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La Chine et l’ASEAN en Mer de Chine méridionale, entre dangers et opportunités

Les relations entre la Chine et l’ASEAN sur la question de la Mer de Chine méridionale semblent s’améliorer. Dans la région, on parle de coopération économique et scientifique, de l’exploitation commune, du code de conduite. Mais la réalité du terrain est toute autre et ne peut faire oublier l’essentiel : asymétrie technologique et militaire, opportunités et dangers d’une exploration conjointe… en faveur de Pékin ! Une analyse de cas des Philippines de Stephen Nagy pour Asie Pacifique News.

Le président chinois Xi Jinping s’est récemment rendu aux Philippines pour la première fois en treize ans. Cet évènement marque le point d’orgue des relations sino-philippines, celui-ci ayant apporté des promesses économiques de la part de la Chine ainsi qu’un accord sur une exploration conjointe du récif de Scarborough dont la souveraineté est revendiquée à la fois par Pékin et par Manille.

Cette cordialité apparente entre les présidents Xi Jinping et Rodrigo Duterte ne devrait pas être mal interprétée. Avant la décision de la Cour permanente d’arbitrage en juillet 2016 rejetant les revendications chinoises en Mer de Chine du Sud, le degré d’amitié entre les deux pays était à un niveau historiquement bas. Avec l’élection de Rodrigo Duterte et sa déclaration sur la « défaite » des États-Unis en Mer de Chine méridionale lors d’une visite d’État à Pékin au même moment, le président philippin a assuré 24 milliards de dollars d’engagements économiques chinois pour aider les Philippines à développer ses infrastructures et sa propre économie. Les deux pays ont également accepté de mettre leurs disputes territoriales de côté afin de se concentrer sur la coopération et la stabilisation de leurs relations.

Le cas des Philippines où Pékin est gagnant

La relation sino-philippine a pris un tournant positif sur nombre de points alors que les promesses économiques chinoises commencent à se concrétiser sur le territoire philippin. A ce jour, 800 millions de dollars auraient déjà été investis. Du fait que les plus importants engagements économiques concernent le développement des infrastructures, il faudra des années pour que les premiers résultats soient visibles et quantifiables. Aussi, les doutes demeurent quant à l’allocation complète des fonds promis par la Chine, en particulier si Manille renforce ses relations avec les États-Unis et/ou le Japon ou bien si les autorités philippines réadoptent une approche plus contestée — du point de vue de Pékin — de ses revendications territoriales.

Malgré un accueil positif de la détente entre Manille et Pékin, l’appréhension subsiste concernant le développement des infrastructures et le fait que tous les projets sont, dans les faits, conduits par des entreprises chinoises. Pour beaucoup, ces promesses ne profitent nullement au Philippin moyen en cela qu’il s’agit concrètement d’entreprises chinoises construisant des routes chinoises — aux Philippines — avec de l’argent chinois.

Si ce déséquilibre était atténué, cela pourrait améliorer la réputation de cette « assistance » chinoise. S’il se maintient, les critiques pourraient se déporter vers les projets liés à la nouvelle route de la soie (Belt and Road Initiative). En effet, de plus en plus de pays impliqués dans ces projets reconsidèrent leur participation alors que les entreprises chinoises sont vues comme les grands gagnants de l’initiative, au détriment des entreprises et communautés locales. Le retrait de la Malaisie de la nouvelle route de la soie par le Premier ministre Mohammed Mahatir illustre ce qui pourrait devenir une tendance générale si les promesses économiques ne se concrétisent pas et si les parties prenantes locales ne sont pas des bénéficiaires directes des projets autour de l’initiative. Les Philippines ne feront pas exception à la règle.

Sur le plan territorial, les critiques des politiques du président Rodrigo Duterte voient cette détente avec la Chine comme un fléau sans aucun effet sur les revendications du pays en Mer de Chine méridionale. Selon eux, la stagnation de la problématique territoriale et la distanciation nonchalante de Manille vis-à-vis de Washington témoignent d’une certaine naïveté et de l’absence d’une stratégie de long terme.

