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Eyes on China by © Greg Groesch-The Washington Time

Mer de Chine : Washington courtise Hanoi, l’ASEAN et réoriente sa stratégie

Washington courtise Hanoi — qui fait inversement de même — et réoriente sa stratégie des « puissances moyennes » de la région afin de contenir la politique maritime expansionniste de Pékin. Rappelons que la Mer de Chine est la principale route maritime du commerce international, la plus fréquentée du monde, où les revendications de la Chine sur ces eaux totalisent presque toute la surface, y compris les zones économiques exclusives (ZEE) des pays voisins. De plus, Pékin ambitionne d’imposer ses propres zones d’identification de la défense aérienne (ADIZ) qui lui permettent de contrôler de facto l’espace aérien civil et militaire au-dessus de la Mer de Chine.

#Mer de Chine méridionale. Les pays de l’ASEAN, malgré leur divergence à propos de la Chine, en particulier le Vietnam, ont déroulé le tapis rouge au secrétaire d’État de la Défense américaine Mark Esper, qu’il soit à Hanoi ou à Manille, au menu, le soutien diplomatique et logistique et l’accord stratégique de défense.

En visite officielle au Vietnam — le pays s’oppose le plus à Pékin en Mer de Chine méridionale, — le représentant de Washington a été reçu en grande pompe par les plus hauts dirigeants vietnamiens, qu’ils soient politiques ou militaires. En rendant la politesse, Mark Esper a promis que les États-Unis allaient augmenter le niveau de coopération en matière de défense, que Washington soutiendrait Hanoi dans les démarches diplomatiques et juridiques afin de contrer les revendications maritimes de Pékin. L’Américain a en outre signé un accord de transfert au Vietnam, de 2019 à 2021, encore six navires de garde côtiers « d’occasion » américains qui seront modernisés par Hanoi.

Coopération américano-vietnamienne

Pour contrer la politique chinoise en Mer de Chine méridionale, le Vietnam profitera de l’appui des États-Unis. Et Washington aura besoin aussi de Hanoi pour sa stratégie d’Indo-Pacifique. Il s’agit là de « l’amitié » et de partenariat par nécessité et intérêt mutuel.

Les États-Unis, via « US Naval Information Warfare Center Pacific » (NIWC), viennent de former 16 cadres de différentes forces maritimes vietnamiennes — la douane, la police maritime, l’Inspection de pêche — à « la capacité de jugement des situations conflictuelles rencontrées en mer » et à l’usage du système SeaVision développé par le ministère américain des Transports et destiné à l’US-Navy et à la marine marchande. Cette formation fait partie de l’engagement de Washington d’aider Hanoi à être « indépendante, forte et prospère. »

Le NIWC, basé à San Diego, en Californie, possède des centres régionaux à Hawaii, à Guam, au Japon et à Singapour. Le NIWC fournit à la marine et à l’armée américaines des capacités essentielles en matière de commandement et de contrôle, de communications, d’ordinateurs, de renseignement, de surveillance et de reconnaissance du cyberespace et l’espace.

 

SOUTH CHINA SEA (May 11, 2015) The littoral combat ship USS Fort Worth (LCS 3) conducts routine patrols in international waters of the South China Sea near the Spratly Islands as the People’s Liberation Army-Navy [PLA(N)] guided-missile frigate Yancheng (FFG 546) sails close behind. (U.S. Navy photo by Mass Communication Specialist 2nd Class Conor Minto/Released)
Le 11 mai 2015, le navire de combat littoral USS Fort Worth (LCS 3) en patrouille près des îles Spratleys en Mer de Chine méridionale. Crédit © U.S. Navy / Services de communication / Photographe militaire Conor Minto.
Changement de ton des déclarations américaines

Le 23 octobre 2019, du Commandement du Pacifique, le secrétaire de la Marine américaine Richard Spencer a déclaré que les États-Unis relèveront « le défi de contrer la menace de la Chine, et les gouvernements de la région devront tous ensemble répondre à cette menace. » En quelque sorte, la stratégie indopacifique de Washington s’appuiera sur ses alliés régionaux.

« Nous avons maintenant un concurrent — la Chine, — qui ne fait aucune différence entre les choses militaires et civiles. Alors, nous devons y répondre par des actions réunissant tous les organismes gouvernementaux, y compris les ministères du Commerce, du Trésor et de l’Agriculture… », a poursuivi M. Richard Spencer dans une allocution prononcée à la Brookings Institution de Washington, faisant référence à l’approche unifiée de la Chine dans ses secteurs public et privé lorsqu’il s’agit de concurrencer les États-Unis.

