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Marawi occupée par les combattants islamiques radicaux bombardés par l'armée philippine.

Daech à Mindanao: la difficile reconquête de Marawi et la crainte d’une propagation en Asie du Sud-Est

Mindanao, Philippines en guerre terroriste. L’armée philippine s’est lancée dans la reconquête des quartiers de Marawi tombés sous la coupe des islamistes ayant fait allégeance à Daech. Les combats s’annoncent longs et difficiles. La situation est scrutée de près par les États du Sud-Est asiatique qui craignent une contagion face à une poussée djihadiste internationale.

Les civils ont fui. La ville vidée de ses 200 000 habitants. Plus de 300 000 personnes déplacées si l’on compte aussi les environs. Marawi est en ruine. Les rues jonchées de détritus. Des colonnes de fumée montent dans le ciel. Maisons, université, église brûlent. Les mosquées semblent encore épargnées par les combats et les bombardements opérés par des avions et d’hélicoptères de l’armée.

A un degré moindre, le constat rappellerait à s’y méprendre Mossoul en Irak ou Raqqa en Syrie. Aux Philippines, la ville de Marawi est majoritairement peuplée de musulmans et aussi le centre économique de Mindanao. Une partie d’elle est tombée aux mains de combattants islamistes ayant fait allégeance à Daech. Sa reconquête par les forces armées gouvernementales progresse lentement. Mais de l’aveu même des militaires philippins, peu rompus à la guerre urbaine, les combats s’annoncent longs et difficiles. Les forces spéciales américaines «  soutiennent les soldats philippins mais ne participent pas au combat » selon l’ambassade des Etats-Unis de Manille. Washington déploie aussi sur la zone un avion de reconnaissance P-8 Orion.

Car si les djihadistes qui ont attaqué la ville de Marawi ne contrôlent maintenant qu’entre 10 à 20% de la ville, trois des neufs principaux quartiers — selon le général Restituto Padilla, porte-parole de l’armée des Philippines,— leur connaissance du terrain, leur arsenal, les boucliers humains qu’ils utilisent et le réseau de caves, de caches et de tireurs embusqués promettent de rendre la reprise en main fastidieuse et complexe. Et meurtrière. Les combats qui ont débuté le 23 mai ont déjà fait plus de 300 morts du côté des djihadistes et 67 chez les militaires et policiers. On ne connait pas avec précision le nombre de victimes civiles. Les autorités de Manille mentionnent 26 civils tués mais le bilan réel est sans doute plus élevé. Un correspondant de l’agence de presse AFP circulé avec l’armée philippines affirme avoir vu des cadavres joncher  les rues de la ville.

La naissance possible d’un « Etat islamique » en Asie du Sud-Est

Les islamistes radicaux ont surtout brusquement fait prendre conscience à l’opinion publique internationale qu’après la Syrie et l’Irak, c’est sans doute dans ce pays d’Asie du Sud-Est que le risque de voir se former un califat islamique est le plus élevé.

La prise de Marawi et les victoires remportées par les islamistes de l’île de Mindanao envoient en effet un signal très inquiétant : le potentiel visiblement croissant des groupes armés djihadistes ayant fait allégeance à l’Etat islamique, qui ne constituent d’ailleurs qu’une partie seulement des groupes armés de la zone. Car derrière l’appellation « djihadistes » que l’on retrouve dans les médias ne se trouvent pas les grands mouvements musulmans des Philippines, à savoir le MILF (Front de Libération islamique Moro) ou le MNLF (Front Moro de Libération nationale).

Les groupes MILF et MNLF ont même rencontré le président philippin Rodrigo Duterte et ont proposé leur aide pour vaincre les factions qui les ont « doublés », à savoir le groupe Maute — appelé aussi Etat islamique de Lanao, composé d’anciens membres du MILF — et Abu Sayyaf. Ces deux derniers groupes ont fait allégeance à Daech en 2014, ce qui a sans doute galvanisé leurs forces et facilité le recrutement, en plus de leur avoir assuré un appui financier.

Le ministre de la Défense des Philippines Delfin Lorenzana a d’ailleurs assuré, sans que l’on puisse vérifier l’information, que l’Etat islamique aurait versé 2 millions de dollars aux hommes d’Isnilon Hapilon, le chef présumé de l’EI en Asie du Sud-Est. En outre, 52,2 millions de pesos en liquide — soit environ un million de dollars — ont été saisis dans les caches retombées sous contrôle de l’armée à Marawi.

Des craintes dans le reste de l’Asie

Autre signe faisant craindre la reconstitution d’un « phénomène irako-syrien » aux Philippines, la présence importante de combattants étrangers dans les rangs des groupes qui occupent une partie de Marawi. Sur les 500 hommes environ qui sont retranchés en ville, des Indonésiens, des Malaisiens, mais aussi des Tchétchènes ou des Yémenites sont présents.

