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Union Européenne UE Bruxelles - Crédit photo © DR / Wikipedia

La Chine à l’assaut de Bruxelles : un réseau d’organisations influentes (1/4)

#Lobbying. La Chine voyant l’Europe comme un allié indispensable, des organisations ont commencé à fleurir à Bruxelles depuis l’arrivée de Xi Jinping dans le but de mettre en place un réseau assez solide pour être en mesure d’influencer le programme politique de l’Union européenne. Il s’agit d’un réseau multiforme : des bureaux de lobbying déclarés aux associations commerciales et culturelles en passant par les généreuses subventions de Huawei, la mégacompagnie chinoise de téléphone. En assurant l’exécution de ses intérêts tant économiques que politiques, Pékin menace les mécanismes démocratiques de l’Union européenne et remet en question les valeurs qui font le ciment de la société européenne. L’enquête « La Chine à l’assaut de Bruxelles : un réseau d’organisations influentes » ouvre une série de quatre articles d’enquête sur le lobbying chinois au cœur des institutions européennes.  

Bruxelles est le théâtre d’une lutte d’influences constante entre entreprises, ONG, groupes d’intérêts divers et même Etats. En tant que haut lieu du lobbying européen, la Chine y implante petit à petit les graines d’un réseau sous forme d’organisations qui vont agir comme autant de leviers venant soutenir l’effort diplomatique et sa stratégie de soft power. En s’assurant de contrôler tous les niveaux et les domaines de la société civile, Pékin est en mesure de produire informations et discours servant ses intérêts, lui donnant le pouvoir nécessaire pour influencer ensuite l’agenda politique européen. Ainsi, non contente d’avoir la mainmise sur les politiques en cours, la Chine devient non seulement capable de créer ses propres problématiques politiques mais aussi est assez influente pour commencer à imposer un système de valeurs qui lui est propre comme une alternative au modèle occidental.

De l’Afrique à l’Europe

La Chine a enclenché sa conquête du monde en lançant en 2013 l’initiative Belt and Road ou les nouvelles routes de la soie. Ce projet titanesque intercontinental vise à connecter l’Asie à l’Europe, l’Afrique et l’Amérique du Sud à travers un réseau d’infrastructures, de projets et d’investissements économiques et d’initiatives culturelles avec pour chef d’orchestre la Chine où les routes prennent  leur source.

Si l’arrivée de la Chine en Afrique fait grand bruit, son approche européenne semble beaucoup plus discrète quoique déjà bien ancrée. En Europe de l’Est, la présence chinoise s’est adaptée aux idéologies compatibles des pays de l’ancien bloc soviétique. Le soutien est par exemple garanti par certains amis de la Chine comme le président hongrois Viktor Orban.

Le contexte est propice : le protectionnisme exacerbé de Donald Trump a enclenché une guerre commerciale entre l’administration américaine et Xi Jinping qui pousse la Chine à se trouver d’autres alliés. A ceci s’additionne la fracture déjà présente entre l’est et l’ouest européen, alimentée par le projet d’initiative chinoise, le 16+1, qui vise à favoriser les collaborations commerciales entre la Chine et les pays de l’Est.

L’implémentation de la nouvelle route de la soie intervient dès lors comme une excuse qui justifie pour Pékin de préparer le terreau en Europe et lui donne un point d’entrée à l’est comme à l’ouest, quoique l’approche se doit d’être différente en raison, notamment, de la méfiance inhérente aux gouvernements occidentaux.

Un réseau organisé

A Bruxelles, Pékin a donc renforcé depuis 2013 un réseau d’organisations dans divers domaines soutenu par ses instances diplomatiques sur place que sont l’ambassade de Chine et son équivalent européen la Mission de la République populaire de Chine auprès de l’Union européenne (abrégé par la suite en « Mission chinoise »). Le caractère inédit de ce réseau est double : non seulement le nombre d’organisations est important, mais les connexions qui assurent les interactions entre ses satellites sont extrêmement denses.

Les domaines concernés sont stratégiques et relèvent autant de la diplomatie culturelle que de la stratégie d’influence car il s’agira de diffuser un discours positif pour la Chine aux niveaux académique, commercial et culturel. Les médias ont aussi une fonction dans cette stratégie : celle de relayer le discours auprès du public au sens large.

Le réseau ainsi formé permettra d’une part, de créer un contexte permettant une assimilation positive et efficace de ce discours, d’autre part de saturer l’espace informationnel grâce à sa densité exceptionnelle, ne laissant que peu ou prou de place aux discours allant à l’encontre des intérêts de Pékin.

