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Images by DigitalGlobe, via the CSIS Asia Maritime Transparency Initiative, and CNES,

Mer de Chine méridionale : Conflits, enjeux et décryptage de la pensée stratégique des belligérants

Enjeux, tactiques et stratégies en Mer de Chine méridionale ! A Paris, le jeudi 4 mai 2017 s’est tenue au sein de l’Institut du Pacifique, une conférence sur « Les conflits en Mer de Chine » présidée par le professeur Guy-Olivier Faure, professeur émérite de sociologie à la Sorbonne et à Shanghai. Une occasion de revenir sur les enjeux de la dispute en mer de Chine méridionale et d’examiner plus particulièrement la pensée stratégique portée par les protagonistes du conflit.

La Mer de Chine méridionale, centre de gravité de l’ordre régional de l’Asie Pacifique

En 1996 dans son controversé et célèbre ouvrage «  Le choc des civilisations », Samuel Huntington évoquait comme foyer de départ possible d’une troisième guerre mondiale un affrontement naval dans l’archipel des Spratleys. Vingt ans après la parution de ce livre-essai prémonitoire, si le scenario d’un conflit global ne s’est heureusement pas matérialisé, la Mer de Chine méridionale est bien devenue conformément aux prédictions de Huntington un point chaud focalisant les tensions internationales et pourrait potentiellement déboucher sur un affrontement généralisé.

Mer semi-fermée parsemée de près sept cents ilots, récifs et bancs de sable, la Mer de Chine méridionale concentre en effet une dispute territoriale majeure entre ses sept riverains et la République populaire de Chine (RPC). Le contentieux avec la Chine populaire se décompose en un conflit bilatéral avec le Vietnam pour les îles Paracel et un conflit multilatéral avec l’ensemble des pays de la région pour l’archipel des Spratleys.

La valeur stratégique de la position géographique de la Mer de Chine méridionale connectant océan pacifique et indien fait de cette dispute régionale un enjeu de nature globale. Par sa centralité, elle fonctionne comme un nœud crucial du fret international. La valeur des marchandises transportées sur ses voies de navigation s’élève chaque année à 5 trillions de dollars ce qui représente le tiers du trafic maritime mondial.

Route de commerce, la Mer de Chine méridionale est aussi pour les pays de la région une voie d’approvisionnement énergétique vitale dont la Corée du Sud dépend pour les deux tiers de ses importations de pétrole brut, 60% pour le Japon et Taiwan et près de 80% la République populaire de Chine.

A la valeur des biens transportés sur sa surface s’ajoute celles des ressources intrinsèques de la Mer de Chine méridionale avec des réserves prouvées de gaz pour 140 trillion de mètres cube et d’environ 7,5 milliards de baril de brut ce qui reste relativement modeste par rapport à d’autres régions pétrolifères. Cependant l’importance des ressources en pétrole encore non confirmées pourraient faire de la zone un nouveau golfe persique.

Aspect souvent négligé de la dispute le contrôle du stock halieutique de Mer de Chine méridionale réputé de très bonne qualité constitue dès à présent comme l’explique Guy-Olivier Faure « un enjeu essentiel et vital pour les pays dépendants de la mer ». En raison des limites de sa production agricole domestique, la Chine s’est lancée dans une quête visant à combler ses déficits alimentaires croissants par des approvisionnements à l’extérieur du pays. Ce qui comme le rappelle régulièrement les responsables gouvernementaux et militaires chinois, renforce d’autant plus l’importance stratégique de l’exploitation des océans en général et de la Mer de Chine méridionale en particulier.

Toujours sur les stocks de poissons et autres produits naturels de mer, pour certains protagonistes comme les Philippines la question alimentaire est d’ailleurs peut être plus encore fondamentale que le différend territorial. Ainsi que le déclarait le sénateur philippin Ralph Recto : « si le monde permet à la Chine de poser un panneau  ‘pêche interdite’ autour de la Grande Muraille de Sable qu’elle est en train de construire agressivement dans la mer de l’ouest des philippines, elle priverait les philippins d’une denrée de base de leur régime — le poisson. […] C’est en cela que réside le plus grand danger de cette incursion chinoise dans notre territoire. C’est une formule pour la famine. Plus qu’une question de sécurité nationale, elle engage la sécurité alimentaire ».

