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Spratleys Militarisation chinoise

La Chine militarise la Mer de Chine méridionale comme jamais

La Chine aurait installé de façon intensive ses armements défensifs anti-navires et sol-air en avril 2018 sur trois îles artificielles dans l’archipel des Spratleys. La révélation de la chaîne de télévision CNBC, citant des sources issues des services de renseignement américain, intervient alors que l’armée chinoise effectue en avril 2018 ce que les États-Unis décrivent comme son plus grand exercice militaire jusqu’à présent en la mer de Chine méridionale. En parade et face à Taiwan, Pékin aligne ses 48 navires modernes dont son unique porte-avion — le Liaoning.

La Chine a installé de nouveaux équipements de guerre électronique sur deux de ses avant-postes fortifiés — les récifs Fiery Cross et Mischief — dans les Spratleys. Ces puissantes stations sont capables de brouiller les systèmes de communications et de radar, une étape significative dans sa militarisation rampante de la mer de Chine méridionale, selon des responsables américains. Toujours dans les Spratleys, des missiles chinois sol-mer et sol-air auraient été déployés en avril dernier sur les récifs de Fiery Cross, Subi et Mischief qui se trouvent à l’est du Vietnam, à l’ouest des Philippines, et très loin au sud de la Chine continentale.

Un responsable du département américain de la Défense a affirmé : «  La Chine a bien déployé des équipements de brouillage militaire dans ses avant-postes des îles Spratleys ». Cette démarche renforce la capacité de la Chine d’affirmer ses revendications territoriales étendues et d’empêcher les opérations militaires américaines dans cette région litigieuse qui comprend les routes maritimes les plus fréquentées au monde.

Dans l’oeil des satellites

L’évaluation américaine est appuyée par une photo prise en avril 2018 dernier par la société commerciale de satellites DigitalGlobe et fournie au Wall Street Journal. Il montre un système de brouillage — présumé — avec son antenne étendue sur le récif Mischief, l’un des sept îlots des Spratleys où la Chine a construit des îles artificielles fortifiées depuis 2014 en déplaçant du sable sur les rochers et les récifs, puis en les recouvrant de béton.

La Chine n’a pas commenté, ni démenti ces informations. Washington a de son côté averti la Chine qu’elle s’exposait à des « conséquences de la militarisation » de la zone.

Pékin revendique une souveraineté « indiscutable » sur toutes les îles de la mer de Chine méridionale ainsi que sur les eaux adjacentes, et délimite ses revendications par une ligne en U s’étendant de la côte chinoise pour descendre pratiquement jusqu’au sud de la Malaisie. A noter que les revendications chinoises ont été invalidées en 2016 par la Cour permanente d’arbitrage de La Haye (PCA) à la demande des Philippines.

Equipements défensifs ou offensifs ? L’établissement d’une zone d’identification aérienne (ADIZ) par Pékin en vue

La Chine affirme construire des îlots artificiels seulement dans un but défensif, mais l’activité démontre plutôt qu’elle pourrait utiliser ses avant-postes pour faire valoir par la force des revendications territoriales qui chevauchent celles du Brunei, de la Malaisie, de Taïwan et du Vietnam, ainsi que des Philippines, alliés des Etats-Unis. Au cours de la dernière année, la Chine a essayé de faciliter — par l’investissement économique et l’influence politico-diplomatique — les relations avec les autres Etats revendicateurs tout en continuant ses travaux de militarisation sur les îles.

Trois de ses avant-postes dans les îles Spratleys — le Récif de Fiery Cross, le Récif Mischief et le Récif de Subi — disposent désormais de pistes de 10000 pieds, de hangars pour les avions de combat, de bunkers, de casernes et de piliers en eau profonde pour navires.

Alors que le personnel militaire chinois se trouve aux avant-postes des Spratleys et que les navires chinois y accostent, la Chine n’a pas encore stationné d’unités terrestres ou d’avions de combat sur les îles artificielles, ont indiqué des responsables américains. Ces derniers ajoutent également que les missiles statiques sol-air et les missiles de croisière n’ont pas non plus été déployés dans les Spratleys, bien que des points d’installation de ces armes aient été préparés.

«  La Chine a construit une infrastructure massive spécifiquement et uniquement dans le but de soutenir les capacités militaires avancées qui pourraient être déployées dans les bases au délai très court ! », a déclaré le directeur de l’US Pacific Command, Harry Harris, au Comité des forces armées du Sénat. Alors que la Chine affirme que la construction des îles artificielles vise à assurer la sécurité en mer, l’assistance à la navigation, la recherche et le sauvetage, la protection des pêches et autres fonctions non militaires. On voit bien que les équipements électroniques ne sont utilisés qu’à des fins militaires ».