Un bastion culturel solide

On compte plusieurs organisations culturelles liées à la Chine basées à Bruxelles, parmi lesquelles le premier Institut Confucius de Belgique fondé en 2005. Il est lié à la Belgium-China Association, une organisation née dans les années cinquante pour promouvoir la culture chinoise avant la normalisation des relations entre le régime communiste et le royaume belge dans les années soixante-dix.

D’autres organisations au rôle plus anecdotique coexistent dans la capitale européenne dont deux associations de Qigong et le China-Europe Youth Exchange Center. Ces organisations promeuvent la Chine en exploitant son histoire et sa culture riches et très différentes de l’Occident. Les évènements s’accumulent et se diversifient puisqu’on assiste régulièrement à des cérémonies d’inaugurations d’expositions d’art, à des projections de films, des ateliers, des concours, des conférences et des cours. Les cours de langue chinoise sont légion et servent autant à encourager les échanges avec la Chine sur le long terme qu’à promouvoir l’idéologie du régime dans l’inconscient des apprenants.

Le cœur de la stratégie culturelle chinoise à Bruxelles se compose surtout de trois organisations formant un trio solide permettant d’assurer le rayonnement des activités culturelles. Le China Cultural Center apparaît depuis 2015 comme l’organisation maîtresse et centralisatrice des évènements culturels chinois dans la capitale.

Il est très proche du China Arts Festival Center, lancé en 2016 par deux Européennes, sous le giron duquel sont organisés chaque année pendant quelques mois, plusieurs évènements culturels d’envergure dans plusieurs pays d’Europe.

La même année a été créée Atlas International Culture, renommée Atlas HiSeas en juin 2018 suite à son rachat par l’entreprise touristique chinoise du même nom. Cette entreprise évènementielle propose ses services dans les relations publiques indépendamment de ses activités liées à la Chine mais s’occupe aussi de la communication du China Cultural Center et participe très activement aux activités organisées par le China Arts Festival et tout évènement lié à la culture chinoise. Elle est exceptionnellement basée à Louvain-la-Neuve, ville stratégique de Wallonie où se construit le Belgium-China Technology Center.

La VUB comme hub d’influence

A ce trio organisationnel culturel s’ajoute un réseau d’organisations académiques. Les Instituts Confucius de l’Université libre de Bruxelles (ULB) et de son équivalent néerlandophone la Vrije Universiteit Brussel (VUB), ont tous deux été inaugurés en 2016 suite à la signature combinée d’une convention spécifique paraphée par l’ambassadeur de Chine et en présence du Premier ministre belge Charles Michel et de son homologue chinois, Li Keqiang[1]. Étant greffés à des universités, ces deux instituts, inspirés des Instituts Goethe allemands, sont voués à un rôle beaucoup plus scolaire que celui de l’Institut Confucius lié à la Belgium-China Association. Non seulement ils justifient la mise en place de cours de chinois et de conférences, mais servent aussi de plateformes pour des échanges académiques bilatéraux.

La VUB centralise une grande partie des activités académiques liées à la Chine à Bruxelles. Ainsi, des programmes de recherche tels que le EU-China Higher Education Research Center (ECHE), coordonné par Zhu Chang, et le LEAD Project dirigé par la même personne vont pouvoir se mettre en place par l’intermédiaire plus ou moins direct des Instituts Confucius et particulièrement celui de la VUB.

La Brussels Academy for China and European Studies (BACES) est aussi un fruit de l’université néerlandophone puisqu’elle a été créée en 2014 par trois universités chinoises et la VUB à laquelle elle est complètement intégrée. Elle met en place des projets de recherche et des conférences, débats et ateliers. Dans la même veine et partenaire du ECHE, la Brussels Diplomatic Academy est une plateforme mise en place par la VUB qui propose des programmes scolaires, des évènements et des conférences. Là encore les liens avec la Chine sont ténus puisqu’elle est le résultat d’une fusion avec le Brussels Institute of Contemporary China Studies (BICS).

D’autres programmes peuvent être cités comme le VUB China Network, une plateforme dont les sponsors sont uniquement chinois et qui vise à promouvoir la Chine et les relations sino-européennes et faciliter le dialogue avec les institutions chinoises, ou encore le très récent Belgium-China Studies Network, un réseau informel et non institutionnalisé qui réunit universités et experts sur la Chine.

