droits de l’homme de profiter de leur position de pouvoir et de cacher leur argent dans des endroits dotés de systèmes bancaires fiables comme l’UE ou les États-Unis. L’idée est d’isoler ces fonctionnaires, ces politiques, à la fois financièrement et littéralement. »

 

©SOULIYA PHOUMIVONG (Laos)
© Souliya Phoumivong (Laos)
Les premiers cas possibles : Hong Kong, Viêt Nam et Turquie

Le 21 janvier 2021, le Parlement européen a adopté trois résolutions critiques faisant le point sur la situation des droits de l’homme à Hong Kong, en Turquie et au Viêt Nam. Il est important d’observer le nombre élevé des voix « Pour » de ces résolutions.

Que disent ces trois résolutions ?

La répression de l’opposition démocratique à Hong Kong. Le Parlement demande la libération immédiate et inconditionnelle des représentants de l’opposition démocratique et des militants arrêtés à Hong Kong dans les deux premières semaines de 2021, ainsi que de tous ceux qui ont été détenus précédemment pour « subversion » en vertu de la loi de sécurité nationale pour Hong Kong.

Il en va de même pour tous les manifestants, militants et membres de l’opposition politique pacifiques de Hong Kong, arrêtés sur la « base d’accusations à motivation politique. » Il s’agit notamment des personnalités de l’opposition Joshua Wong, Ivan Lam et Agnes Chow, dont les accusations devraient toutes être abandonnées, selon le Parlement.

Les députés européens regrettent que la récente conclusion politique de l’accord global UE-Chine sur les investissements n’ait pas reflété les demandes du Parlement d’utiliser les négociations sur les investissements comme un outil de levier pour préserver le haut degré d’autonomie de Hong Kong. « En se précipitant pour parvenir à cet accord et en ne prenant pas de mesures concrètes contre les violations graves et continues des droits de l’homme, l’UE risque de saper sa crédibilité en tant qu’acteur mondial des droits de l’homme, » disent-ils.

Le Parlement demande également aux pays de l’UE d’envisager l’introduction de sanctions ciblées contre des individus à Hong Kong et en Chine, y compris le dirigeant de Hong Kong Carrie Lam, dans le cadre du nouveau régime de sanctions globales de l’UE en matière de droits de l’homme.

La résolution a été approuvée par 597 voix pour, 17 contre et 61 abstentions.

Le Viêt Nam et l’arrestation des journalistes-citoyens. Le Parlement européen et la Commission demandent aux autorités vietnamiennes de libérer immédiatement et sans condition les défenseurs des droits de l’homme et les journalistes-citoyens Pham Chi Dung, Nguyen Tuong Thuy et Le Huu Minh Tuan, ainsi que tous les autres détenus et condamnés dans le pays pour avoir simplement exercé leur droit à la liberté d’expression, et d’abandonner toutes les charges retenues contre eux.

Les députés européens déclarent « consternés par l’intensification de la répression de la dissidence et par les violations croissantes des droits de l’homme au Viêt Nam, qu’ils condamnent. »

Ils rappellent que « le respect des droits de l’homme constitue un fondement essentiel des relations bilatérales entre le Viêt Nam et l’UE et est un élément essentiel de l’accord de libre-échange UE-Viêt Nam (EVFTA). Le Parlement appelle toutes les parties concernées à utiliser les accords UE-Viêt Nam existants pour améliorer la situation des droits de l’homme dans le pays. Il demande à la Commission européenne et au Service européen pour l’action extérieure de procéder à une évaluation de la manière dont l’accord de libre-échange actuel pourrait affecter les droits de l’homme au Viêt Nam. »

Cette résolution a été approuvée par 592 voix pour, 32 contre et 58 abstentions. 

La Turquie et ses prisonniers d’opinion. Les députés demandent la libération immédiate et inconditionnelle de Selahattin Demirtaş, homme politique turc de l’opposition, ancien député et ancien candidat à la présidence, qui est détenu depuis plus de quatre ans par les autorités turques sur « la base d’accusations infondées et malgré deux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme en faveur de sa libération. »

La résolution : « Le recul persistant de la Turquie en matière d’indépendance du pouvoir judiciaire et le mépris dont font preuve le pouvoir judiciaire et les autorités turques à l’égard des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme sont très préoccupants. La Cour appelle les autorités turques à mettre fin au harcèlement judiciaire dont sont victimes les défenseurs des droits de l’homme, les universitaires, les journalistes, les chefs spirituels, les avocats et les membres des communautés lesbienne, gay, bisexuelle, transgenre et intersexuelle. »

Le texte a été approuvé par 590 voix pour, 16 contre et 75 abstentions.

Vo Trung Dung

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Illustration de Une : Hong Kong par © Meiro Koizumi, né en 1976 à Gunma, Japon. Il vit et travaille à Yokohama.

Travaillant principalement en vidéo, Meiro Koizumi mélange une expérimentation formelle avec un commentaire social aigu, souvent axé sur la montée de l’ultra-nationalisme au Japon, ainsi que des souvenirs et des représentations de la guerre du Pacifique. Il utilise la vidéo pour révéler la fragilité de la psyché humaine et pour attirer ses spectateurs dans les relations complexes entre l’individu et le pouvoir.

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Illustration dans l’article : © Souliya Phoumivong, né en 1983 Ban Kokxay, Laos. Il y vit toujours.

L’artiste Souliya Phoumivong a d’abord suivi une formation de peintre classique et a été membre du premier espace géré par des artistes au Laos. Ses œuvres englobent désormais la photographie, la vidéo et l’animation (claymation). Il a créé le Clay House Studio en 2012.


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