Déploiement chinois des avions de combat et de bombardiers

Légende : Extrait du Journal télévisé de la télévision d’Etat chinois en français.

 

Mais la capacité de la Chine à y transférer, à y déployer très rapidement des équipements militaires est une inquiétude sérieuse du Pentagone car elle pourrait permettre à la Chine de contrôler les routes commerciales vitales, d’exclure d’autres revendicateurs des zones contestées et d’interférer avec les plans militaires américains de défendre Taiwan.

En basant sur l’UNCLOS — une sorte de Constitution de la mer — les États-Unis considèrent la majorité de la Mer de Chine méridionale comme des eaux internationales et ont envoyé des navires y naviguer pour affirmer leur droit à la liberté de navigation dans la région.

De son côté, la Chine n’a cessé d’intensifier ses activités militaires. Pékin a déployé des missiles surface-air HQ-9 et des chasseurs à réaction J-11B dans les îles Paracel contestées depuis 2016. Ces îles se situent à environ 500 miles au nord des Spratleys. Elle a créée même un commandement militaire spécifique pour la Mer de Chine méridionale.

Des images satellitaires récentes de Planet Labs Inc. ont montré qu’environ 48 navires chinois, y compris des sous-marins et le porte-avions Liaoning, naviguaient en formation dans la mer de Chine méridionale dans une démonstration de force inhabituelle et importante. Les exercices ont eu lieu du 24 mars au 18 avril 2018 au large de la province du Guangdong, au sud de la côte à l’est de l’île de Hainan, selon les avis de l’administration de la sécurité maritime de Chine.

«  Le but est d’inspecter et d’augmenter le niveau d’entraînement des troupes, et d’améliorer leur capacité à remporter une victoire, a déclaré le porte-parole du ministère chinois de la Défense, Ren Guoqiang. Il ne vise pas un pays ou une cible en particulier. »

Doctrine militaire signée Xi Jinping

Renforcer la capacité de l’armée chinoise à mener des opérations multimodales  — à l’américaine permettant des actions conjointes impliquant tous les corps des armés — est l’un des principaux objectifs du plan de restructuration militaire quadriennal lancé en 2016 par Xi Jinping, président et chef militaire chinois.

Les analystes ont déclaré que les exercices semblaient conçus pour mener des opérations conjointes entre la «  Flotte de la Mer de Chine du Sud »  basée à Guangdong et le groupe aéronaval Liaoning, basé dans le nord-est de la Chine, ainsi que des forces aériennes et de missiles.

Le porte-parole de la Force aérienne chinoise, Shen Jinke, a reconnu le mois dernier que les Su-35 et les H-6 ont récemment mené des patrouilles conjointes en configuration de combat en Mer de Chine méridionale, sans préciser le moment ou le lieu exact. La Chine a révélé en février 2018 qu’elle avait envoyé des Su-35 achetés en Russie et livrés fin 2016, dans la Mer de Chine méridionale pour la première fois.

Timothy R. Heath, analyste sénior à la Rand Corporation, a déclaré que « si le but principal de l’exercice était d’améliorer la préparation des forces chinoises, il envoyait également un message politique.»

Les responsables américains ont déclaré que les exercices impliquant aussi des forces de police maritime — considérées comme non-militaires — et de la « milice maritime » qui faisaient également partie de l’exercice plus large. La dernière sert de sentinelle, de renseignement et à ériger une sorte de «  bouclier civil » à l’avant-poste.

Pêcheurs chinois transformés en milice maritime et deuxième « force navale » en Mer de Chine méridionale

Les bateaux de pêcheurs chinois prennent part au conflit en Mer de Chine. Les bateaux de pêche ont reçu en 2017 des subventions spéciales d’une valeur de 168 557 yuans (environ 23 000 euros) chacun pour le diesel de la part du gouvernement local de Tanmen dans l’île de Hainan, afin d’entreprendre des « excursions » sur les îles Spratley. Depuis 1985, la compagnie de la marine militaire de Tanmen, à Hainan, recrute des pêcheurs, et leur fournit un entraînement paramilitaire. Selon le journal officiel local Hainan Daily, cité par le South China Morning Post, cette milice « organise des excursions pour collecter des informations maritimes, assister à la construction d’îles et de récifs et contribuer à la défense de la souveraineté en Mer de Chine du Sud ».