Les positions des protagonistes d’un conflit globalisé

La Chine revendique une souveraineté historique sur près de 80% (ou 90% d’après une autre estimation) de la surface de la Mer de Chine méridionale. Une revendication formulée pour la première fois en 1947 par un cartographe de la République de Chine au titre d’un tracé arbitraire auquel on a donné depuis la dénomination de ligne des 9 traits ou de «  langue de bœuf. »

Le gouvernement de la République populaire de Chine reste volontairement ambigu sur le tracé exact de la ligne des 9 traits, on ne sait pas précisément quels territoires elle est censé englober. Pékin n’utilise d’ailleurs pas complètement cette ligne comme argument sur le plan juridique. Pékin n’utilise d’ailleurs pas complètement cette ligne comme argument sur le plan du droit dont la validité juridique a été formellement contestée par un arrêt rendu par la Cour permanente d’arbitrage de la Haye. Ce n’est pas donc pas le droit maritime qui s’applique en mer de Chine méridionale explique Guy-Oliver Faure mais l’exercice de la loi du plus fort dans le cadre d’un nouveau Grand Jeu géopolitique. La Chine populaire tend d’ailleurs à boycotter les instances juridiques internationales.

Face à cette volonté d’un contrôle total de la Mer de Chine méridionale par la RPC, les pays de la région impliqués dans la dispute opposent leurs propres prétentions. Le Vietnam se réclame lui aussi d’une antériorité historique sur les Paracels et une partie des Spratleys. Le sultanat de Brunei, la Malaisie, l’Indonésie, les Philippines occupent ou revendiquent des îles de l’archipel des Spratleys. Enfin on pourrait ajouter que Taïwan formule les mêmes demandes territoriales que la République populaire de Chine mais à la différence notable de cette dernière, Taipei a suspendu en décembre 2015 ses revendications sur l’entièreté des eaux comprises dans la ligne des 9 traits.

Aux parties prenantes directes du conflit, s’ajoutent d’autres acteurs qui bien que n’exprimant aucune prétention territoriale n’en influent pas moins sur la dispute en Mer de Chine méridionale.

Les Etats Unis ne prennent officiellement pas partie dans le conflit mais défendent avec force le principe de liberté de circulation maritime. Puissance militaire dominante dans la région, Washington envoie régulièrement des navires de guerre en mer de Chine méridionale dans le cadre «  d’opérations de liberté de navigation »  en particulier à direction des positions occupées par la Chine populaire. L’administration Obama toutefois a été parfois considérée comme en retrait sur le conflit en Mer de Chine méridionale semant un certain doute parmi les pays de la région sur la détermination américaine dans la dispute. Le successeur d’Obama, le président Donald Trump semble plus actif de façon différente quoique imprévisible. Dans la semaine du 22 mai 2017, des navires de guerre américains ont patrouillé à l’intérieur des 12 miles nautiques des îles artificielles construites et occupées par la Chine. Pékin a ensuite protesté et envoyé deux avions de chasse tout près d’un avion de surveillance d’US Navy en guise de « représailles ».

La position du Japon est analogue à celle des Etats Unis et multiplie partenariats économiques et militaires en particulier avec les Philippines et le Vietnam.

Comme les Etats-Unis et le Japon, l’Union Européenne prône également le respect du principe de liberté de navigation en Mer de Chine méridionale et la France conjointement avec le Royaume Uni organise ses propres opérations de liberté de navigation.

La Russie semble revenir peu à peu dans la région et de par la relation forte qu’elle conserve avec le Vietnam, n’est pas totalement alignée avec les positions de la République de Chine populaire.

Singapour, ville état multiculturelle de prépondérance ethnique chinoise pouvait jusqu’à récemment se prévaloir d’une amitié spéciale avec Pékin. La problématique de liberté de circulation des navires retentit cependant directement sur son avenir, et on a vu dernièrement les liens entre Singapour et la Chine populaire se tendre dans ce qui a été qualifié de guerre des mots de la part des médias affiliés au Parti communiste chinois (PCC). Il est reproché à Singapour de se laisser aller durant les sommets internationaux à un supposé activisme dirigé à l’encontre de l’action de la république populaire en mer de Chine méridionale. Le Global Times, tabloïd ultranationaliste et porte-parole du PCC, a ainsi récemment déclaré que « la Chine [populaire] ne considère plus Singapour comme un ami». Autre impair diplomatique que certains analystes considèrent comme étant une mesure de rétorsion, le chef d’Etat singapourien n’a été ostensiblement pas été invité au forum « Ceinture et Route » dédié au grand projet d’infrastructures chinois des années à avenir de la nouvelle route de la soie. Si l’on ne doit pas surinterpréter le contenu des journaux ultranationalistes du Parti, des différents d’intérêts semblent bien émerger au sein de la relation sino-singapourienne.

Enfin l’Inde en réponse à ce qu’elle perçoit comme le déploiement d’un «  collier de perles chinois », c’est-à-dire un quadrillage de l’océan indien par l’installation d’infrastructures portuaires et militaires de la Chine populaire en  Birmanie, au Sri Lanka et Pakistan, envoie sa marine de guerre réaliser des exercices en mer de Chine méridionale en collaboration notamment avec le Vietnam et Singapour.

