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Mer de Chine méridionale : La grande course aux armements

La Mer de Chine méridionale est aujourd’hui, plus que jamais, le point militaro-géopolitique le plus conflictuel de la planète. La Chine y revendique, sans fondement juridique, presque 90 % de l’espace maritime.  Une revendication rejetée par la Cour internationale d’arbitrage de La Haye. L’espace maritime que la Chine considère comme sien est revendiqué également par d’autres pays de la région. Pékin y construit et militarise des îles artificielles, y impose ses lois appuyées sur sa Marine de guerre. Pour se défendre — certes, comme ils peuvent —, le Viet Nam, les Philippines, l’Indonésie… s’arment. Les pays fournisseurs d’armes se frottent les mains…

Le premier semestre de l’année 2018 a été riche en événements liés à la question des armements militaires en région Asie pacifique. Lors la tenue de la XIXème Assemblée populaire nationale, le 5 mars dernier, une augmentation de 8,1% du budget de l’Armée populaire de libération chinoise (APL) a été annoncée, soit une hausse de +7% par rapport à 2017.

Parallèlement, une visite hautement symbolique s’est déroulée au Vietnam : pour la première fois depuis quarante ans, un porte-avion américain, l’USS Carl Vinson, a jeté l’ancre dans un port vietnamien en baie de Da Nang. Cette visite s’est, depuis, accompagnée par la remise de six bateaux patrouilleurs américains aux gardes côtes vietnamiens.

Fin mars, c’est le Japon qui a affiché sa volonté d’accroître son soutien aux forces armées philippines par la livraison d’avions militaires et également de vaisseaux de patrouilles tandis que la Chine se lançait dans des exercices militaires d’une ampleur massive comprenant plus de 40 navires dont son premier porte-avion, le Liaoning.

Enfin, l’exercice RIMPAC (Rim of the Pacific Exercise), qui a débuté le 27 juin 2018, réunit cette année près de 26 nations avec les contributions remarquées d’une délégation d’officiers du Vietnam et l’envoi pour la première fois d’un navire de la marine malaisienne et d’un contingent renforcé des Philippines.

Un exercice duquel la Chine a été désinvitée au dernier moment par le président Donald Trump en signe de protestation face au déploiement de missiles au sol, antiaériens et antinavires et de systèmes électroniques de brouillage dans l’archipel des Spratleys par l’Armée populaire de libération (APL).

Une course à l’armement serait-elle en cours en Mer de Chine méridionale ? Ou assiste-t-on à une montée en puissance normale des armées des riverains de cette mer ? C’est à ces questions que le général de brigade Jean-Vincent Brisset s’est attaqué lors d’une conférence sur la mer de Chine méridionale au Parlement européen, organisée par la fondation Gabriel Péri le 27 novembre 2018.

L’enjeu sécuritaire de la mer de Chine méridionale
Carte : Trafic aérien (vert) et maritime (rouge) en Mer de Chine méridionale.
Carte : Trafic aérien (vert) et maritime (rouge) en Mer de Chine méridionale.

La Mer de Chine méridionale est un enjeu sécuritaire important de par l’important trafic qui la traverse. Un trafic maritime représentant près de 30% du fret mondial transite dans la zone notamment en direction du Japon, qui pourrait être à la merci de la marine de l’APL. Souvent omis, un intense trafic aérien survole également cette mer, lui aussi vulnérable face aux forces armées chinoises. En effet, il n’existe pas actuellement de zone d’identification de défense aérienne (ADIZ) chinoise mais Pékin se réserve le droit de la mettre en place comme elle a fait pour les îles Senkaku. Potentiellement, cela lui donnerait le droit d’abattre sans préavis un avion circulant dans la zone.

Si on se positionne depuis la perspective du gouvernement chinois, du discours transparaît un certain expansionnisme visant une annexion globale des eaux de la Mer de Chine méridionale, voire au-delà dans le Pacifique. Pékin a recours à l’argument sécuritaire : le contrôle des goulots d’étranglement en mer de Chine méridionale que représentent ses détroits est un objectif fondamental pour contrer un éventuel blocus par une puissance étrangère comme les États-Unis. Tournée vers le commerce extérieur, l’économie chinoise serait très vulnérable à une interruption de ses voies d’approvisionnement maritimes.

