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Trump ou Biden ? Et Asie © Pham Ngoc Thai Linh

Trump ou Biden et l’Asie du Sud-Est

#Analyse | Le résultat à venir de l’élection présidentielle américaine du 3 novembre 2020 fait l’objet de toutes les attentions en Asie du Sud-Est. Les États de la région suivront les événements qui se dérouleront en Amérique au cours des prochains mois avec plus d’anxiété que d’espoir. L’engagement de l’administration Trump avec l’Asie du Sud-Est au cours des quatre dernières années présente un bilan mitigé. Le serait-il différent avec Joe Biden ?

L’absence de l’Asie dans le débat politique de la présidentielle américaine jusqu’à présent signifie que l’avenir de la politique étrangère et l’approche de Washington vis-à-vis de l’Asie-Pacifique sont spéculatifs, quel que soit le candidat gagnant.

Si le président Donald Trump est réélu pour un second mandat, il est probable qu’il poursuivra bon nombre des mêmes politiques, tant au niveau national qu’international. Le Comité national républicain a choisi de ne pas publier le programme du parti pour 2020, mais a décidé de maintenir celui de 2016. Un second mandat sera probablement aussi caractérisé par la même frustration — des pays d’Asie — et par la même imprévisibilité qui a marqué son premier mandat.

À moins que Joe Biden ne remporte une majorité écrasante des États, du vote populaire et du collège électoral, Donald Trump pourrait contester le résultat, ce qui entraînerait une incertitude politique et peut-être des protestations violentes pendant plusieurs mois. Un tel scénario serait probablement plus déstabilisant que les suites de l’élection présidentielle contestée de 2000. Le spectacle du chaos politique saperait encore plus l’image internationale de l’Amérique et renforcerait le récit favori de Pékin selon lequel les États-Unis sont une grande puissance en déclin.

Le facteur chinois

Vue de Kuala Lumpur ou de Hanoi, si Joe Biden prend ses fonctions en janvier 2021, son administration sera probablement moins imprévisible et plus cohérente que celle de son prédécesseur. Tout au moins, dans les formes.

Sous Biden, la politique étrangère américaine ne « renouera pas » avec celle de l’ère Obama, bien que son administration puisse mettre davantage l’accent sur le renforcement des relations de l’Amérique avec les alliés et les organisations internationales qui se sont effilochés sous Trump. La stratégie de confrontation de Washington envers la Chine restera largement inchangée sous Biden. L’atmosphère des relations sino-américaines pourrait même s’améliorer légèrement et les tactiques utilisées par Washington pour poursuivre cette rivalité pourraient également changer.

La trajectoire future des relations sino-américaines sous Trump ou Biden influencera grandement l’environnement sécuritaire de l’Asie du Sud-Est. Quel que soit le candidat qui l’emportera, les pays d’Asie du Sud-Est se trouveront au centre d’une rivalité sino-américaine de plus en plus intense, notamment en ce qui concerne la Mer de Chine méridionale où les tensions resteront élevées ou s’aggraveront.

Le gouvernement Trump a eu très peu de réunions bilatérales avec les chefs de gouvernement de l’Asie du Sud-Est. En fait, au cours des 11 derniers mois, Donald Trump n’a pas rencontré un seul dirigeant de cette région. Depuis mars 2019, le seul dirigeant régional qu’il ait rencontré est le Premier ministre de Singapour, Lee Hsien Loong, en septembre 2019 à New York. Par rapport à l’administration Obama, Donald Trump a accordé peu d’attention à l’ASEAN.

L’engagement économique

Les pays d’Asie du Sud-Est n’ont pas été affectés par les politiques économiques agressives de l’administration Trump. Et ce, malgré le fait que huit des dix économies régionales affichent des excédents commerciaux avec les États-Unis. Le Viêt Nam étant le pays le plus excédentaire, le plus déséquilibré de la balance commerciale.

Contrairement à la Corée du Sud, au Canada et au Mexique, l’administration Trump n’a pas cherché à se retirer de l’accord de libre-échange États-Unis-Singapour, le seul accord de libre-échange bilatéral de l’Amérique en Asie du Sud-Est.

Les économies de l’Asie du Sud-Est ont été, en revanche, très touchées par les répercussions des mesures prises par l’administration Trump en matière de commerce et d’investissement contre la Chine. Tout comme le retrait soudain de Washington — sous Trump — de l’Accord Partenariat transpacifique (TPP). Le Brunei, la Malaisie, Singapour et le Vietnam ont maintenu malgré tout l’esprit de TPP, après le recul des États-Unis et ont signé l’Accord global et progressif pour le partenariat transpacifique  (CPTPP) en mars 2018.