A Kuala Lumpur, le 31 octobre 2019, le responsable de l’Asie de l’Est et du Pacifique du Département d’État américain, David Stilwell enfonce le clou : « Les pays de l’Asie du Sud-Est réunis doivent opposer une résistance plus ferme à la militarisation par la Chine de la Mer de Chine méridionale. »

En même temps, David Stilwell a cherché à minimiser les réactions de la Chine au sujet de la présence proactive des États-Unis dans la région : « Le concept d’une région indopacifique libre et ouverte n’était pas un quelque chose visant à étendre la domination américaine, mais reflétait l’engagement durable américain pour rendre cette région prospère. Car, sans la sécurité, il n’y a pas de commerce et que la prospérité y est impossible. » Il a ajouté : « Les États-Unis n’ont jamais cherché et ne chercheront jamais à dominer dans l’Indo-Pacifique, et nous nous opposerons à tout pays qui le fera. ».

Stilwell, citant le Vietnam comme le pays qui résiste le mieux à la Chine, a rajouté : « Les pays d’ASEAN doivent prendre l’exemple sur le Vietnam ! » Au-delà de cette déclaration, David Stilwell savait que l’ASEAN demeure divisée plus que jamais et que Hanoi était presque seul face à Pékin.

Pour David Stilwell, le Code de conduite en Mer de Chine — COC — en cours de négociation entre la Chine et l’ASEAN devrait être conforme à la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (UNCLOS) afin de protéger les intérêts économiques de tous les pays et d’assurer la liberté de navigation. Il a assuré : « Même si les États-Unis n’ont pas ratifié cette convention, nous nous y conformons et nous l’appliquons. Et, les États-Unis ont une position très simple : les droits de toutes les nations doivent être respectés, quelles que soient leur taille, leur puissance ou leurs capacités militaires. »

Vidéo (en anglais) : Conférence « Rôle de la Chine en Asie de l’Est », 02/12/2019. The Brookings Institution Washington

Changement de doctrine d’US Navy : des navires plus mobiles et des garde-côtes

En cette fin de novembre 2019, la Marine de guerre américaine dispose de 2 nouveaux navires opérant en Mer de Chine méridionale pour envoyer un message clair à la Chine, selon les déclarations de son porte-parole.

Deux navires de combat côtiers de classe « Independence » de la marine américaine — l’USS Gabrielle Giffords et l’USS Montgomery — naviguent actuellement dans les eaux disputées de la Mer de Chine méridionale en partant de leur base navale établie à Singapour. Le ministre américain de la Défense, Mark Esper, affirme le 20 novembre 2019, depuis Hanoi, lors d’une visite officielle de trois jours : « ces opérations ont été intensifiées pour dire à la Chine qu’elle doit se conformer aux règles internationales. Et les États-Unis effectueraient encore et davantage de patrouilles dans la Mer de Chine méridionale… »

Le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Geng Shuang, a riposté lors d’un point presse à Pékin, en déclarant, sans surprise, que les États-Unis cherchaient depuis longtemps à « attiser les flammes » et à créer « le chaos dans la mer de Chine du Sud ». M. Geng a ajouté que la Chine travaillait avec les pays de la région pour assurer la stabilité et a exhorté les États-Unis à cesser d’agir en tant que « perturbateur ».

Pékin continue à étendre sa présence militaire dans la région en construisant des avant-postes militaires avec des aérodromes, des radars, des positions de missiles et des ports navals sur ses îles artificielles sont contestés par les pays voisins comme le Vietnam, l’Indonésie, et aussi les États-Unis.

Bâtiments de combat littoral

L’US-Navy renforce ainsi sa présence en Mer de Chine méridionale en déployant ces deux navires spécialisés dans les opérations à proximité du littoral. Ce déploiement des navires de combat côtier suggère que la stratégie américaine est passée de la reconnaissance et de la dissuasion à l’augmentation de sa capacité d’attaque.

Le secrétaire américain à la Défense, Mark Esper, a affirmé le 23 novembre 2019 à Manille que les États-Unis « rejettent les tentatives de toute nation de recourir à la coercition ou à l’intimidation pour promouvoir les intérêts internationaux au détriment des autres. »

Il a également exhorté les pays autour de la Mer de Chine méridionale à faire valoir leurs droits souverains afin de mettre la Chine « sur la bonne voie » en précisant que « le signal clair que nous essayons d’envoyer n’est pas que nous nous opposons à la Chine en soi, mais que nous défendons toutes les règles et les lois internationales et que nous pensons que la Chine devrait également les respecter. »

Jusqu’à maintenant, la plupart des navires utilisés par l’US-Navy lors de missions antérieures de « liberté de navigation » (FONOP) étaient des destroyers à missiles guidés ou des croiseurs. Mais les navires de combat côtier ont des avantages uniques dans la région de par le faible tirant d’eau des bâtiments leur donnant un meilleur accès aux eaux peu profondes, ce qui faciliterait les missions de reconnaissance dans les récifs dispersés des Spratleys. Leur vitesse rapide — jusqu’à 50 nœuds nautiques — est également un avantage pour les missions de liberté de navigation, selon le rapport.

