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La pomme par © Louis Hansel via unsplash

Un caillou dans la chaîne de l’électronique

Économie | Deux ans de COVID-19 résultent autant de cauchemar pour les industries technologiques globalisées. Les confinements sanitaires, la fermeture des frontières dans une bonne partie du monde, ont causé retard et rupture de la chaîne d’approvisionnement. Ils ont perturbé la chaîne de valeur des entreprises, quelles que soient la taille et de la performance. Le cas d’Apple en est l’exemple.

C’était le coup dur pour Apple avant Noël, le moment de l’achat des cadeaux. Les produits de la « Pomme croquée » faisaient partie des favoris. Mais, la crise de la chaîne d’approvisionnement allait retarder fortement les livraisons de ses produits. Deux ans de confinement, de pénuries de puces ont fini par rattraper le géant américain à quelques semaines de la fin d’année 2021.

Les réactions en chaîne

En ce mois d’octobre 2021, la période où Foxconn, Pegatron et d’autres auraient augmenté leur production 24 heures sur 24, pour produire les nouveaux modèles d’iPhone d’Apple. Mais, pour la première fois, la production de l’iPhone et de l’iPad a été interrompue pendant plusieurs jours en raison de la rupture de la chaîne d’approvisionnement et des restrictions sur l’utilisation de l’énergie en Chine.

Sous anonymat, un responsable de la chaîne d’approvisionnement de Foxconn en Chine a déclaré à l’agence de presse japonaise Nikkei : « En raison du nombre limité de composants et de puces, cela n’avait aucun sens de faire des heures supplémentaires les jours fériés et de donner un salaire supplémentaire aux travailleurs. Cela ne s’est jamais produit auparavant… »

Déjà, en septembre et une partie d’octobre, la production de la gamme d’iPhone 13 — la plus importante source actuelle de revenus de l’Apple — a été inférieure de 20 % aux prévisions. L’entreprise a décidé de diriger tous les composants disponibles vers l’iPhone 13. Cette réaffectation des composants partagés allait comprimer encore plus l’assemblage des iPad, entraînant une baisse d’environ 50 % du volume de production.

Après avoir lancé la gamme d’iPhone 13 et les nouveaux iPads en septembre 2021, Apple est en train de manquer des millions d’unités par rapport à ses objectifs de production et de voir filer des milliards de dollars de revenus. Dans de nombreux pays, il est désormais trop tard pour que les consommateurs puissent acheter certains produits Apple à temps pour les offrir en cadeau de fin d’année.

Quand la gigantesque machine mondiale se grippe à cause d’un virus et de la politique

L’Appel est la première entreprise mondiale de l’électronique grand public. Par an, elle produit plus de 200 millions d’iPhone, 20 millions de MacBook, 50 millions d’iPad et plus de 70 millions de paires d’AirPods. En dépit de cette puissance, Apple a été mise à mal par la situation chaotique de la chaîne d’approvisionnement en 2021.

Il s’agit, à propos d’Apple, d’un exemple symbolique des ravages plus larges causés par les problèmes de chaîne d’approvisionnement aux entreprises de biens de consommation du monde entier. Une série de vagues pandémiques de COVID-19, des arrêts d’usines, des problèmes logistiques et de restrictions de la production d’énergie ont mis à mal le modèle de production mondialisé qui a longtemps été le moteur de la fabrication moderne. Et ce modèle n’est pas prêt, demain, à changer.

Dans cette photographie d’une chaîne d’approvisionnement en pleine tourmente, il existe des problèmes qui trouvent leur origine avant la pandémie de COVID-19, dans les tensions entre les États-Unis et la Chine au sujet des contrôles de technologies critiques. Ce bras de fer sino-américain perturbe la production des composants — en majorité située en Chine. Il met à mal la chaîne logistique.

Les pénuries actuelles s’expliquent donc, en bonne partie, par les tensions entre les États-Unis et la Chine et par les actions que Washington mène contre la société chinoise Huawei. L’effet a été similaire, d’une certaine manière, aux files d’attente dans les stations-service lorsque quelque chose laisse présager une pénurie de carburant.

Huawei et toutes les entreprises chinoises ont commencé dès lors à stocker des composants critiques, des puces aux pièces optiques. Il y a plus de deux ans après l’arrestation de la directrice financière et la fille du fondateur du groupe Huawei Mme Meng Wanzhou en décembre 2018 au Canada, et l’inscription de Huawei sur sa liste noire commerciale par les États-Unis. La crainte d’être privé de composants et d’équipements vitaux s’est rapidement répandue dans l’industrie technologique chinoise et a déclenché une campagne générale visant à accumuler des stocks pour survivre à un éventuel long verrouillage technologique imposé par Washington.

Les petits grains de sable et la grande machine

Prenons l’exemple de l’iPhone 13 Pro Max. Ce terminal haut de gamme compte plus de 2 000 composants.

Les difficultés d’approvisionnement ne proviennent pas de la production des composants les plus coûteux comme le processeur principal A15 — à 45 dollars —, ou le modem 5G, ou l’écran dernier cri à diodes électroluminescentes organiques qui pourrait coûter jusqu’à 105 dollars par unité. Compte tenu de sa puissance, Apple reste le premier client à recevoir des pièces disponibles.

