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Birmanie © Aung Myint, Yangon, Myanmar.

Birmanie : la (très) fragile démocratie

Trente-huit millions d’électeurs birmans se sont rendus aux urnes. Il s’agit de la deuxième élection générale depuis le retrait partiel du pouvoir de la jungle militaire, et le retour de la démocratie. Le parti politique — la Ligue nationale pour la démocratie (LND), au pouvoir — dirigé par la lauréate du Prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi devrait gagner cette élection.

Le Myanmar (Birmanie) a voté dimanche 8 novembre 2020. Une élection générale considérée comme un « référendum » sur le jeune gouvernement démocratique qui reste populaire dans le pays — faute de mieux — mais dont la réputation internationale s’est effondrée en raison d’allégations de génocide des Rohingyas.

Les électeurs se sont rendus aux urnes. Pour beaucoup — habitants de Yangon (Rangoon) —, c’était leur première sortie dans la rue depuis le 21 septembre, la date du début de confinement de la région, en raison de la pandémie de CoVid-19.

Une majorité à trouver

À Yangon, de longues files d’électeurs portant des masques sanitaires se sont formées au lever du soleil. Dans la soirée, la foule devant le siège du Parti LND a ignoré les exhortations des responsables du Parti à rentrer chez eux.

Le dépouillement des bulletins de vote prendra du temps, et le résultat ne sera pas connu avant plusieurs jours.

Aujourd’hui, le Parti LND espère conserver une majorité des deux tiers, avec environ 500 sièges à pourvoir dans les chambres basse et haute du Parlement. Atteindre ce seuil est crucial, car la Constitution birmane permet aux militaires de nommer les 25 % de sièges restants dans les deux chambres parlementaires. Ce quota confère in fine aux députés-militaires un pouvoir de blocage au Parlement.

Si la victoire semble acquise, cette fois-ci, Aung San Suu Kyi et la Ligue nationale pour la démocratie (LND) au pouvoir seront mises à l’épreuve pour la première fois depuis leur victoire électorale écrasante en 2015. Car, les sondages réalisés à la sortie des urnes ont indiqué une baisse des voix pour la LND. Et, si la LND au pouvoir ne parvient pas à conserver sa majorité, elle devra former une coalition pour pouvoir gouverner, ce qui limitera, dans les faits, ses marges de manœuvre de gouvernance.

Aung San Suu Kyi comme rempart de la démocratie et la jungle militaire

Un chef d’entreprise rencontré devant un bureau de vote a confié : « L’élection est très importante pour la nation à long terme. Je suis moins inquiet des conséquences de CoVid-19 que la perte du pouvoir du Parti LND. »

La lauréate du prix Nobel de la paix, Aung San Suu Kyi, 75 ans, reste très respectée au Myanmar, où un récent sondage a révélé que 79 % des gens la considéraient comme la figure la plus fiable du pays. Mais l’enthousiasme est plus faible dans les régions reculées dominées par des minorités ethniques, dont beaucoup se sentent mises à l’écart par le gouvernement central à majorité bouddhiste Bamar.

Les conseillers de la LND affirment que les critiques à l’encontre d’Aung San Suu Kyi sont injustes. « Il n’est pas possible d’espérer d’un changement rapide au Myanmar, et ces critiques entravent les efforts visant à garantir des progrès progressifs. Notre parti politique doit composer avec les militaires pour gouverner, et pour maintenir la paix », ont-ils dit.

Alors qu’il votait dans la capitale Naypyitaw, le général Min Aung Hlaing, commandant en chef de l’armée birmane, a assuré qu’il « accepterait le résultat qui découle des souhaits du peuple ». Le porte-parole de la LND, Myo Nyunt, a juré que le parti au pouvoir avait fait « de son mieux dans la gestion de la crise des Rohingyas » et qu’il « continuerait à travailler main dans la main avec l’armée ».

L’ONU a indiqué dans son rapport d’enquête sur la situation des Rohingyas qu’il y avait une intention génocidaire dans la répression de l’armée birmane en 2017. Cette violente répression a poussé 730 000 Rohingyas à fuir vers le Bangladesh voisin. Selon les autorités du Myanmar, il s’agissait « d’une opération légitime contre les militants séparatistes et les terroristes. »

Des citoyens exclus de l’élection
Birmanie — © P. Aumond
Birmanie — © P. Aumond

Presque deux millions de personnes à travers le pays n’ont pas pu voter après l’annulation des scrutins en raison des insurrections — réelles ou supposées — dans leurs régions.

