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Taiwan-Chine, détroit de tous les dangers. Source : http://www.cpreview.org/blog/2015/12/bridging-the-strait-optimism-for-taiwans-uncertain-future

Taiwan : Face aux rouleaux compresseurs de la Chine

Faire advenir une Chine unique est une priorité de la stratégie d’influence de Pékin face à Taïwan. La Chine déploie et avance, chaque jour un peu plus, ses rouleaux compresseurs afin d’isoler Taïwan sur tous les plans : diplomatie et économie. Pékin tente aussi d’influencer l’opinion publique taïwanaise, en sa faveur, en vue des élections de 2020.

Les actions de Pékin contre Taipei ont pour conséquence : le soutien — diplomatique, sécuritaire et économique — retrouvé et renforcé de Washington à Taipei ! Les actions chinoises mettent aussi en lumière la lutte d’influence croissante entre la Chine et les États-Unis vis-à-vis de Taiwan.

Diplomatie du carnet de chèque pékinoise. Taïwan perd de nouveaux alliés.

Le 20 septembre dernier, les Kiribati — une semaine seulement après les îles Salomon —, ont annoncé avoir cessé toute relation diplomatique avec Taïwan afin de s’allier avec Pékin.

En juillet, Jeremiah Manele, premier ministre des îles Salomon, avait déclaré que les relations avec Taïwan étaient « inutiles ». Ce revirement serait selon lui l’expression de l’intérêt national des Salomonais.

Afin d’adresser un message fort aux Etats susceptibles de franchir ce cap diplomatique, le gouvernement chinois a indiqué que ces archipels allaient bénéficier à présent de conditions de développement « exceptionnelles ».

Selon Joseph Wu, Ministre des Affaires Etrangères de Taïwan, le revirement des Kiribati s’expliquerait de même par la promesse émise par Pékin de fournir à ces derniers de nombreux ferrys et avion afin de soutenir leur développement. Selon lui, Pékin a engagé depuis plusieurs années une politique d’isolement de Taïwan dans le Pacifique, notamment par la promesse de construction d’infrastructures. Du point de vu Pékin, l’île fait en effet toujours partie intégrante du territoire chinois.

En réaction, les Etats-Unis ont refusé l’organisation d’une rencontre avec le premier ministre des îles Salomon.

Tsai Ing-wen, la Présidente de Taïwan a, par ailleurs, dénoncé les manœuvres de la Chine qui, selon elle, tenterait d’influencer le résultat des élections taïwanaises de 2020.

En trois ans seulement, Taïwan a perdu sept alliés qui se sont tournés vers le gouvernement de Pékin et sa reconnaissance comme le représentant de la Chine officielle : Sao Tome et Principe, le Burkina Faso, Panama, le Salvador, la République dominicaine et enfin les Salomon et les Kiribati.

La fin du consensus et le retour des deux Chines

En 1945, vaincu sur le continent, Tchang Kaï-chek et certains de ses partisans se réfugient sur l’île de Taïwan. Dans l’espoir de reprendre un jour l’ensemble de la Chine aux communistes, le régime refuse alors de déclarer l’indépendance de l’île. Le nom officiel de Taïwan se trouve donc toujours être « République de Chine ». L’existence de deux Chines officielles reste problématique pour Pékin. Même si, depuis lors, nombreux ont été les pays à reconnaitre la République Populaire de Chine (le premier d’entre eux a été la France, en 1964).

Plus tard, durant les années 1990, Taïwan se libéralise et devient une démocratie ; elle rejoint de même les « dragons » asiatiques.

Durant les années 2000, les deux pays se rapprochent et normalisent leur relation. L’établissement de vols directs entre Taïwan et le continent a été un signe de ce réchauffement (ces derniers devaient auparavant tous passer par Hong Kong). Un programme d’assistance mutuelle entre la Chine et Taïwan a de même été mis en place pour venir en aide aux bateaux de pêche, qu’ils appartiennent au continent ou à l’île (ce programme ne durera toutefois que quelques années seulement). Certains experts émettent aujourd’hui l’hypothèse que ce réchauffement de la part de Pékin aurait été opéré dans le but d’apaiser les critiques internationales, au moment ou la répression chinoise battait son plein au Tibet.

Toutefois, en 2016, la victoire des indépendantistes taïwanais au Parlement modifie les relations entre les deux pays.

Lors de l’élection de Donald Trump à la tête des Etats-Unis, Tsai Ing-wen lui adressa ses félicitations. Trump décida alors de lui répondre et d’échanger publiquement avec elle. Cette discussion médiatisée fut condamnée par Pékin, qui avait instauré comme usage diplomatique que les chefs d’Etats étrangers ne communiquent pas directement avec les officiels taïwanais (pour Pékin, Taïwan est toujours une province chinoise).

En 2017, Donald Trump autorise les navires de guerre américains à faire escale sur l’île de Taïwan, ce qui n’était plus le cas depuis 1979, date à laquelle Washington avait reconnu les autorités de la Chine communiste. En mars 2018, un tournant majeur a été opéré par l’administration présidentielle avec la signature du Taiwan Travel Act, qui autorise les officiels états-uniens à se rendre sur l’île et à y rencontrer leurs homologues taïwanais. Par la suite, un contrat de livraison d’armes a été signé entre Washington et Taipei, à hauteur de 1,4 milliards de dollars. Des technologies sous-marines ont de même été fournies à cette dernière.

