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Chine Porte Avion Type 002 Shandong - © Ministère chinois de la Défense / Armée populaire de Libération (APL)

L’ombre des porte-avions chinois sur Taïwan

Défense | La Chine est en passe de disposer d’au moins quatre porte-avions d’ici 2027, dont le quatrième sera à propulsion nucléaire. Ce dernier pourrait changer les équilibres des forces en cas de conflit avec Taïwan. Pékin planifie par ailleurs une flotte composée de 5 ou 6 porte-avions à l’horizon de 2030. Analyses.

Les travaux sur le quatrième porte-avions chinois — de Type 004, à propulsion nucléaire — ont commencé en 2021 au chantier naval de Jiangnan, à Shanghai. Par rapport à leurs homologues à propulsion conventionnelle, les porte-avions à propulsion nucléaire peuvent rester en mer beaucoup plus longtemps, transporter deux fois plus de carburant pour les avions, 30 % d’armes en plus et presque 8 500 mètres cubes d’espace supplémentaire, qui seraient autrement occupés par les prises d’air et les systèmes d’échappement. L’énergie nucléaire est également essentielle pour fournir assez de puissance aux catapultes électromagnétiques, les armes, les capteurs et les ordinateurs de bord des avions, qui consomment beaucoup d’énergie.

La défense de Taïwan en difficulté en cas d’attaque de Pékin

D’après une analyse du Belfer Center de la Harvard Kennedy School, la force croissante des porte-avions chinois, aidée par les développements dans d’autres technologies militaires, et les capacités d’anti-accès/déni de zone (A2/AD) tout au long des côtes chinoises, dans les Paracels et les Spratleys en Mer de Chine méridionale, devrait poser, à partir de 2027, des difficultés aux États-Unis dans une guerre rapide menée par Pékin contre Taïwan. Il est à noter que les capacités A2/AD chinoises en Mer de Chine restent plutôt faibles en étant géographiquement isolées et fixes. Ces bases demeurent des cibles faciles à détruire pour Washington et ses alliés.

Par conséquent, dans la configuration géostratégique et militaire actuelle, les États-Unis pourraient être contraints de transformer un conflit limité sur Taïwan en une guerre régionale plus importante. Selon cette analyse, une attaque chinoise sur Taïwan serait très probablement couronnée de certains succès avant que les États-Unis ne puissent déplacer suffisamment de moyens dans la région. Même si les États-Unis parvenaient à déplacer suffisamment de leurs forces pour aider Taïwan, elles ne seraient pas suffisantes pour influer sur l’issue du conflit. Cela dit, la Chine dispose désormais des capacités nécessaires pour créer un fait accompli dans le détroit de Taïwan avant que les États-Unis ne décident de leur réponse.

La flotte de porte-avions de la Chine pourrait compléter son aviation de chasse terrestre pour établir une supériorité aérienne au-dessus du détroit de Taïwan. En outre, ces porte-avions peuvent être déployés au large de la côte orientale de Taïwan, ce qui permet de frapper les défenses de Taïwan stationnées sur son flanc oriental montagneux. Les Chinois opéreraient donc dans un parapluie sécurisé, défendu contre les attaques taïwanaises ou américaines par des missiles tueurs de porte-avions DF-21D, des chasseurs basés sur des porte-avions, des navires de guerre de surface et des sous-marins.

La question stratégique

La défense de Taïwan repose sur une stratégie de défense asymétrique en forme de « porc-épic » visant à prolonger un conflit potentiel jusqu’à l’intervention des forces américaines. L’armée taïwanaise est bien équipée, bien entrainée et motivée. L’île reste fortement défendue par des missiles antinavires, des missiles antichars et des défenses aériennes afin de tenir suffisamment longtemps pour une intervention américaine.

Toutefois, Taïwan ne peut espérer tenir indéfiniment sans l’aide des États-Unis. Sa position défensive se repose, à courte terme, sur une intervention américaine, que les États-Unis n’ont pas clairement définie en raison de leur politique d’« ambiguïté stratégique » à l’égard de Taïwan, qui veut à la fois apaiser la Chine et incite Taïwan à redoubler d’efforts pour renforcer ses propres défenses.

La question qui se pose à Taïwan et aux États-Unis n’est pas de savoir s’ils peuvent combattre ensemble, mais comment ils peuvent le faire malgré les contraintes politiques et la puissance croissante de la Chine. Le lancement d’un quatrième porte-avions à propulsion nucléaire fera pencher cet équilibre militaire encore plus en faveur de la Chine.