De quoi s’inquiéter sur la capacité des Philippines à surveiller qui se rend sur son territoire et avec quelles intentions. « La géographie rend la situation difficile à contrôler et effectivement, les frontières sont incontrôlables. Depuis longtemps, on observe une «  solidarité »  entre les musulmans radicaux philippins, indonésiens et malaisiens qui revendiquent la formation d’un califat. Certains musulmans thaïlandais et birmans se réclament à présent des mêmes courants » explique à Asie Pacifique News Sophie Boisseau du Rocher, chercheur au Centre Asie de l’Institut français des relations internationales (IFRI). « Al Qaïda avait déjà repéré ce potentiel susceptible d’affaiblir durablement les Etats, l’Etat islamique est passé à l’action et aide ces groupes à se penser et se projeter comme force transnationale ».

La situation aux Philippines a en tout cas largement occupé les discussions lors du Shangi-La Dialogue à Singapour, où les ministres de la Défense et les experts de 38 pays se réunissaient pour échanger sur les questions sécuritaires sur le continent asiatique. La situation dans l’archipel était même plus présente dans les conversations que l’escalade nucléaire en Corée du Nord ou l’activisme militaire de Pékin en mer de Chine méridionale. Le terrorisme islamique en Asie a même été qualifié de « préoccupation sécuritaire la plus importante » par Ng Eng Hen, le ministre de la Défense de Singapour, qui accueillait le sommet.

Les pays de la région craignent en effet un débordement de la situation, notamment si les forces militaires des Philippines ne parviennent pas à reprendre rapidement la main. Une issue loin d’être certaine, non seulement pour des raisons géographiques, la zone étant très éparpillée ce qui représente un atout pour des groupes islamistes qui se structurent, mais aussi en raison de l’incapacité de l’Etat philippin à régler le problème malgré le soutien international.

« Les Philippines se font aider depuis plus de dix ans, par les Etats-Unis, cela n’a pas réglé le problème. Probablement parce que la solution n’est pas militaire mais politique, rappelle Sophie Boisseau du Rocher. Or devant l’impasse de négociations -qui durent depuis plus de 40 ans- toujours critiquées et refusées par l’un des groupes musulmans, la solution militaire radicale est préconisée. Or, l’Etat philippin est un Etat faible, impuissant, contradictoire ». L’enjeu est également crucial pour le président Rodrigo Duterte, décrié sur la scène internationale, mais bon connaisseur du dossier des groupes djihadistes, ayant été — avec des interruptions — 22 ans maire de Davao, une ville en plein cœur de la grande île musulmane.

En dehors des Philippines, la situation renforce la crainte d’une « expansion » de l’islamisme radical. Le 8 juin 2017, l’agence Aamaq, l’organe médiatique de l’Etat islamique (EI), a revendiqué, les assassinats de deux otages chinois. Les otages, un homme et une femme, tous deux professeurs de mandarin, le 24 mai, enlevés par des hommes habillés en policiers, non loin de Quetta, province du Balouchistan, au Pakistan. Une région où la Chine devient très présente dans le cadre des projets d’infrastructure du « corridor économique sino-pakistanais » de 26 milliards d’euros faisant partie de la « nouvelle Route de la soie » chinoise. Des milliers de Chinois travaillent pour ces projets au Pakistan.

Un autre chercheur tempère toutefois les craintes d’une formation rapide et solide d’EI en Asie du Sud-Est. Romain Quivooij, chercheur associé au Centre d’excellence pour la sécurité nationale de l’Université Nanyang Technological, à Singapour, explique à la Radio Canada : «  Parce que ces groupes et factions qui veulent devenir l’EI en Asie du Sud-Est n’ont pas réussi à tenir des localités entières et à s’implanter durablement sur un territoire donné, comme c’est le cas en Libye, par exemple. » Il poursuit : «  Y a-t-il inspiration idéologique et volonté de reconnaissance médiatique de la part de groupes locaux? Cela semble évident. Parle-t-on d’un flux logistique, humain, financier, de la Syrie et de l’Irak vers les Philippines? C’est beaucoup plus discutable. »

En attendant, les autorités d’islam, via la voix d’Abdul Hamidullah Atar, sultan de Marawi, ont appelé depuis le 15 juin à « la retenue des opérations militaires de part et d’autre afin d’éviter les morts civils et la destruction encore plus de la ville ». L’armée philippine déclare qu’elle « pratique la force avec le strict minimum nécessaire, ce qui explique la lourde perte militaire… » Le dimanche 25 juin, Manille a décrété une trêve de façon unilatérale pendant plusieurs heures pour permettre aux habitants de célébrer la fin du ramadan.

Et dès 06h00 GMT, les combats reprennent de plus belle.

Par Damien Durand

(Reportage additionnel aux Philippines par Vo Trung Dung)

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