Les Etats-Unis ont, de plus, fait naviguer plusieurs navires de guerre dans le détroit de Formose, qui sépare l’île du continent chinois. Aussi, ces derniers semblent employer Taïwan comme un levier de pression contre Pékin, dans le cadre de la guerre économique et de la rivalité géopolitique que les deux puissances se livrent dans la région.

La Chine affine sa stratégie d’influence afin d’isoler Taipei et de cibler sa population

Pékin lance en direction de Taïwan un ensemble de mesures d’influence afin de rallier la population à sa vision. Sur Internet, de nombreux messages chinois visent à décrédibiliser la politique taïwanaise, notamment sa réforme des retraites. De plus, la Chine s’est alliée à certaines figures mafieuses de l’île afin que ces dernières promeuvent le rattachement de Taïwan à la Chine. En réaction, des manifestations indépendantistes sont organisées sur l’île, notamment par le mouvement Alliance Formose, qui réclame une déclaration officielle d’indépendance de Taïwan. Cette déclaration entrainerait, selon les autorités chinoises, une intervention militaire des armées de Pékin. Aussi, l’actuelle présidente de Taïwan se veut la promotrice du statu quo traditionnel de l’île.

A l’international, la Chine a imposé en 2018 aux compagnies aériennes transitant en Chine de produire des cartes du monde où Taïwan ne figurait plus comme un Etat séparé du reste de la Chine, mais en faisait entièrement partie. Ces dernières, Air France notamment, ont accepté cette demande, et proposent désormais des vols en direction de « Taïwan, Chine ».

Toujours en 2018, Pékin a instauré des facilités administratives et financières afin de cibler les étudiants taïwanais qui souhaitaient venir étudier sur le continent, n’hésitant pas à appeler ces derniers « compatriotes de Taïwan ». On le voit, si la Chine continue d’exercer des pressions diverses sur les officiels taïwanais, sa stratégie semble avoir évolué vis-à-vis de la population, appréhendée désormais comme une cible à séduire. Ces derniers, selon les autorités chinoises, pourraient espérer un salaire de 30% supérieur à celui qu’ils obtiendraient à Taïwan, où le marché de l’emploi est davantage saturé. Cette « menace » est prise au sérieux par Taïwan, qui craint l’émergence d’une génération de Taïwanais ayant entamé leur carrière en Chine et qui ne verrait plus en la Chine communiste une menace pour l’indépendance de fait de Taïwan. Malgré tout, un sondage de 2016, effectué par Business Weekly (un média taïwanais), indiquait que les destinations privilégiées par les étudiants taïwanais étaient le Japon, suivi par les Etats-Unis et l’Europe, et enfin Singapour. Le désir d’expatriation économique en Chine continentale reste donc relativement faible, et ceci alors même que la croissance chinoise subit un ralentissement.

En réponse, Taïwan, qui ne peut mettre en place une stratégie diplomatique d’envergure comme Pékin, choisit de s’investir dans les organisations internationales afin de se faire connaitre et de compter comme membre « utile » de la communauté internationale. Sa participation à de telles instances vise, de même, à être identifié comme un acteur gouvernemental à part entière, malgré l’existence du statu quo actuel. Sa volonté d’être admis au sein d’Interpol est un exemple de cette stratégie d’entrisme. La 88e assemblée générale d’Interpol a eu lieu du 15 au 18 octobre, au Chili. N’étant pas convié, Taïwan avait lancé une campagne de soutien et de communication autour du slogan « Taïwan can help », repris par plusieurs officiels et acteurs de la police de pays alliés à Taïwan, afin de gagner un statut d’observateur. Quarante-sept membres du Congrès des Etats-Unis avaient de même soutenu cette campagne. Tsai Ing-wen avait ainsi déclaré, le 16 octobre dernier : « Our allies agree that Taiwan Can Help build a safer world ». Faisant ainsi de la collaboration avec Taïwan un critère de stabilisation des affaires internationales, par-delà les statuts juridiques particuliers.

L’élection taïwanaise de 2020 cristallise les luttes d’influence entre la Chine et les Etats-Unis vis-à-vis de Taïwan. Han Kuo-yu, l’opposant de la présidente actuelle, a été désigné par le KMT, le parti nationaliste chinois créé en 1912, et qui fut le seul parti autorisé sur l’île jusqu’en 1986. Ce dernier semble favorable à un rapprochement économique et politique avec la Chine, où il effectua plusieurs déplacements. Le KMT s’avère être soutenu de fait par Pékin, qui juge l’actuelle présidente trop orientée du côté de Washington. Les intimidations répétées de Pékin pourraient ainsi être perçues comme une tentative de faire voter la population pour un parti davantage conciliant et promoteur d’une relation intensifiée entre les deux Chines.

Par Robin Terrasse.

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