Le budget des forces armées de la République populaire de Chine, pour le financement d’une suprématie militaire régionale en devenir

Le budget militaire chinois a longtemps été drapé d’une certaine opacité. Aujourd’hui plus clair et explicite — une transparence qui se veut dissuasive —, les chiffres illustrent une stratégie de défense classique telle qu’exercée dans d’autres pays. On peut désormais estimer qu’entre 2000 et 2015, la Chine a multiplié par 4 ou 5 sa puissance militaire financière.

En comparaison, les budgets qui ont le plus le plus augmenté ont été ceux du Vietnam, multiplié par 4, des Philippines, par 3, et de l’Indonésie. Le budget du Japon, qui est limité dans sa progression par l’article 9 de sa Constitution, connaît malgré tout un record historique motivé par la menace nord-coréenne.

Le budget de la Chine est toutefois devenu supérieur à l’ensemble des budgets de ses voisins combinés. Depuis 2000, on observe ainsi une inversion de la hiérarchie alors que le Japon représentait la moitié des dépenses de la région et la Chine, le quart. En 2015, les dépenses militaires de Pékin constituaient plus de la moitié des budgets en Asie et celles de Tokyo, leur quart.

Bien que la Chine représente le deuxième budget militaire du monde, l’APL reste une armée relativement limitée en moyens : la Chine ne consacre par an et par homme qu’environ 60 000 dollars, ce qui est assez modeste en comparaison avec les militaires américain ou français, respectivement associés à une dépense de 450 000 et 200 000 dollars par tête et par an. C’est toutefois un niveau de dépense plus élevé que celui d’autres puissances de la région comme l’Inde avec ses 30 000 dollars par soldat et par an.

Les forces navales de l’armée chinoise, une marine de projection et d’interdiction/déni d’accès (A2/AD Anti-Access/Area-Denial) au service des ambitions territoriales

La progression des dépenses militaires de la Chine s’est traduite en particulier par une montée en puissance de sa marine de guerre et de ses forces paramilitaires comme les garde-côtes et les milices maritimes. Ce renforcement des capacités maritimes n’est pas forcément lié à la Mer de Chine méridionale : l’obsession de l’APL est le porte-avion américain qui concentre une grande partie des efforts d’armement du gouvernement chinois, notamment dans le cadre d’un affrontement où les États-Unis viendraient à la défense de Taiwan.

La flotte de l’APL est désormais dotée de forces conséquentes avec ses 61 sous-marins, ses 21 destroyers et ses 57 frégates ainsi que son récent porte-avion, le Liaoning acheté d’occasion à l’Ukraine puis rénové et rééquipé.

La marine chinoise cherche en effet à développer son propre porte-avion cette fois, non pas dans l’optique d’un affrontement avec un bâtiment équivalent de l’US Navy, mais en tant qu’instrument de suprématie. La Chine est en train de découvrir que la marine peut être aussi un outil de projection par-delà ses eaux territoriales pour une action mondiale.

 

Illustration d’un groupe aéronaval de 500 km de portée.
Illustration d’un groupe aéronaval de 500 km de portée.

A l’heure actuelle, ses moyens sont limités à un porte-avion qui est un bâtiment d’apprentissage, le Liaoning. Les premiers exercices de combat du Liaoning ont commencé au mois de mars. Il faudra cependant de nombreuses années à la marine de l’APL pour qu’elle soit capable de développer une véritable projection maritime, c’est-à-dire un porte-avion au centre d’un groupe aéronaval avec des capacités d’assaut et d’attaque à distance.

Pour le gouvernement chinois, se doter de capacités aéronavales est primordial pour le contrôle des extrémités de la Mer de Chine méridionale : les pointes sud revendiquées par Pékin sur cette mer se situent à plus de 1500 km du territoire continental chinois, donc hors de portée des avions si ceux-ci ne peuvent se réapprovisionner en carburant en vol. Les forces aériennes de l’APL sont pour l’instant vulnérables à une action d’avions de combat basés au Vietnam et aux Philippines, pouvant intercepter les ravitailleurs de l’APL et empêcher techniquement toute intervention en Mer de Chine méridionale grâce à des avions situés sur le continent.