Le véritable talon d’Achille de la chaîne mondialisée se trouve dans de minuscules composants périphériques qui ne coûtent que quelques centimes de dollars et qui n’attirent guère l’attention. Par exemple, les puces de gestion de l’alimentation de Texas Instruments et les émetteurs-récepteurs de Nexperia, ainsi que les puces de connectivité de Broadcom, ou même de minuscules vis. Ces puces ne sont pas propres à l’iPhone, aux smartphones en général ou même à l’électronique grand public, mais sont utilisées dans les ordinateurs, les centres de données, les appareils ménagers et les voitures connectées.

La société Nexperia a précisé dans un communiqué, sans nommer Apple : « L’ensemble de l’industrie des semi-conducteurs n’a pas été en mesure de répondre à cette demande critique, notamment en raison de l’augmentation des délais d’approvisionnement en matières premières. Cela se traduit par des pénuries, pour Nexperia aussi ! »

Apple et ses fournisseurs ont été confrontés à une litanie de problèmes. Le confinement sanitaire dû à la COVID-19 de plusieurs mois au Vietnam a affecté la production de modules d’appareil photo de l’iPhone. Production assurée par Sharp (Japon). Ce qui a retardé le calendrier d’assemblage du produit final. Les perturbations pandémiques en Malaisie ont pesé sur la production de nombreux composants électroniques et de puces. Kuala Lumpur joue un rôle central dans le conditionnement et le test des puces — l’étape finale de leur fabrication. Plus graves encore, les restrictions soudaines sur l’utilisation de l’énergie industrielle en Chine ont fini par tout achever.

Fin septembre 2021, alors que les émissions de CO2 dépassaient les objectifs environnementaux et que les prix du charbon s’envolaient, la Chine a imposé des restrictions sur l’utilisation de l’électricité dans des provinces industrielles clés, dont le Guangdong et le Jiangsu. Dans ces deux provinces, plusieurs fournisseurs d’Apple exploitent plus de 150 sites de fabrication de composants essentiels, des circuits imprimés aux batteries, des services d’impression à l’emballage. De nombreuses usines n’ont été averties qu’un jour, voire quelques heures, avant que leur approvisionnement en électricité ne soit restreint pour au moins une semaine.

Un important fournisseur d’Apple, sous anonymat : « Même si vous avez 99 % des composants sous la main, s’il vous manque un, deux ou trois composants, il n’est pas possible de lancer l’assemblage final du produit. »

Apple va gagner moins d’argent, et les autres aussi

Si même la puissante Apple souffre, la perturbation sans précédent de la chaîne d’approvisionnement est encore plus problématique pour les autres entreprises du secteur de l’électronique, qu’il s’agisse des principaux fabricants de smartphones Samsung, Xiaomi et Oppo, des fabricants de PC tels que HP, Dell et Acer, des fabricants de consoles de jeux Sony et Nintendo, ou des fabricants d’appareils ménagers tels que Dyson et LG. À des degrés divers, tous n’ont pas été en mesure de produire suffisamment de produits et de les livrer à temps pour les commandes.

Pour bon nombre des principaux fournisseurs d’Apple, l’année 2021 a été éprouvante sur le plan financier. Pegatron, assembleur d’iPhone, a enregistré un plongeon de 60 % de son bénéfice net en glissement annuel au cours du trimestre juillet-septembre, tandis que son petit rival Luxshare Precision Industry, premier fabricant chinois d’électronique sous contrat, a fait état d’un bénéfice net en baisse de 25 % par rapport à l’année précédente.

Le PDG de Pegatron, S.J. Liao a confirmé, dans une conférence de presse : « La chaîne d’approvisionnement dépend fortement du Vietnam et de la Malaisie, et l’impact des perturbations a été significatif. »

L’entreprise taïwanaise Foxconn — le plus grand assembleur d’iPhone et le plus grand fabricant d’électronique en sous-traitance au monde — a affiché de solides bénéfices pour la période de juillet septembre 2021, mais a prévenu qu’elle n’en était pas très sûre pour 2022. Elle a souligné la persistance de la pénurie mondiale de puces, l’inflation et des tensions géopolitiques sino-américaines.

L’Apple, malgré tout, devrait continuer à afficher des bénéfices importants. Wall Street prévoit un bénéfice net de 30,8 milliards de dollars pour le dernier trimestre de 2021, soit une hausse de 7 % par rapport à l’année dernière, malgré la perte attendue des milliards de dollars de revenus.

Le PDG d’Apple, Tim Cook a reconnu que les contraintes d’approvisionnement en 2021 ont coûté à Apple environ 3 à 4 milliards de dollars de manque à gagner au cours du deuxième trimestre de 2021 et 6 autres milliards de dollars au cours du quatrième trimestre. Et un impact négatif encore plus important pour le dernier trimestre. Nous attendons les prochains résultats financiers d’Apple, attendus vers la fin du mois de janvier 2022.

Vo Trung Dung

Photo de Une : La pomme par le photographe © Louis Hansel. Basé à Amsterdam, au Pays-Bas, il est spécialisé dans la photographie culinaire. Via Unsplash.


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