L’engagement général en matière de défense

L’engagement de défense des Etats-Unis avec les États d’Asie du Sud-Est s’est renforcé sous Trump. Dans le cadre de sa « politique d’ouverture et de liberté en Indo-Pacifique » (FOIP), Washington a mis en place d’un système composée d’alliances bilatérales, de partenariats et d’accords multilatéraux. Le gouvernement américain a également cherché à augmenter les ventes d’armes à la région tout en essayant de persuader les États de l’ASEAN de mettre fin aux achats d’équipements de défense à la Russie et à la Chine.

Depuis l’entrée en fonction de Donald Trump, les relations de défense entre les États-Unis et la Thaïlande ont été normalisées, tandis que les liens de sécurité avec le Viêt Nam, Singapour et l’Indonésie ont été encore consolidés. En raison des tendances pro-Chine et antiaméricaines du président Duterte, l’alliance américano-philippine a été mise à rude épreuve, bien que l’armée et le secteur défense aient réussi à préserver les liens avec Washington. Les relations entre les Philippines et les États-Unis sous l’administration Duterte se sont améliorées lorsque le président Trump a succédé au président Obama. Les liens militaires avec le Cambodge, le Myanmar et le Laos sont restés limités en raison des sanctions américaines sur les armes.

La Mer de Chine méridionale

Le conflit de la Mer de Chine méridionale a été l’un des principaux axes de la politique de l’administration Trump en Asie du Sud-Est. Depuis 2017, le gouvernement américain ne se contente plus de critiquer la politique agressive de la Chine dans la Mer de Chine méridionale, mais qualifie « d’illégales les revendications et les activités de Pékin ». L’US Navy a considérablement augmenté la fréquence de ses missions de présence sur, au-dessus et sous la Mer de Chine méridionale.

Entre mai 2017 et août 2020, l’US Navy a mené 24 opérations de liberté de navigation (FONOP) dans les îles Paracel et Spratley, soit six fois plus que sous l’administration Obama. La politique plus active de l’administration Trump en Mer de Chine méridionale a été généralement bien accueillie par les pays d’Asie du Sud-Est, en particulier son soutien à leurs droits souverains dans leurs zones économiques exclusives. Toutefois, certains craignent qu’un affrontement militaire entre les États-Unis et la Chine dans la région n’entraîne une crise indésirable.

L’image dégradée des Etats-Unis

Dans l’ensemble, l’image de l’Amérique en Asie du Sud-Est a souffert au cours des quatre dernières années. Dans son enquête annuelle sur les opinions des élites régionales en janvier 2020, l’Institut ISEAS-Yusof Ishak (Singapour) a constaté que 49,7 % des personnes interrogées ne croyaient pas ou peu que les États-Unis feraient « quelque chose de très positif » en matière internationale, tandis que 77 % estimaient que l’engagement de l’Amérique en Asie du Sud-Est avait diminué depuis l’entrée en fonction de Donald Trump. Les trois cinquièmes sont d’avis qu’un changement de président lors de l’élection de novembre 2020 renforcerait leur confiance dans la position de l’Amérique dans la région.

Un éventuel deuxième mandat de Donald Trump persisterait probablement avec la même approche personnalisée de la politique étrangère et de la diplomatie, et des politiques économiques et de défense. Le rejet du multilatéralisme par l’administration Trump et son approche de la Chine devraient rester les facteurs déterminants les plus importants dans l’engagement des États-Unis en Asie du Sud-Est.

Joe Biden et l’Asie du Sud-Est

Bien que les programmes des partis américains ne soient pas censés être des promesses d’action concrète, ils donnent une indication générale des orientations politiques que l’administration prendra. Le programme du parti démocrate fait un certain nombre de promesses en matière de politique étrangère :

  • Les États-Unis s’opposeront à la Chine en ce qui concerne les violations de la propriété intellectuelle et le cyberespionnage industriel ;
  • Les alliances sont la pierre angulaire de la sécurité nationale américaine et doivent être réparées et réinventées pour faire face aux nouveaux défis ;
  • Les valeurs démocratiques seront au cœur de la politique étrangère — et la « persécution des Rohingyas par autorités de la Birmanie » sera condamnée ;
  • L’Amérique investira davantage dans, la diplomatie et la santé publique tout en maintenant des forces armées fortes.

Le programme du parti démocrate manque de détails, il est difficile de discerner quelles peuvent être les implications politiques pour l’Asie du Sud-Est.

