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Illustration Guerre commerciale Etats-Unis et Chine - (c) DR

La Chine, déjà vainqueur de la guerre commerciale sino-américaine. Par Sébastien Goulard

Les Etats-Unis amenés par le président Donald Trump viennent de s’engager dans une guerre commerciale avec la Chine. Cette «  guerre » affecte aussi ses partenaires et alliés traditionnels comme le Canada et l’Union européenne. Si la volonté américaine d’équilibrer sa balance commerciale avec Pékin est compréhensible, la stratégie de Washington s’avère illisible et inconstante. Dans une relation économique mondiale et interdépendante, la Chine pourrait très bien sortir gagnante de la bataille. Analyses.

Tout au long de sa campagne présidentielle, Donald Trump n’a eu de cesse de critiquer la Chine à travers des déclarations bellicistes et de considérer ce pays comme un adversaire des Etats-Unis. Après avoir longtemps menacé la Chine de taxes commerciales, Donald Trump est finalement passé à l’action le 15 juin 2018 en annonçant des droits de douanes de 25% sur plus 1100 produits chinois pour un montant de 50 milliards de dollars.

Ces taxes et le cas de ZTE illustrent la nouvelle guerre commerciale qui oppose les Etats-Unis à la  Chine et qui fragilise l’ensemble du système économique et financier basé sur le libre-échange tel qu’on le connait depuis plus de soixante-dix ans. Ces mesures protectionnistes, censées «  rendre à l’Amérique sa grandeur » , pourraient paradoxalement renforcer la puissance chinoise. 

Priorité au « G2 »

Malgré ses critiques constantes au sujet des échanges commerciaux entre les Etats-Unis et le Chine, Donald Trump s’est attaché à faire des relations entre les deux pays une priorité. Le président américain a rencontré son homologue chinois à plusieurs reprises en Chine, mais aussi aux Etats-Unis, dans  sa résidence de Mar-a-Lago en Floride — en avril 2017, et a loué  « l’amitié » qui le liait au leader chinois. Un rapprochement sino-américain a alors été évoqué.

On note aussi le contraste entre les rapports qu’entretient Donald Trump et Xi Jinping avec ceux des leaders du G7 à Charlevoix, Québec les 8 et 9 juin 2018, pourtant les alliés traditionnels des Etats-Unis. En dépit des aimables paroles de Donald Trump envers Xi Jinping, les Etats-Unis se sont engagés dans un bras de fer sans précédent avec la Chine. 

Des échanges déséquilibrés

Donald Trump s’est engagé à défendre les intérêts américains contre les rivaux des Etats-Unis que sont la Russie et la Chine  comme il l’a annoncé dans son discours sur l’état de l’Union en janvier 2018. Le constat dressé par Donald Trump n’est pas inexact, les échanges entre la Chine et les Etats-Unis sont déséquilibrés. Comme plusieurs Etats européens, les Etats-Unis souffrent d’un important déficit commercial avec la Chine, et celui-ci  n’a pas cessé de se creuser depuis l’ouverture économique de la Chine pour atteindre plus de 375 milliards de dollars en 2017.

Pour Donald Trump et son administration, cette situation serait avant tout due par les pratiques commerciales déloyales de la Chine, à savoir, la sous-évaluation de sa monnaie, le non respect de la propriété intellectuelle américaine par les entreprises chinoises, l’utilisation non autorisée —  ou vol — de technologies américaines et le soutien des autorités chinoises apporté à leurs entreprises nationales.

Plus de taxes sur les échanges sino-américains

Pour rééquilibrer ces échanges, l’administration américaine semble avoir adopté une politique de fermeté à l’encontre de la Chine. L’annonce de nouvelles taxes le 15 juin 2018 est le résultat d’un long processus. Dès mars 2018, ce projet de  taxation et la mise en place de restrictions sur les investissements chinois dans les industries duales avaient été dévoilés par Washington.

La réponse chinoise a été de répliquer par la menace de nouvelles taxes sur les importations américaines, et notamment les produits agricoles, tels que le porc.

Pour éviter une escalade dans ce conflit commercial, Pékin (Beijing) et Washington ont mené des négociations en mars 2018 qui ont eu pour résultat l’engagement pris par la Chine d’augmenter leurs importations de produits agricoles américains de manière significative.

