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30è Sommet ASEAN à Manille 2017

Mer de Chine méridionale, l’ASEAN et la Chine : Négociations du Code de Conduite — CoC » avancent mais à (petit) pas…

Verres de champagnes lavés, tapis rouge rangés, le 30ème sommet de l’ASEAN à Manille, Philippines, a baissé le rideau dans la soirée du 29 avril 2017. L’archipel prend la commande tournante de l’Association des pays de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) de 2017 qui coïncide avec les 50 ans de sa création en 1967. Le sommet de Manille, comme les précédents, en plus de la coopération économique et diplomatique, a vu les différends territoriaux en mer de Chine méridionale dominer — de façon diplomatique discrète mais obsessionnelle — les discussions, quelles soient publiques ou dans les coulisses.

«  Nous, les pays de l’ASEAN, nous avons la Chine en face. Et pas encore, à nos côtés ! » résume sobrement un diplomate philippin qui préfère rester anonyme. En ligne de mire : les négociations pour la mise en place du Code de conduite  — en anglais «  COC »  — en Mer de Chine entre les pays de l’ASEAN et la Chine. Et malgré les discussions intenses en coulisses du sommet, les termes du futur COC se retrouvent en tractation un peu plus tard à la fin de l’année 2017. Tout le monde voulait sans doute attendre de voir comment l’autre élément et puissance de l’Asie-Pacifique — les Etats-Unis — rend plus visible sa politique étrangère qui est pour le moment imprévisible. D’après nos informations, l’ASEAN et la Chine ont avancé en coulisse «  de façon positive » vers quelque chose d’acceptable pour tous, acceptable aussi pour leur opinion publique intérieure, très sensible sur les questions de souveraineté.

C’est toujours l’histoire du verre à moitié plein ou à moitié vide. Succès ou échec du dernier sommet ASEAN de Manille ? C’est selon comment on voit les choses. L’objectif était la mise en place du Code de conduite en mer de Chine — c’est à dire la mise en pratique de la «  Déclaration sur la conduite des parties en Mer de Chine méridionale »  (en anglais «  DOC ») signée à Phnom-Penh entre l’ASEAN et la Chine en 2002. qui se fait désirer depuis 17 ans.

L’intransigeance de Pékin — qui maintient mordicus sa stratégie de revendication et d’expansion maritime en neuf traits — mais aussi des pays de l’ASEAN sur les questions territoriales n’ont pas facilité l’avancement ni des négociations multilatérales, ni l’accord contraignant du Code de conduite. Seul celui-ci, dont les pourparlers ont commencé en 2014, pourrait régler les différends maritimes qui minent les relations entre l’ASEAN et la Chine. Ces différends créent des tensions, entretiennent la course à l’armement et freinent le développement de la région. Et cette fois-ci, à Manille, l’ASEAN semble retrouver quelque peu son unité. L’association pèse donc plus lourd dans la balance des négociations avec Pékin. Rappelons que la DOC est une déclaration d’intention non-contraignante. Malgré tout, celle-ci a permis une certaine retenue mutuelle sur le terrain des pays concernés.

Une renaissance de l’ASEAN ?

Manille, hôte du 30ème sommet de l’ASEAN, a proposé six orientations prioritaires pour l’ASEAN en 2017, qui ont recueilli un accord unanime de la part des pays membres lors de la réunion restreinte des Ministres des Affaires étrangères de l’ASEAN le 21 février 2017. En substance : «  Il s’agit de construire une ASEAN pour les peuples et les mettre au centre des actions ; promouvoir la paix et la stabilité dans la région ; renforcer la sécurité et les collaborations maritimes ; impulser une croissance globale basée sur la créativité ; améliorer la capacité d’autogestion de l’ASEAN ; rendre le modèle de l’ASEAN un modèle de coopération régionale et promouvoir le rôle mondial de l’ASEAN. »

Et selon le secrétariat de l’ASEAN : « Ces orientations expriment le souhait de l’ensemble du bloc en qualité d’une entité solidaire, indépendante et souveraine dans les décisions économiques ou politiques de la région. Elles tentent aussi à rendre les activités de l’ASEAN de plus en plus efficaces et davantage orientées vers les peuples. »

A l’occasion de la cérémonie de remise de la présidence de l’ASEAN en début de l’année, le président philippin Rodrigo Duterte a affirmé qu’en tant que président tournant, les Philippines « garderont avec persévérance les idéologies et les valeurs vers lesquelles nous nous orientons » et qu’ils « coopéreront d’une manière constante afin de réaliser les aspirations communes. Il est certain que l’ASEAN atteindra les objectifs fixés grâce aux directives, aux politiques, à la coopération, à la collaboration et au consensus. » L’avenir nous dira s’il s’agit de plan d’action concret ou de tautologie !