La constitution par Pékin d’une marine pour une guerre maritime hybride

La marine de l’APL est historiquement accompagnée d’effectifs paramilitaires : les forces d’action de l’État en mer que sont la police des pêches, les garde-côtes mais aussi une flotte composée plus ou moins de milices. Le tout était associé à une chaîne de commande pléthorique liée à différents ministères.

Toutes ces forces paramilitaires ont été aujourd’hui harmonisées et regroupées. Elles ont subi une modernisation poussée et se rapprochent de plus en plus du modèle de la partie maritime du KGB à l’époque de l’URSS qui avait une force navale équivalente à celle d’un pays européen occidental. Pour la Chine, les effectifs de la force d’action de l’État non militaire sont équivalents à ceux de l’ensemble de la flotte de guerre espagnole.

Les moyens civils — bateaux de pêche, bâtiments de génie maritime et transport de fret — employés de manière paramilitaire sont abondamment utilisés pour le harcèlement des navires philippins, vietnamiens, indonésiens et américains, civils ou militaires. Les moyens hybrides de guerre maritimes obligeront une redéfinition juridique internationale des lois de guerre.

Ces actions de harcèlement sont menées par des pêcheurs qui, selon le général Brisset, « n’ont sans doute pas beaucoup pêché de poissons dans leurs vies » mais « sont très proches des instances militaires chinoises ».

Les marines des autres riverains de la mer de Chine méridionale

Où se situent les forces navales des autres protagonistes de la dispute en mer de Chine méridionale ?

La marine des Philippines essaie de se reconstituer mais un long chemin l’attend. En effet, il y a une quinzaine d’années, ses effectifs étaient négligeables. Désormais, la marine philippine connaît une certaine montée en puissance grâce à une frégate et quinze patrouilleurs. Le matériel est fourni par les Américains dont les rapports avec le président Duterte sont actuellement ambigus, et par le Japon qui a livré un certain nombre de patrouilleurs et de navires de plus gros tonnage. Manille est assez dépendante de l’aide extérieure, n’ayant pas les moyens financiers pour renforcer sa marine.

Le Vietnam est une armée traditionnellement solide. La campagne punitive menée par l’ancien président chinois Deng Xiaoping en 1979 contre la République socialiste du Vietnam s’est traduite militairement par une déroute pour l’APL face à une armée vietnamienne bénéficiant d’une capacité opérationnelle réelle.

Le Vietnam s’ouvre au monde et diversifie ses relations. En discussion privée, on entend avec surprise un discours vietnamien du milieu de défense déclarant un certain intérêt à ce que les États-Unis « viennent donner un coup de main pour faire la police en mer de Chine méridionale », selon le général Brisset.

On pourrait ajouter que le rapprochement relatif du Vietnam avec les États-Unis doit toutefois se comprendre dans le cadre d’une stratégie d’équilibre ou de « hedging » envers les grandes puissances. La proximité entre les partis communistes vietnamien et chinois demeure toujours centrale dans la politique extérieure vietnamienne et dans un jeu diplomatique autour de la question de la mer de Chine où le cycle des frictions finit souvent par une déclaration de coopération en attendant l’éruption de la prochaine crise.

Et si l’embargo américain sur les armes envers le Vietnam est désormais terminé, sa levée ne devrait pas se traduire à court terme par des changements conséquents dans l’arsenal militaire de l’Armée populaire du Vietnam en raison de problèmes de compatibilité de matériel. Reste qu’à terme, le Vietnam pourrait bénéficier d’aides extérieures plus importantes, étant considéré comme un bastion solide et stratégique d’un point de vue militaire, pour s’opposer à l’APL.

Le Vietnam bénéficie ainsi de nombreux points d’appui très solides en Mer de Chine méridionale bien que n’ayant pas l’ampleur des constructions artificielles de l’APL. Avec deux frégates, six corvettes et des sous-marins russes de classe Kilo, la marine vietnamienne devient de plus en plus opérationnelle.