Mais la décision prise le 15 juin 2018 met fin à ces négociations. En représailles, Pékin a annoncé l’application de nouveaux droits de douane sur une liste de produits américains pour un montant de 34 milliards de dollars. L’augmentation des taxes concerne notamment des produits emblématiques des Etats-Unis comme le bourbon, mais aussi les voitures électriques et le soja.

Plusieurs sources avaient déjà fait état que la Chine avait mis fin à ses importations de soja américain au début du mois d’avril. L’objectif de ce  choix est bien sûr de fragiliser l’administration américaine avant les élections de mi-mandat de novembre 2018 dans les Etats républicains du Mid-West dont près de 60% des exportations de soja sont destinés à la Chine.

Mais les deux parties savent qu’une guerre économique auraient des conséquences majeures sur leur économie respective en raison de leur interdépendance. Bien que ces nouvelles taxes devraient entrer en vigueur le 6 juillet 2018, on peut s’attendre à ce que de nouvelles négociations aient lieu pour qu’elles soient progressivement levées. Mais il est aussi possible d’assister à une escalade dans le conflit commercial qui oppose les Etats-Unis à la Chine, en raison du caractère imprévisible de l’administration Trump. Ainsi, le 18 juin 2018, le président américain annonçait que des nouveaux droits douanes pourraient être appliqués à plus de 200 milliards de dollars de produits chinois.

ZTE et le leadership technologique

Les droits de douane ne constituent pas l’unique point de discorde entre les Etats-Unis et la Chine. Les tensions grandissantes entre le deux pays apparaissent aussi à travers le cas de ZTE. Là encore, on peut noter l’interdépendance entre l’Etats-Unis et la Chine, mais aussi les efforts de la Chine pour s’affranchir de cette relation.

En avril 2018, le département du commerce américain décidait d’interdire à l’entreprise chinoise ZTE de se fournir en composants américains pour les sept prochaines années, pour ne pas avoir respecté leur accord conclu précédemment. En 2017, le second équipementier téléphoniques chinois avait été condamné par la justice américaine pour avoir violé les sanctions américaines contre l’Iran et la Corée du Nord.

La compagnie ZTE avait, en effet, fournit à ses deux pays du matériel contenant des composants américains. Reconnaissant sa culpabilité, l’entreprise chinoise avait accepté de payer l’amende de 1,19 milliards de dollars que lui imposait la justice américaine, d’ouvrir ses livres de compte à un contrôleur américain, mais aussi de punir ses dirigeants qui avaient décidé d’outrepasser les sanctions américaines à l’égard de l’Iran et de la Corée du Nord. Cependant, au lieu d’être démis de leurs fonctions, ces responsables ont reçu des bonus; ce qui a été considéré par la justice américaine comme une violation de l’accord.

L’annonce de cette décision a fortement touché le groupe chinois, au bord de la faillite, dont l’action s’est effondrée à la reprise de sa cotation à la bourse de Hong Kong après une suspension de deux mois. Les craintes d’une impossibilité pour le groupe de se fournir en composants américains ont mis à mal ce géant des télécoms chinois et pourrait retarder le développement de la 5G.

Le cas de ZTE illustre la complexité et l’interdépendance des échanges avec les Etats-Unis et la Chine. Malgré sa fermeté affichée en public et sur les réseaux sociaux, en mai 2018, le président Trump annonçait qu’il travaillait avec Xi Jinping, pour  trouver un accord permettant de sauver ZTE et ses 75 000 employés en Chine, et le 26 mai 2018, Trump tweetait qu’il avait trouvé une solution autorisant ZTE à continuer de commercer avec des entreprises américaines. Il faut dire que celles-ci auraient elles-aussi souffert de la disparition de ZTE et auraient vu leurs activités diminuer, et donc des emplois américains auraient été menacés, car tous les composants des produits ZTE ne proviennent pas uniquement de Chine, une partie de leurs microprocesseurs sont américains.

Pour certains observateurs, ce revirement s’explique aussi par  le fait que les Etats-Unis attendent la validation des régulateurs internationaux, et notamment chinois de l’acquisition par l’américain Qualcomm du néerlandais NXP Semiconductors dans le domaine des hautes technologies.

Malgré l’accord validé par Donald Trump, ZTE n’est donc pas totalement tirée d’affaire et reste sous la menace des sanctions américaines car le Congrès pourrait remettre en cause la décision de Donald Trump pour des raisons de sécurité nationale. En dépit la majorité républicaine, le président américain ne peut pas prendre de décision de manière unilatérale, et doit composer avec une Congrès hostile à la Chine. 