L’ASEAN et la discordance sur la Mer de Chine méridionale

Dans un contexte de compétition et d’influence grandissant des grandes puissances, les Etats-Unis, la Chine et le Japon intensifient leurs actions diplomatiques et militaires. Les intérêts économiques et les soutiens politiques pulsés de l’extérieur changent l’attitude et le comportement des pays membres vis-à-vis du conflit de la Mer de Chine méridionale, clivant ainsi les attitudes de quelques-uns des pays concernés.

L’anecdote la plus marquante est tirée de la leçon du sommet de l’ASEAN au Cambodge en 2012 quand la réunion des Ministres des Affaires étrangères a produit une déclaration commune sans avoir abordé le conflit de la Mer de Chine méridionale, sous la pression de la Chine sur le pays hôte. La course aux influences et aux pressions diplomatiques s’est accélérée depuis, surtout depuis que le gouvernement philippin précédent a décidé de porter le conflit devant la Cour permanente d’arbitrage (CPA) des Nations Unies de La Haye.

A cette époque, les Etats-Unis, le Japon, l’Australie, le Royaume-Uni et d’autres pays occidentaux ont soutenu la décision des Philippines, mais le refus persistant de la Chine d’assister à la procédure ainsi que son rejet de la compétence de la CPA dans cette affaire n’ont fait qu’alimenter les débats bien animés du problème de la Mer de Chine méridionale sur les forums et conférences internationaux. Pendant ce temps, Pékin continuait à procéder les constructions illégales sur le terrain.

Le désaveu de la ligne des neuf traits de la CPA dans sa décision de juillet 2016 était censé faire remonter en surface la tension à la Mer de Chine méridionale et jeter une base juridique pour régler les différends, mais la décision du gouvernement de M. Duterte — élu président en juin 2016 — de ne pas aborder cette question au sommet de l’ASEAN de 2016 et de préférer à la place une discussion bilatérale avec Pékin ont rendu la situation encore plus compliquée. La Chine a fini, pendant les dernières années, la rénovation et le renforcement des îles artificielles ainsi que la construction les infrastructures d’approvisionnement à but militaire, comme des stations radar à haute fréquence ou des pistes d’atterrissage pour ses avions de chasse.

Pour l’ASEAN : «  L’accroissement de ces activités de construction de la Chine a inquiété les pays dans et en dehors de la région, dégradant ainsi la confiance, affectant la paix, la sécurité et la stabilité de la région. »

L’ASEAN est en principe unanime pour résoudre les disputes de la Mer de Chine méridionale sur la base des droits internationaux afin d’assurer l’ordre et la sécurité maritime dans la région, mais les pays membres restent encore divisés sur les solutions concrètes. Dans ce contexte, l’accélération d’un accord sur le COC est plus que jamais urgente. Le ministre des Affaires étrangères chinois Wang Yi a soudainement annoncé, en 2016, l’intention d’accélérer les concertations sur le COC après des années d’immobilisation. Malgré les suspicions d’une déclaration purement diplomatique de Pékin et de manœuvre dilatoire, après avoir finalisé les infrastructures en Mer de Chine méridionale afin d’assurer une présence chinoise stable, le futur Code de Conduite reste néanmoins et à minima un mécanisme capable de contrôler les activités des tous les signataires. Ce, vers lequel l’ASEAN et la Chine doivent s’orienter.

Les avancées du Code de conduite (CoC) en Mer de Chine

Dans une interview accordée à l’agence de presse japonaise Kyodo en début de l’année 2017, le secrétaire général de l’ASEAN, M. Lê Luong Minh a «  félicité la proposition chinoise sur l’accélération des concertations au sujet du COC, avec en sus l’élaboration d’un cadre du Code conduite avant le milieu de 2017. » Il a fait savoir que l’ASEAN serait prête à accélérer le processus de finalisation du COC afin de « guider les parties signataires dans leurs actions et leurs comportements en Mer de Chine, créant ainsi un environnement approprié à une résolution complète et durable des conflits », surtout alors que la Chine continue à rénover les îles artificielles et augmenter les activités militaires maritimes dans la région.

L’effort de finaliser le COC semble avoir porté ses fruits quand la Chine et l’ASEAN ont récemment déclaré avoir réalisé un progrès notable dans les négociations. Un petit espoir est permis. Le ministre des Affaires étrangères philippin Enrique Manalo a fait savoir le 5 avril 2017 : « Nous avons réussi à bien avancer dans les négociations du cadre du COC avec la Chine. » Il ajoute que l’ASEAN et la Chine ont traversé la moitié du chemin de l’élaboration du contenu du COC : « Sur une échelle de 1 à 10, nous sommes au dessus de la première moitié partant de zéro depuis janvier dernier. Les deux parties ont été d’accord sur quelques éléments et je confirme que nous avons eu un cadre à partir duquel nous pourrons négocier sérieusement sur le COC. » L’agence de presse Kyodo a aussi rapporté une source diplomatique de l’ASEAN annonçant que les hauts officiels des deux côtés ont fini de rédiger le premier projet sur le cadre juridique du COC, sans que son contenu fut dévoilé.