La Malaisie commence également à monter en puissance et se créer une marine bénéficiant d’un matériel moderne avec deux sous-marins et une dizaine de frégate.

La position de Taiwan est singulière. Les prétentions territoriales de Taipei sont les mêmes que celles de Pékin bien que le gouvernement taïwanais ne revendique ni la ligne des neufs traits, ni l’annexion de l’entièreté des eaux territoriales de la Mer de Chine méridionale. Les forces armées taïwanaises bénéficient d’un point important d’ancrage, l’île de Itu Aba, une structure bénéficiant d’eau douce, d’une piste d’avion prolongée et d’un port en eau peu profonde. La qualification juridique d’île pour Itu Aba n’a toutefois pas été reconnue par l’arbitrage rendu par La Haye en 2016.

Les iles artificielles en mer de Chine, points d’appui pour détecter et intervenir
Images by DigitalGlobe, via the CSIS Asia Maritime Transparency Initiative, and CNES,
Images by DigitalGlobe, via the CSIS Asia Maritime Transparency Initiative, and CNES,
via Airbus DS and IHS Jane’s

Tous les protagonistes de la dispute en Mer de Chine méridionale sont confrontés à un problème important, celui de la détection. « Avoir des moyens militaires c’est bien, mais il faut savoir qui fait quoi, et [mettre en œuvre] des moyens radars et satellites », explique le général Brisset.

Cette problématique implique de posséder des installations militaires sur lesquelles seront disposées ces systèmes de détection et de contrôle. En l’absence de territoires naturels pouvant les accueillir, les principaux pays riverains de la mer de Chine méridionale se sont lancés dans un programme de construction d’îles artificielles.

Et sur ce plan, l’APL a acquis une nette supériorité par rapport aux autres forces de la région.

De nombreuses îles artificielles ont été construites par l’armée chinoise au détriment de l’environnement. Le sable utilisé pour fabriquer le ciment nécessaire aux installations a été produit en raclant les fonds marins avec des dragues, démolissant les coraux sur des centaines de kilomètres carrés.

Si, dans l’édification d’îles, le Vietnam et les Philippines l’ont précédée, le programme de construction de bases militaires de la Chine à Fiery Cross, Mischief et au récif de Subi est désormais pratiquement terminé.

L’APL dispose ainsi de points d’appui permanents avec un équipement complet : installations radar, pistes d’atterrissage pour avions lourds, infrastructures portuaires pour navires lourds, moyens antiaériens et missiles antinavires. Avec la formation future d’un groupe aéronaval autour de son porte-avion, l’APL sera capable d’intervenir militairement dans la majeure partie de la Mer de Chine méridionale.

A côté, les installations vietnamiennes, philippines ou malaises sont beaucoup plus modestes dans leurs dimensions, ne pouvant projeter de moyens lourds aussi conséquents que ceux déployés par l’APL.

Quels risques de conflits militaires en mer de Chine méridionale ?

Malgré une inflation relativement généralisée des moyens militaires dans la région, aucun pays de la région ne peut s’opposer physiquement à la Chine mise à part la marine américaine.

L’APL ne dispose en outre pas complètement des capacités de gestion nécessaires aux « manœuvres d’agacement mutuel », c’est-à-dire l’interception sans usage de la force de navires ou aéronefs militaires étrangers.

La dernière fois que l’APL a tenté d’agacer l’US Navy, cela s’est traduit par un incident sérieux. En 2001, l’aviation de l’APL a ainsi perdu un avion de combat dans une opération de ce genre contre les États-Unis. Mal entraîné, le pilote de l’APL a heurté un avion américain dans les eaux internationales, suscitant une crise militaire et diplomatique conséquente.

En dehors de la répétition d’un tel incident, le risque de conflit ouvert demeure faible. Mais si une collision générait un nombre important de pertes américaines, du fait de l’importance des moyens militaires maintenant présents dans la région, une crise pourrait rapidement monter en puissance si elle était mal gérée.

Par Pham Quang

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