L’habilité de Manilles

Néanmoins, la diplomatie de Duterte a permis de réquisitionner des ressources matérielles et financières à la fois du Japon, de la Chine et indirectement des États-Unis. En effet, le Japon a fourni des navires aux garde-côtes philippins pour aider le pays à gérer et contrôler ses territoires. Le Japon s’est aussi engagé dans des exercices amphibiens conjoints. Enfin, les investissements directs en provenance du Japon ont légèrement grimpé et la coopération entre Tokyo et Manille s’est renforcée en amont de leur partenariat stratégique.

Les États-Unis continuent de collaborer avec l’armée philippine pour s’occuper des extrémistes de la province méridionale de Mindanao et sur d’autres problématiques. En dépit des discours sur la cassure entre Manille et Washington, une forte coordination institutionnelle se maintient ainsi qu’une collaboration et des échanges conformes avec leur statut d’alliés.

En plus de la mise en place d’infrastructures, de la construction de centres de désintoxication et de l’apaisement des provocations autour du récif de Scarborough, la Chine et les Philippines se sont accordées sur l’exploration conjointe des territoires disputés. A noter que ces accords restent pour le moment sur du papier.

La « diplomatie de la science »

Tandis que la co-exploration entre la Chine et les Philippines représente une opportunité d’exploiter ensemble les ressources des territoires revendiqués, cela représente aussi ce que le Dr Fabrizio Bozzato appelle la « diplomatie de la science ». Ce chercheur de l’Association de recherche stratégique de Taiwan affirme qu’à travers ces explorations conjointes, Pékin peut s’engager activement dans la recherche civile et militaire.

Avoir recours à la diplomatie de la science permet de faire d’une pierre deux coups. De prime abord, cela donne à Pékin l’opportunité d’afficher sa bonne foi diplomatique en s’engageant dans l’exploration conjointe de ce domaine marin dont les ressources pourraient bénéficier aux deux pays. Cela permet ainsi d’apaiser les tensions tout en représentant une aubaine pour tout le monde.

D’un point de vue stratégique, cette exploration peut être l’occasion d’innover dans le domaine des hautes technologies comme le suggère la proposition de base sous-marine intelligente, beaucoup moins connue que son alternative spatiale.

Cette interprétation met en lumière l’intérêt chinois d’une telle base en Mer de Chine méridionale qui est vue comme l’équivalent du premier pas de l’Homme sur la Lune. A la chinoise…

La coopération scientifique sous-marine à visée géostratégique et militaire

Il est important de noter que cette exploration conjointe avec Manille et le choix de la Mer de Chine du Sud comme hôte du projet de base sous-marine intelligente sont essentiels. C’est une opportunité de déployer la technologie la plus sophistiquée pour consolider le contrôle du domaine sous-marin. Concrètement, derrière l’image de la coopération et la diplomatie scientifique, Pékin peut renforcer sa connaissance de l’environnement subaquatique de cette zone maritime en mesurant les courants, les variations de températures et la topographie sous-marine. Ces informations sont primordiales pour rendre opérationnelle une flotte sous-marine capable de manœuvrer librement et en toute connaissance de cause.

Cela sécurisera aussi les objectifs stratégiques chinois d’hégémonie en Mer de Chine du Sud, la Chine voulant protéger ses intérêts fondamentaux de cohésion nationale et de souveraineté. Cela permettra aussi à la Chine d’exploiter les énergies et les ressources naturelles de la zone. Cette stratégie est efficace : que ce soit le développement d’une certaine domination sous-marine à travers une exploration conjointe ou le déploiement d’actifs sous-marins, il n’est pas aussi aisé de les contrôler que des actions en surface comme la construction et la militarisation d’îles artificielles en Mer de Chine. De la même manière, il est aussi plus difficile de détruire des infrastructures sous-marines.