Lors d’une rencontre avec la presse étrangère le 30 mars 2017 à Hanoi, au sujet du COC, le ministre des Affaires étrangères vietnamien, M. Pham Binh Minh, a réaffirmé la position constante du Vietnam : «  l’intérêt commun de tous les pays de l’ASEAN et de l’ensemble de la communauté est le maintien de la paix, de la sécurité et de la stabilité dans la région et en Mer Orientale [Nom que le Vietnam donne à la Mer de Chine méridionale]. Sur cette base, les pays de l’ASEAN dont le Vietnam sont unanimement d’accord sur la nécessité urgente d’avoir un COC efficace afin d’assurer la paix, l’ordre, la sécurité et la liberté maritimes en Mer Orientale tout en respectant les droits internationaux comme la Convention des Nations unies sur le droit de la mer en 1982 (UNCLOS) ou la décision de la CPA sur la Mer Orientale… »

La synthèse finale du 30ème sommet de l’ASEAN de Manille a insisté sur «  l’importance d’une mise en application exhaustive et efficace de la Déclaration sur la conduite des parties en Mer de Chine méridionale (DOC). L’ASEAN prend en compte l’amélioration notable des relations entre l’organisation et la Chine, et félicite les efforts réalisés pour parachever le cadre du Code de conduite en Mer de Chine méridionale (COC) en milieu de cette année qui favorisera la finalisation d’un COC effectif… Ce dernier permettra d’obtenir des avantages à long-terme sur une Mer de Chine méridionale paisible, stable et propice au développement durable. »

L’ASEAN 30ème, une déclaration commune en demi-teinte

A la conférence de presse au Centre des Conventions Internationales des Philippines (PICC) le soir du 29 avril 2017, le président philippin Rodrigo Duterte affirme :  «  la discussion des dirigeants de l’ASEAN sur les constructions chinoises en Mer de Chine méridionale est inutile, et que les Philippines n’ont pas de forces militaires suffisantes pour empêcher les agissement de la Chine ». Même s’« il n’y a pas de terme indiquant explicitement cela [les constructions militaires, NDLR], nous souhaitons avoir un code de conduite (COC) à la fin de cette année pour que tout le monde se sente à l’aise en naviguant sur ces eaux, et nous affirmons que nous ne «  vendrons »  jamais les intérêts des Philippines en Mer de Chine méridionale… »

Réagissant à la déclaration commune du 30ème sommet de l’ASEAN et aux déclarations du président Duterte, M. Tran Cong Truc — ancien président du Comité des frontières du gouvernement vietnamien pense : « Cette déclaration est une sorte de solution stratégique. D’une manière subjective, je pense que beaucoup seront très mécontents et surpris par la disparition des termes « construction d’île » et « militarisation » dans cette déclaration. Néanmoins, je trouve qu’il s’agit là d’une solution aux teneurs stratégiques et LA solution la plus réaliste dans un contexte de déséquilibre des forces militaires, pas seulement entre la Chine et les pays de l’ASEAN, mais aussi entre les grandes puissances, dont les Etats-Unis et la Chine. La tentation de la violence semble trouver son terrain au milieu des disputes géo-stratégiques, géopolitiques, géoéconomiques en Asie Pacifique. Ces disputes induisent des risques potentiels de conflit et de guerre. »

M. Tran Cong Truc insiste : « Par conséquent, la première priorité dans le contexte actuel est la solidarité de tous les pays pour empêcher la guerre, faire avancer la signature du COC, conserver des relations cordiales pour ne pas donner de raison aux grandes puissances de profiter de la situation à leur avantage. Car, comme a déclaré le président Tran Dai Quang, si un conflit ou une guerre avait lieu, personne n’en sortirait vainqueur. S’ils le trouvent nécessaire, les pays de l’ASEAN ont le droit de conserver leur position et de condamner tout acte en violation à leurs droits et à leurs intérêts légaux en Mer de Chine méridionale. Cette attitude est nécessaire et elle a des valeurs juridiques selon les principes du droit et des pratiques internationales en vigueur. » A suivre !

Par Vo Trung Dung (à Manille et à Hanoi)


Qu’est-ce que la Déclaration non contraignante sur la conduite des parties dans la mer de Chine méridionale (DoC) ?

En 2002, l’ASEAN et la Chine ont signé une Déclaration — non contraignante — sur la conduite des parties dans la mer de Chine méridionale (en anglais : DoC). La DoC réaffirme les obligations conventionnelles des signataires et le respect de la liberté de navigation et de survol, et demande aux parties de s’engager à résoudre les différends par voie pacifique. Depuis la conclusion de la DoC, l’ASEAN s’est concentrée sur la négociation d’un code de conduite contraignant (CoC) pour l’activité maritime dans la mer de Chine méridionale. Le projet préparé par l’Indonésie en 2014 proposait des mesures beaucoup plus spécifiques que celles de la DOC, telles que les conduites à tenir pour éviter les risques d’entrée en conflit armé en mer et l’arrêt des exercices militaires dans les eaux contestées.

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