«  Pour l’opinion chinois, Pékin montre sa force et sa volonté de défendre les intérêts du pays, ce qui pourrait renforcer le soutien nationaliste au gouvernement, a déclaré Timothy R. Heath. Pour la région et les États-Unis, Pékin dit qu’elle agit avec retenue, mais qu’elle est prête à affronter les politiques conflictuelles avec ses propres politiques de confrontation. »

Le général de division Jin Yinan de l’Université de la Défense nationale de Chine a déclaré que « les exercices de la Mer de Chine méridionale n’étaient pas liés au récent déploiement américain de trois porte-avions dans la région.» Au premier semestre 2018, le déploiement américain est conséquent. L’USS Theodore Roosevelt est arrivé à Singapour le 2 avril dernier. L’ USS Carl Vinson s’est rendu le 5 mars au Vietnam pour une visite historique et a fait ensuite des exercices conjoints avec le Japon dans la Mer de Chine méridionale. L’USS Ronald Reagan est actuellement basé au Japon.

«  Même si les trois porte-avions sont arrivés en mer de Chine méridionale, et alors ?, a déclaré le général Jin dans les médias chinois. «  Les manoeuvres américaines dans la région ont permis à la Chine d’étudier leurs opérations, leurs radars et d’autres signaux électroniques, »  a-t-il poursuivi.

Les derniers développements en Mer de Chine méridionale semblent indiquer que la Chine intensifiera sans retenu la militarisation des îles artificielles qu’elle occupe. Pékin se croit dans une position de force. A moins que Washington, les Européens et leurs partenaires régionaux comme l’Australie, l’Inde, le Japon, montrent plus leur intention de ne pas se laisser faire.

Une zone maritime stratégique

Etant moins performant que les Etats-Unis dans les moyens de détection, Pékin entreprend des travaux de grande ampleur visant à installer des capacités militaires A2/AD — le concept «  anti-accès et déni d’accès » — sur des îlots et des récifs des Spratleys et Paracels, en Mer de Chine méridionale.

Cette mer est doublement stratégique. Il s’agit d’un carrefour de voies maritimes essentielles pour le commerce mondiale. Il s’agit, pour Pékin, d’une zone sécurisée pour le déploiement des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) de la composante navale de l’Armée populaire de libération (APL) en raison de l’existence des «  couloirs » sous-matins profonds. Ces corridors ont été découverts et cartographiés de 1925 à 1970 par les Britanniques, les Japonais et principalement par l’US Navy.

Liberté de navigation défendue par les Etats-Unis et ses alliés comme la Grande-Bretagne et la France

Les Etats-Unis patrouillent régulièrement en Mer de Chine méridionale. La France s’y joint récemment. La Chine voit ces opérations comme un défi à son autorité. L’action américaine a donné lieu à des incidents avec Pékin, comme avec le destroyer USS Higgins et le croiseur USS Antietam, qui ont navigué dans les eaux de l’archipel des Paracels — entièrement occupé par la Chine — en approchant à moins de 12 milles de quatre de ses récifs, dans le cadre de l’opération « liberté de navigation » (FONOP).

Depuis janvier 2018, les États-Unis haussent le ton sur la militarisation par Pékin en Mer de Chine méridionale. Car, la Chine ne se contente pas d’y déployer des systèmes — qu’elle prétend — défensifs puisque des bombardiers H-6K y ont aussi mené des exercices en mai 2018 dernier. Ce durcissement de Washington s’est traduit par l’annulation de la présence à son exercice aéronaval RIM of the Pacific.

Le Pentagone rappelle qu’il a la capacité de « démolir » les îlots artificiels chinois en Mer de Chine méridionale

Lors d’une conférence de presse du 31 mai 2018, le général Kenneth McKenzie, le directeur de l’état-major interarmées américain, le numéro deux de la Défense américaine, a déclaré : « Je voudrais simplement vous dire que l’armée américaine a beaucoup d’expérience dans le Pacifique occidental, en détruisant de petites îles », en répondant à une question sur la capacité des États-Unis à agir contre les installations chinoises.

Et le général McKenzie a précisé son propos : « Au cours de la Seconde Guerre Mondiale, nous avons accumulé de l’expérience en détruisant de petites îles isolés. C’est donc une compétence de base de l’armée américaine que nous avons déjà utilisée. Vous ne devriez pas y voir que ce soit de plus qu’un simple rappel de faits historiques ».

Il ne s’agit pas encore de menace de guerre mais plutôt de la «  dissuasion » crédible.

 

Vo Trung Dung et Agences de presse.

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