Les enjeux sont clairs pour les États de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) au regard des disputes territoriales dans la région impliquant le Vietnam et les Philippines. En ajoutant sa domination sous-marine à sa domination en surface garantie par ses îles artificielles militarisées, la Chine s’assure du contrôle exhaustif de la Mer de Chine méridionale et de la consolidation des progrès stratégiques accomplis depuis l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir en 2012.

Le rôle du QUAD et autres puissances extrarégionales pour contrebalancer Pékin

Les pays de l’ASEAN devraient encourager les États extrarégionaux, tels que les États-Unis, le Japon, l’Australie et l’Inde — qui forment le QUAD —, à augmenter la fréquence de leurs visites dans la région sur et sous la surface. Dès lors, ils pourraient montrer qu’aucun pays n’a de suprématie de facto, que ce soit en construisant des îles artificielles ou des bases sous-marines. Le QUAD pourrait être une institution utile pour mettre en place cette initiative, malgré la réticence de l’Inde à prendre une position forte sur les comportements observés en surface et sous la surface, le pays ayant adopté la tactique de la zone grise impliquant la diplomatie scientifique.

L’inclusion de puissances extrarégionales comme contre-pouvoirs devrait être mise en place de manière active. Les candidats pourraient eux-mêmes inclure des États indopacifiques auto-proclamés tels que l’Australie, la France, le Japon et l’Inde, mais également d’autres États ayant une aptitude à l’interopérabilité tels que le Royaume-Uni, le Canada et la Nouvelle-Zélande. Ce QUAD 2.0 pourrait permettre d’équilibrer de manière collective l’asymétrie militaire qui existe dans la région tout en témoignant d’un engagement envers l’encadrement et la régularisation de la zone.

Leur implication ne devrait pas se limiter à une coopération basée sur la sécurité. Les pays de l’ASEAN devraient encourager les gouvernements à explorer et conduire des projets de développement sous-marin multilatéraux afin d’assurer le partage des biens publics en Mer de Chine du Sud et d’importer le multilatéralisme dans ce qui représente le cœur économique de la région mais qui est aussi un lieu stratégique pour les transports et les ressources énergétiques et marines.

La Chine pourrait être inclue dans ce processus, selon l’idée d’une exploration multilatérale et inclusive et de l’exploitation des ressources de la zone. Cela permettrait à la région de développer de manière conjointe des normes qui pourraient alors poser les fondements d’explorations futures. La coopération multilatérale pourrait inclure le QUAD et le QUAD 2.0 ainsi que les pays de l’ASEAN et la Chine. Cela enverrait également un signal fort à Pékin, mettant l’emphase sur les velléités des parties prenantes régionales et extrarégionales de coopérer avec la Chine si ses leaders s’engagent dans la voie du multilatéralisme. Dans le même temps, la coopération entre les États de l’ASEAN, du QUAD et du QUAD 2.0 permettrait de s’assurer que le domaine sous-marin en Mer de Chine méridionale ne devienne pas la proie de la diplomatie scientifique censée garantir l’hégémonie chinoise dans la région.

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Stephen R. Nagy est originaire de Calgary au Canada. En décembre 2017, il reçoit une distinction de la Fondation canadienne de l’Asie pacifique (APF) ainsi qu’une qualification d’expert de la Chine par le Partenariat canadien pour la recherche sur la Chine. Il est également consultant pour l’Institut canadien des affaires mondiales (CGAI) et l’Institut japonais des affaires internationales (JIIA). Parallèlement, Stephen est professeur au Département des études politiques et internationales à la International Christian University de Tokyo. En 2018, il est sélectionné pour le CSIS AILA Leadership Fellowship à Washington.

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Notes : L’article original est en anglais. La traduction, le titre, le sous-titre et les intertitres sont de la Rédaction d’Asie Pacifique News.

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