Afin de résoudre cette équation, les stratèges de Washington travaillent d’ores et déjà à combler ces lacunes. Les alliances AUKUS, QUAD, QUAD+ et la régionalisation politique et diplomatique américaine en Indo-Pacifique en sont des exemples. Washington renforce aussi ses bases avancées aux Philippines, au Japon et en Corée du Sud. Les Américains tâchent également de rendre les coûts diplomatiques et économiques d’une guerre contre Taïwan si élevés pour la Chine qu’elle renonce d’elle-même à la faire.

La question technologie chinoise

La Chine a mis les savoir-faire civils à contribution en misant sur des technologies clés pour son porte-avions à propulsion nucléaire. En 2019, China General Nuclear Power Group (CGN) a lancé un appel d’offres pour un contrat de construction d’un navire à propulsion nucléaire servant de plateforme expérimentale pour tester la propulsion nucléaire marine. En 2018, la Chine a annoncé son intention de construire son propre brise-glace à propulsion nucléaire avec l’assistance technique de la Russie.

L’élan du programme chinois de porte-avions à propulsion nucléaire remonte à 2018, lorsque Pékin a annoncé qu’un tel atout aiderait la Marine de l’Armée populaire de Libération à réaliser sa transformation stratégique et sa capacité de préparation au combat en eaux profondes et en haute mer d’ici 2025.

La Chine travaille également sur des systèmes électromagnétiques de lancement d’avions (EMALS) — des catapultes — , qui utilisent une poussée d’électricité pour générer un champ électromagnétique puissant afin de lancer des avions. Ce système serait plus facile à utiliser, quoique très gourmand en énergie, pour les avions et capable de lancer plus d’avions dans les airs en moins de temps que les catapultes à vapeur classiques.

La flotte chinoise actuelle et future des porte-avions

Actuellement, la Chine exploite deux porte-avions à propulsion conventionnelle, le Type 001-Liaoning, connu sous le nom de l’ex-soviétique Varyag désarmé — acheté d’occasion à l’Ukraine — et mis en service en 2012, et le Type 002 Shandong, entièrement construit par la Chine, mais reste basé en grande partie sur le modèle Varyag, mis en service en 2017.

Le porte-avion chinois de Type 03 est en construction au chantier naval de Jiangnan, à Shanghai. Source : © Planet / Center for Strategic and International Studies (CSIS). Tous droits réservés.
Le porte-avion chinois de Type 03 est en construction au chantier naval de Jiangnan, à Shanghai. Source : © Planet / Center for Strategic and International Studies (CSIS). Tous droits réservés.

 

Un troisième porte-avions conventionnel, le Type 003, de conception chinoise cette fois-ci, est actuellement en construction et — selon les estimations de la Défense américaine — devrait entrer en service en 2024 et pleinement opérationnel autour de 2025-2026. Il s’agit du plus grand porte-avion chinois actuel que possèdera Pékin. Le Type 003 aura un déplacement d’environ 85 000 tonnes et sera approximativement de la taille des porte-avions de la classe Ford de la Marine américaine.

Sur celui-ci, l’intégration de catapultes sur le Type 003 fera un grand pas en avant pour la Marine de l’Armée populaire de libération (APL). Les deux porte-avions chinois actuels, le Liaoning et le Shandong, reposent sur des systèmes de décollage moins avancés, de type « saut à ski ». Le nouveau système de lancement CATOBAR (Catapult Assisted Take-Off But Arrested Recovery) du Type 003 permettra à l’APL de lancer des chasseurs bombardiers rapides avec des charges utiles plus lourdes et plus de carburant, ainsi que des appareils plus grands dont le rapport poussé/poids est plus faible. La plupart des systèmes CATOBAR sont à vapeur, mais les services de renseignements occidentaux pensent que la Chine ait réussi à mettre au point un système de lancement électromagnétique — EMALS — similaire à celui développé pour les nouveaux porte-avions de la classe Gerald R. Ford de l’US Navy.

Le quatrième porte-avions, de Type 004, à propulsion nucléaire, vient d’être mis en chantier en 2021 au chantier naval de Jiangnan. Ce navire est prévu pour être plus grand que le Type 003. Et l’énergie nucléaire embarquée pourrait alimenter aussi les catapultes électromagnétiques que des armes comme les lasers et les canons électriques.

Vo Trung Dung

Image de Une : Le porte-avion Shandong © Ministère de la Défense de la République populaire de Chine.

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Sources documentaires : Belfer Center de la Harvard Kennedy School, Center for Strategic and International Studies (CSIS), Département de Ła Défense des Etats-Unis (DoD), Ministère de Défense de Taïwan, Nikkei, Asia Times.


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