Grâce à leur conception modulaire, les navires de combat littoral peuvent également passer rapidement à des missions de combat ou à des opérations antimines et anti-sous-marines. En particulier, l’USS Gabrielle Giffords, qui est équipé de missiles antinavires avancés, peut compléter les opérations de la Septième flotte américaine basée dans le Pacifique. Au début d’octobre 2019, l’USS Gabrielle Giffords a fait l’essai d’un missile d’attaque naval d’une portée de plus de 100 miles marins — le premier essai du missile furtif dans la région Indo-Pacifique.

Pékin en Mer de Chine -Dessin © ALBANO
Pékin en Mer de Chine -Dessin © ALBANO
Nouvelle stratégie de l’US-Navy

Le déploiement de ce type de navires représente un changement subtil dans la stratégie de l’US-Navy dans la Mer de Chine méridionale, suggérant que le commandement américain commence à se concentrer sur des moyens pratiques d’améliorer leur capacité de frappe dans la région en recherchant de manière proactive la dissuasion militaire et en se préparant aux conflits militaires potentiels.

« Peu crédible et de caractère publicitaire ! » jugeant l’expert militaire chinois Song Zhongping, de Hong Kong, dans le journal hongkongais South China Morning Post (propriété de Jack Ma de l’Alibaba). Pour Song Zhongping, « ces navires ne représentaient pas une menace importante pour les îles et les récifs contrôlés par les Chinois dans la Mer de Chine méridionale, car ils ne disposaient pas de capacités furtives et étaient fragiles. Et en réponse, Pékin pourrait y renforcer les missiles et les avions antinavires basés à terre ou même le déploiement de porte-avions à l’avenir. » 

Déploiement des garde-côtes américains

La force des garde-côtes américaine se renforce et projette d’accueillir à Guam, dans les deux prochaines années, trois de leurs nouveaux bâtiments de garde-côtes d’intervention rapide. Le projet a été annoncé par l’amiral Karl Schultz, commandant du corps des garde-côtes des États-Unis, lors d’une conférence de presse à Manille le 21 octobre 2019.

Ce déploiement futur permettra aux garde-côtes américains de patrouiller plus façon fréquente avec des missions plus longues en Mer de Chine méridionale où ils ont accru leur présence tout au long de 2019. En janvier et en mars 2019, l’USS-Bertholf a assuré une présence continue dans le détroit de Taïwan. Le premier des trois navires prévus pourrait arriver à Guam dès la mi-2021.

L’amiral Karl Schultz : « Face au comportement coercitif et antagoniste de la Chine, le Garde-côte américain offre un engagement et un partenariat transparents tant sur le plan professionnel que personnel. Mon objectif premier est que nous devenions un partenaire privilégié dans la région. »

Il s’agit d’une stratégie que Washington met en place depuis 2010 qui privilégie les forces de police maritime à la place de la marine de guerre. Cela permet d’éviter la confrontation directe, armée et risquée entre l’US-Navy et la Marine de guerre chinoise. Les forces « civiles » facilitent aussi la coopération avec les acteurs régionaux et « alliés » non liés par un accord de défense complet, ou une coopération devant être autorisée par le Congrès, comme c’est le cas du Vietnam.

En juillet 2019, M. Schultz a annoncé qu’il avait vu des « indicateurs clairs de l’influence chinoise dans les îles Mariannes du Nord et les États de Micronésie près de Guam. » Il a aussi accusé Pékin de « promouvoir et d’étendre leurs propres intérêts dans la région par au détriment des intérêts régionaux des pays partenaires indopacifiques et asiatiques au sens large. »

Bien que le corps des garde-côtes des États-Unis relève du Département de la Sécurité intérieure, Washington va mettre des navires des garde-côtes sous le commandement de la 7e Flotte de l’US-Navy, basée au Japon. Les garde-côtes opèrent ainsi en dessous du niveau d’engagement armé du ministère de la Défense en cas de conflit ouvert et au-dessus du niveau des actions diplomatiques du Département d’État. Une sorte de juste milieu des réponses aux actions chinoises. Notons que Pékin adopte la même stratégie de « zone grise ».

Les garde-côtes américains aident aussi le Vietnam à équiper des navires de patrouille que les États-Unis ont donnée à Hanoi dans le cadre du programme Excess Defense Article. Les États-Unis se préparent également à vendre au Vietnam 24 nouvelles vedettes de patrouille ultrarapides fabriquées par la société Metal Shark Boats. Cette décision intervient alors que les navires chinois ont commencé à perturber les activités pétrolières et gazières du Vietnam en juin 2019.

Le programme Excess Defense Article permet aux États-Unis d’offrir du matériel de défense excédentaire, comme des navires et des armes, aux pays partenaires par le biais d’une subvention ou à un prix réduit. Et tout cela changera la donne et rétablira quelque peu l’équilibre des forces de la région face à Pékin en Mer de Chine méridionale.

Vo Trung Dung

(Hanoi, Bangkok, Manille, Hawaï)

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Illustration : « Eyes on China » by © Greg Groesch

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