Le bilan de l’ère Xi-Jingping en mer de Chine méridionale : l’ascendant tactique du chou et du salami

Le mandat de Xi Jinping a vu se produire une inflexion majeure de la politique étrangère chinoise. Jusqu’alors la Chine populaire suivait la ligne prônée par Deng Xiaoping qui recommandait à son pays « d’adopter un profil bas, de rester, en retrait, d’apprendre et de se développer » explique Guy-Olivier Faure.  L’ère Xi Jinping a incarné un tournant indique Guy-Oliver Faure : « Désormais la Chine ne veut plus se contenter de chercher à optimiser un jeu dont les règles ont été définies il y a longtemps mais [entreprend] de participer très activement à la fixation des nouvelles règles et à la remise en cause des anciennes. » En ce qui concerne la Mer de Chine méridionale, les cinq premières années du premier mandat de Xi Jinping ont permis à la République populaire de Chine d’obtenir une position désormais dominante dans la région en profitant de la fenêtre d’opportunité que représentait une relative absence de réactions de la part de l’administration Obama.

C’est en effet pour mettre en œuvre une stratégie du fait accompli que la Chine populaire s’est lancée dans une véritable frénésie de construction d’iles artificielles pour y installer ses bases militaires.La République populaire de Chine ne fut  toutefois pas la première puissance de la région à avoir entrepris des travaux de poldérisation, en la matière le Vietnam et les Philippines l’ont précédé de plusieurs années. Cependant, la surface construite par la Chine populaire 3000 acres contre 120 acres par le Vietnam est susceptible de bouleverser le rapport de forces dans la région voire au-delà. En s’assurant du contrôle des extrémités de la Mer de Chine méridionale, Pékin est en passe de se doter de la capacité de verrouiller son accès. Ce qui pourrait bouleverser les équilibres mondiaux, le transit du commerce international sur cette mer tombant alors de facto sous la dépendance de la Chine.

Les techniques d’occupation du terrain de la République populaire de Chine n’impliquent pas en général l’emploi de la force armée sauf dans le cas du Vietnam où elle fut utilisée pendant les batailles pour le contrôle des Paracels (1974) et de l’archipel de Johnson South Reef (1988).

Ce sont des actions non-cinétiques qui sont engagées comme la « stratégie du chou » formulée par le général Zhang Zhaozhong pour le contrôle du récif de Scaborough en 2012 aux dépens des Philippines. Elle consiste selon le général à « entourer une zone contestée par tant de navires – de pêcheurs, de l’administration des pêches, de la surveillance maritime, et de navires de guerre — que l’île se retrouve alors enveloppée couche par couche comme un chou ». Soumis à un siège inexpugnable, les soldats philippins postés sur Scaborough durent abandonner leur position qui s’est retrouvée depuis interdite d’accès par la marine de l’Armée populaire de libération de la Chine (APL).

Autre technique dont la dénomination est également tirée du domaine culinaire, la tactique du salami. Le terme avait été inventé durant la guerre froide en Hongrie par le dirigeant communiste Matyas Rokosi pour décrire sa méthode d’accession au pouvoir. Celui-ci par une isolation progressive puis une destruction un à un des partis de l’opposition était parvenu à réduire cette dernière à l’impuissance. En mer de Chine méridionale, le raisonnement est d’engager des actions incrémentales mais continues pour faire valoir la souveraineté de la République populaire de Chine sur les zones maritimes contestées. Chaque petit pas de cette tactique est ainsi isolément jugé par l’adversaire comme trop inconséquent pour mériter en retour une réaction forte pour le stopper mais l’effet cumulatif de ces actions à première vue limitées altère durablement le rapport de forces sur le terrain.

La pensée stratégique de la république populaire de Chine, pour un nouvel ordre régional sino-centré

Plus largement les tactiques mises en œuvre par Pékin en mer de Chine méridionale s’inscrivent dans un cadre stratégique propre à la Chine.  « La Chine ne se conçoit pas comme un Etat nation classique » explique le professeur Guy-Olivier Faure. « La carte cognitive de la chine est celle d’un Etat civilisation porteur d’une culture matricielle qui devrait profiter au monde » ajoute-t-il.

Si la république populaire de Chine se considère comme le propriétaire légitime de la Mer de Chine méridionale, c’est au nom d’une vision très sino-centrique du monde où ses voisins explique Guy-Olivier Faure ne sont considérés que comme « des [pays] tributaires bénéficiaires des bienfaits civilisationnels qu’elle apporte ». Dans cette approche, Pékin se perçoit « comme un facteur de stabilité pourvu qu’on lui reconnaisse sa prééminence. »

Cette doctrine se nourrit des courants de pensée qui ont traversé l’histoire chinoise.

Le confucianisme qui figure l’établissement d’une autorité « bienveillante » imposant une pax sinica en offrant protection contre reconnaissance d’autorité.