L’entreprise Huawei, un cheval de Troie à la chinoise

La Chine étant un partenaire économique crucial, il est logique qu’un réseau d’organisations commerciales se soit tissé à Bruxelles. Inaugurée dans les années quatre-vingt, la Belgian-China Chamber of Commerce est la plus ancienne et importante organisation à Bruxelles et a pour objectif affiché d’assister les entreprises qui font du commerce en Chine et/ou avec la Chine à travers des conférences, des évènements et du networking.

De façon similaire, la Flanders-China Chamber of Commerce (FCCC) fondée dans les années 2000 fonctionne sur le même principe, bien que les deux organisations ne soient pas partenaires et même en relative compétition. Elle a cofondé et fait partie de la EU-China Business Association (ECBA), une organisation parapluie rassemblant en son sein une organisation commerciale sino-européenne pour chacun de ses vingt pays membres.

L’organisation ChinaEU fonctionne depuis 2015 comme un lobby commercial qui vise à promouvoir les échanges entre la Chine et l’UE mais semble agir plus dans les intérêts de Pékin comme en atteste la réputation de son président, Luigi Gambardella, aussi appelé « the biggest Beijing booster ».

Du côté des entreprises particulièrement actives dans les relations UE-Chine, se trouvent KEA European Affairs et United Investment Europe (UI-Europe). La première a été fondée en 1999 et a ouvert un bureau à Shenzhen en 2008. UI-Europe, anciennement Juxing International Technology Investment Belgium et appartenant à Hubei United Investment Group, une entreprise d’État chinoise fondée en 2008, a européanisé son nom à l’occasion du lancement du projet China-Belgium Technology Center en 2013 — le projet est toujours en cours d’élaboration. Cette entreprise est basée à Louvain-la-Neuve, là où siège Atlas Hiseas. L’entreprise UI-Europe est aussi partenaire de l’Association for Chinese Professionals in Belgium qui a pour objectif de servir de plateforme entre les professionnels chinois et belges.

Côté business, l’unicité de l’approche chinoise n’est pas tant dans le nombre d’organisations commerciales en jeu que dans les ramifications du réseau et l’intervention d’entreprises chinoises, en particulier l’entreprise de télécommunications Huawei. Cette entreprise privée est extrêmement puissante en Chine et continue d’asseoir son hégémonie à l’étranger malgré la méfiance de plus en plus importante de la part de certains pays occidentaux tels que les Etats-Unis. A savoir qu’en Chine, toutes les grandes entreprises d’influence collaborent de manière très rapprochée avec l’État pour que celles-ci puissent servir de vitrine et de point de contact pour le gouvernement.

Huawei est partenaire de la Flanders-China Chamber of Commerce et aurait participé au financement de ChinaEU. Huawei est aussi l’investisseur principal de la Brussels Academy for China and European Studies qui reçoit d’ailleurs le Huawei Chair for Contemporary Studies.

La présence de Huawei à Bruxelles est par ailleurs marquée par la co-organisation en mai 2018 du European Business Summit, un sommet européen annuel rassemblant des parties prenantes de haut niveau du monde politique et des représentants d’entreprises, qui a été l’occasion d’annoncer la création du Huawei European Research Institute visant à organiser des « activités innovantes et renforcer [leur] coopération avec l’industrie et les académies européennes ».

Huawei était déjà bien installée en Europe, celle-ci étant même surnommée « China’s ghost in Europe’s telecom machine ». Son rôle prend pourtant une dimension extra-commerciale qui va au-delà du sponsoring passif en adoptant une démarche proactive afin d’ancrer son influence sur la durée en s’immisçant un peu plus dans le processus de production d’information.

A noter que Huawei est aussi la dixième entreprise investissant le plus dans le lobbying européen.

Une stratégie à (très) long terme

Pékin semble donc avoir adopté une stratégie d’occupation et de foisonnement à Bruxelles depuis l’arrivée de Xi Jinping à la présidence. Si ce n’est pas le premier État à encourager et sponsoriser la mise en place d’organisations pour promouvoir ses intérêts à l’étranger, la capitale européenne est particulièrement ciblée par la Chine dont le réseau se densifie au point de créer une certaine confusion. Ce réseau a plusieurs rôles : promouvoir les intérêts chinois auprès des politiques et de l’opinion publique, influencer directement les politiques par le biais d’acteurs chinois et européens et participer à la production d’information qui servira l’effort de lobbying auprès des institutions européennes.

(A suivre…)

Par la Rédaction sous la direction de Vo Trung Dung.

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[1] Jean (Caroline), “Institut Confucius de l’ULB, Langue et culture chinoises à l’honneur”, Esprit Libre, 43, 2016, p. 22.

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