Le soutien accordé par Trump à ZTE démontre aussi une certaine inconsistance de la politique menée par le président américain, et pourrait rendre moins efficaces les futures sanctions américaines après le retrait de l’accord sur  le nucléaire iranien. La décision de sauver une entreprise chinoise qui n’avait pas respecté les sanctions américaines contre l’Iran, et au même moment le renforcement des sanctions contre Téhéran suite au retrait de l’accord sur le nucléaire iranien, rend la politique américaine de Donald Trump très confuse.

Pour la Chine, l’épisode de ZTE témoigne de la nécessité d’accélérer sa révolution technologique pour ne plus être dépendante des technologies étrangères et notamment américaines. En 2015, Pékin a adopté la stratégie de Made in China 2025 qui vise à faire de la Chine le leader des nouvelles technologies, de la robotisation et de l’intelligence artificielle. Si la politique américaine peut ralentir les transferts technologiques vers la Chine, les autorités de Beijing se voient confortées dans leur volonté de s’affranchir des entreprises étrangères.

Une guerre commerciale globale

La questions des doits de douanes et le cas de ZTE ne sont peut-être pas les points plus cruciaux dans la guerre commerciale qui s’annonce entre les Etats-Unis et la Chine. Le fait que les Etats-Unis n’ont pas essayé de construire de coalition contre les politiques commerciales chinoises, et au contraire, qu’ils aient cherché à s’opposer à la fois à la Chine et à leurs plus proches alliés, sera déterminant  pour la continuité de leur leadership.

En plus de la menace de taxes sur certains produits chinois, Donald Trump, en mars 2018, a annoncé de nouvelles taxes sur l’acier et  l’aluminium en provenance de Chine, mais aussi en provenance des partenaires commerciaux et alliés politiques les plus proches des Etats-Unis. Ces derniers ont  même plus à souffrir de cette décision que la Chine dont les exportations d’acier au Etats-Unis ne représenteraient qu’un peu plus de 3% du total des importations américaines alors que ce chiffre atteint près de 17% et 21% pour les importations d’acier en provenance respectivement du Canada et de l’Union Européenne.

En ouvrant plusieurs fronts simultanément, Donald Trump risque de rendre la politique commerciale américaine illisible et confuse. L’une des conséquences des mesures protectionnistes adoptées par les Etats-Unis sur les produits européens, puis l’échec du G7 dont Donald Trump est le premier responsable, est de considérer, d’un point de vue américain, que l’Union Européenne et le Canada sont aussi protectionnistes que la Chine. L’outrance de Donald Trump ne permet pas les nuances.

Ainsi, les multiples politiques protectionnistes adoptées par les Etats-Unis servent l’image de la Chine. Il est possible d’affirmer que, d’une certaines façon, Donald Trump joue le rôle «  d’idiot utile »  pour Pékin, et fait passer la Chine pour un champion du libre-échange, ce qu’elle n’est pas.

L’absence de distinction entre la Chine et les alliées commerciaux et politiques traditionnels des Etats-Unis pourraient pousser des Etats tiers à se rapprocher des positions chinoises. Par exemple en rejoignant le programme des nouvelles routes de la Soie. En déconsidérant l’Union Européenne et le Canada, les Etats-Unis offrent l’image d’une puissance qui ne se soucie guère de ses alliées, et qui par conséquent, les poussent dans les bras de la Chine.

Une Chine plus attractive

De manière générale, nous assistons à un retrait progressif américains des affaires mondiales, tout d’abord avec la dénonciation de l’accord de Paris, puis celui du nucléaire iranien et aujourd’hui, une politique commerciale protectionniste.  Ce retrait donne plus de place à la Chine qui peut se présenter alors comme une puissance stabilisatrice.

S’il est difficile de reprocher à Donald Trump de tenter de résoudre les problèmes liés au déficit commercial américain avec la Chine et aux possibles pratiques déloyales chinoises, l’interdépendance des économies américaines, chinoises — et donc mondiales — font que les mesures adoptées par Donald Trump ne pourront sans doute pas avoir le succès escompté. Au contraire, en mettant à jour les tensions qu’elles provoquent au sein de l’économie américaine, elles pourraient renforcer le leadership de la Chine qui, contrairement aux Etats-Unis, s’est fixée un cap à long terme.

Sébastien Goulard est consultant et fondateur de Cooperans, un cabinet de conseil en affaires publiques.

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