Le taoïsme jouant sur le principe d’ambiguïté et la mise en œuvre d’un équilibre complexe et en flux est matérialisé par la stratégie du jeu de Go. Le principe du jeu de Go n’est pas de détruire le pion adverse mais de l’encercler et de l’asphyxier en étendant ses zones d’influences.

La pensée maoïste dans une forme atténuée et adaptée au monde moderne joue aussi un rôle par la reprise de la tactique du négocier en combattant formulée par le président Mao.

Ce corpus théorique imprime ainsi l’action des négociateurs de la Chine qui alternent avec une précision métronomique les discours de confrontation et de conciliation. Un leitmotiv qui revient très régulièrement est celui de la promotion de la politique dite du « gagnant-gagnant ». Une formule dont les diplomates chinois pensent qu’elle aurait trouvé grâce auprès de leurs interlocuteurs, occidentaux en particulier. Pourtant à l’instar de tous les autres diplomaties du monde, la Chine joue bien «  gagnant-perdant »  dans ses négociations explique Guy-Olivier Faure.

Enfin deux axiomes viennent compléter l’édifice de la pensée stratégique chinoise.

D’abord celui du syndrome d’encerclement, la Chine populaire se pense entourée d’adversaires hostiles. Ce sentiment n’est pas complètement infondé dans le sens où il est en partie hérité de l’environnement politique de la guerre froide pendant laquelle Pékin fut périodiquement la cible d’un containment ou endiguement au nom de la lutte contre le communisme et de la part de la Russie suite à la rupture sino-soviétique. Cependant c’est une quasi culture paranoïde qui semble s’être développée au sein de la direction chinoise qui croit à l’existence d’une menace permanente envers son pays.

L’autre axiome de la politique étrangère chinoise a pour source une problématique issue de politique intérieure, celle de la recherche d’une idéologie de rechange au communisme qui a été remplacé par un pragmatisme sans moral. Pour trouver une nouvelle source de légitimité, le gouvernement chinois joue sur voire fabrique le sentiment nationaliste. La Chine verra dans le futur sa croissance décélérer à environ 4 à 5% par an. Pour assurer sa perpétuation, le régime pourrait être tenté de trouver un ennemi extérieur comme paravent au mécontentement social à venir. Il est à noter que le tournant nationaliste est relativement récent. Le phénomène du nationalisme chinois n’est devenu visible qu’autour des années 2000 et ses prémices datent de l’année 1996 avec la publication de l’ouvrage nationaliste « China can say no » (La Chine peut dire non).

Quels modèles de contre stratégie asymétrique pour les « petites » puissances en Mer de Chine méridionale ?

Face au grand jeu offensif opéré par Pékin, les « petits » pays en contentieux avec la république populaire de Chine formulent leurs propres modèles de contre stratégie.

La recherche et le renforcement des soutiens extérieurs a été un levier privilégié en tant qu’outil contre hégémonique. Les Philippines ont renforcé leurs alliances avec les Etats Unis, leur offrant par l’Accord de défense renforcée (« Enhanced Defense Cooperation Agreement — EDCA ») la possibilité d’utiliser près de huit bases sur leur territoire. Si la présidence de Rodrigo Duterte a donné lieu à une réévaluation de la relation philippino-américaine celle-ci ne s’est pas traduite par une révocation majeure des accords de défense contractés avec les Etats-Unis.

Le rapprochement en cours entre Washington et Hanoi  augure également d’un éventuel futur renversement des alliances à l’aune d’un pragmatisme stratégique partagé entre les deux pays. A côté de cette stratégie d’équilibrisme et de réajustement permanent, l’arrangement asymétrique a été une conduite poursuivie pour tenter d’éviter une escalade du conflit.

« Victime » de sa géographie, le Vietnam notamment cherche le moyen approprié pour ménager son grand voisin et de faire baisser la tension de son environnement. La discussion et la négociation définissent une politique d’engagement visant à jouer sur les ambitions économiques et politiques de la Chine pour tempérer ses prétentions territoriales. Car à côté de sa volonté de domination territoriale, la Chine cherche à créer un pôle économique dont elle aurait le leadership et dans cette optique la création de liens forts avec l’ASEAN est un objectif de première importance. Cet objectif constitue une limite pour les marges de manœuvre de la Chine car il ne peut  se réaliser qu’avec l’assentiment volontaire des pays de l’ASEAN ce qui est difficilement compatible avec un activisme trop belliqueux en Mer de Chine méridionale. A cet égard l’accord récent entre l’ASEAN et la République populaire de Chine pour la définition d’un cadre pour la rédaction d’un code de conduite en mer de Chine est peut être représentatif des politiques qui seront engagées dans le futur par les riverains de la mer de Chine méridionale.

Par Pham Quang et la Rédaction.

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