Des centaines de milliers de Rohingyas, une minorité musulmane confinée dans des camps et des villages à l’intérieur de l’État de Rakhine au Myanmar, la plupart sans nationalité, n’ont pas pu non plus voter.

Le Parti de la démocratie et des droits de l’homme, un parti rohingya, a déclaré dimanche qu’il était « totalement déçu » que la population ait été privée de son droit de vote. La Commission électorale a affirmé que « les bureaux de vote dans les zones touchées par le conflit avaient dû être annulés pour des raisons de sécurité et que seuls les citoyens avaient le droit de voter. » Cette décision a fait l’objet de vives critiques en raison de préoccupations liées au manque de transparence.

Nowkhim est Rohingya, 23 ans, et vit dans le camp de réfugiés de Kutapalong au Bangladesh, joint par téléphone : « Même si nous sommes nés là-bas, aujourd’hui nous ne pouvons pas voter. Mon cœur pleure aujourd’hui. »

Les partis « ethniques » comptent peu dans l’échiquier politique

Les minorités ethniques représentent environ 30 % de la population du Myanmar. Mais elles pèsent peu dans la vie politique birmane. Plusieurs groupes ethniques armés qui ont émergé sous la junte militaire se battent toujours pour le droit de s’autoadministrer et de former des confédérations.

Les partis politiques représentant des minorités ont changé d’avis à l’égard de la LND depuis 2015, date à laquelle la Ligue nationale pour la démocratie leur a promis la paix et la réconciliation nationale. Aung San Suu Kyi n’a pas réussi à obtenir la paix. Malgré les conférences de paix, de nombreuses ethnies souffrent au milieu de guerres civiles.

Depuis 2018, les partis politiques ethniques locaux de chaque État fusionnent progressivement et se proposent comme des alternatives électorales à la LND.

Les militaires conservent toujours le pouvoir politique

L’armée nomme 25 % des législateurs des deux chambres parlementaires. C’est pourquoi la LND doit remporter au moins deux tiers des sièges élus pour obtenir la majorité. En outre, le Parti de la solidarité syndicale et du développement (USDP), le plus grand parti d’opposition, est affilié à l’armée. Il s’aligne souvent sur les principaux chefs militaires pour voter les projets de loi.

Même si la Constitution confère au président le pouvoir et l’autorité sur de nombreuses questions, les questions de défense et de sécurité sont du ressort du commandant en chef des forces armées. Ces pouvoirs se trouvent aux mains du général Min Aung Hlaing. L’armée nomme aussi trois membres du gouvernement : les ministres de la Défense, de l’Intérieur et des Frontières.

La modification de la Constitution reste le point le plus important à l’ordre du jour des partis qui cherchent une véritable transition démocratique. Mais les amendements ne peuvent être adoptés que si 75 % de l’ensemble des législateurs votent en leur faveur. Le quota de 25% donne aux militaires un droit de veto. La LND a soulevé cette question au Parlement, mais elle a été rejetée par les législateurs nommés par les militaires.

Un avenir incertain

Le porte-parole de la LND, Myo Nyunt : « Le plan de développement durable du Myanmar (MSDP) a été présenté en 2018 comme un plan directeur à long terme pour moderniser l’économie. Il se concentre sur le développement des infrastructures et continuera à être suivi après les élections. »

Toutefois, si la LND ne parvient pas à obtenir une majorité, mais reste au pouvoir en formant une coalition avec les partis des minorités ethniques, le processus législatif pourrait se ralentir. La production d’énergie hydroélectrique, l’exploitation minière et d’autres projets pourraient également être touchés, car ils ont un impact direct et important sur les populations ethniques minoritaires.

Sur le plan diplomatique, la Chine restera le principal partenaire étranger du Myanmar, même si le gouvernement cherche à atteindre un équilibre avec les pays occidentaux ainsi qu’avec le Japon et l’Inde. La LND est consciente que, dépendre trop de la Chine est impopulaire auprès des électeurs du Myanmar et pose des risques pour la sécurité du pays.

Vo Trung Dung, avec Shoon N. à Yangon.

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Illustration de Une : © Aung Myint, né en 1946 à Yangon, Myanmar. Artiste, peintre autodidacte, il travaille principalement à l’huile en peinture, sur des installations, des performances, très à l’avant-garde du mouvement artistique contemporain à Yangon. Aung Myint est le fondateur de la galerie Inya à Yangon.


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