Comme il existe un consensus bipartite sur la Chine et les menaces perçues qu’elle représente pour la sécurité nationale des États-Unis, il ne faut pas s’attendre à un changement majeur de la politique à l’égard de la Chine. Et encore moins à un retour à la politique de « l’engagement » qui est maintenant considéré comme ayant échoué à transformer la Chine en un pays plus démocratique et un partisan de l’ordre international fondé sur des règles. Ainsi, les sujets conflictuels dans les relations entre les États-Unis et la Chine non résolus — Taiwan, Xinjiang, Hong Kong, pratiques commerciales déloyales, opérations d’influence, espionnage, etc. —, selon toute probabilité, s’aggraveront.

La politique américaine en Mer de Chine méridionale, sous l’égide de Joe Biden, restera inchangée. On peut s’attendre à une augmentation du rythme des exercices avec les alliés et les partenaires, des missions de présence et des FONOP. Les États-Unis continueront à fournir un soutien au renforcement des capacités pour ses partenaires d’Asie du Sud-Est.

La campagne électorale de Joe Biden a promis de revenir au soutien du parti démocrate au multilatéralisme en tant qu’outil important du leadership américain dans le monde. Joe Biden a promis de rejoindre l’Accord de Paris de 2015 sur le changement climatique « et à diriger le monde pour faire face à l’urgence climatique ».  Il s’est engagé à réintégrer l’Organisation mondiale de la santé (OMS)  « dès son premier jour de mandat ». Joe  Biden cesserait probablement de refuser de nouveaux juges à l’Organe d’appel de l’OMC et travaillerait plus étroitement avec l’Union européenne, le Japon et d’autres pays pour réformer l’OMC, avec comme moteur principal leurs préoccupations communes concernant la Chine.

L’Asie du Sud-Est et perspectives

Plusieurs États de la région sont susceptibles de bien accueillir un second mandat de Donald Trump, en particulier le Viêt Nam — qui apprécie la ligne dure de son administration à l’égard de la Chine, notamment dans la Mer de Chine —, et la Thaïlande qui a normalisé ses relations avec les États-Unis après l’entrée en fonction de Trump en 2016.

Toutefois, la principale préoccupation des pays de l’ASEAN sera l’intensification de la rivalité entre les États-Unis et la Chine dans les domaines du commerce, de la technologie, en Mer de Chine méridionale et du Mékong. Bien que Taïwan ne fasse pas partie de l’Asie du Sud-Est, elle est géographiquement contiguë. La montée des tensions entre les États-Unis et la Chine au sujet de Taïwan aurait probablement un effet d’entraînement sur la région. Dans le pire des cas, si un conflit militaire éclate au sujet de Taïwan, les États d’Asie du Sud-Est pourraient être contraints de choisir leur camp, même s’ils souhaitent rester neutres.

Les trois voeux de l’Asie du Sud-Est

Si Joe Biden forme la prochaine administration américaine, les États d’Asie du Sud-Est espéreront trois changements d’approche et de politique :

  • Une approche moins transactionnelle des relations bilatérales.
  • Une participation plus fréquente des hauts responsables politiques américains aux forums dirigés par l’ASEAN, en particulier le Sommet de l’Asie orientale (EAS).
  • Certains pays d’Asie du Sud-Est espéreront que les États-Unis rejoignent le CPTPP. Les perspectives à cet égard ne sont pas bonnes. Selon la plate-forme du parti démocrate, les États-Unis « ne négocieront aucun nouvel accord commercial avant d’avoir d’abord investi dans la compétitivité américaine sur leur territoire ». Les législateurs démocrates se méfient depuis longtemps des accords de libre-échange.

Les États d’Asie du Sud-Est seront moins enthousiastes à l’égard d’une administration Biden si celle-ci adopte une position rhétorique forte sur la promotion de la démocratie et des droits de l’homme, comme l’ont fait les administrations démocrates précédentes. Ces préoccupations seraient aggravées si un partisan convaincu des droits de l’homme était nommé secrétaire d’État.

Les inquiétudes concernant le déclin relatif de l’Amérique face à la Chine étaient déjà présentes en Asie du Sud-Est avant la victoire surprise de Donald Trump à la présidence en 2016. Les craintes concernant le désengagement des États-Unis de la région et l’utilisation plus agressive par la Chine de sa puissance croissante au cours des quatre dernières années les ont considérablement aggravées.

Une deuxième administration Trump ou une première administration Biden aura du mal à répondre à ces inquiétudes, mais devra obtenir un plus grand soutien régional pour les politiques américaines sur la Chine et les efforts pour réaffirmer le leadership américain.

Par Vo Trung Dung

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Dessin de Une : © Phạm Ngọc Thái Linh, Việt Nam.


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