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Comment la Chine influence Bruxelles : discours et médias au service de la cause chinoise (3/4)

L’enquête « Comment la Chine influence Bruxelles : discours et médias au service de la cause chinoise » est le troisième article d’une série de quatre enquêtes sur le lobbying chinois au cœur des institutions européennes. Des organisations fleurissent à Bruxelles depuis l’arrivée de Xi Jinping dans le but de mettre en place un réseau solide et bien implanté pour être en mesure d’influencer le programme politique de l’Union européenne. Il s’agit d’un réseau multiforme : des bureaux de lobbying déclarés aux associations commerciales et culturelles. La Chine pratique d’intenses actions de lobbying en l’Europe qu’elle voit comme un allié indispensable. Encore plus indispensable depuis que Washington ouvre le feu de la guerre commerciale.

À Bruxelles est présent un réseau d’organisations promouvant activement la Chine par le biais d’une multitude d’évènements culturels et éducatifs, de rencontres entre entreprises et politiques et de conférences. Majoritairement orchestré par les instances diplomatiques présentes sur place, ce réseau bénéficie d’une telle influence qu’il est en mesure de faire valoir les intérêts chinois auprès des institutions et des politiciens européens qui font des fers de lance idéaux de la cause chinoise en Europe occidentale.

Une telle toile tissée dans une ville aussi stratégique que Bruxelles permet à la Chine de monopoliser les espaces de discours tant sur les plans économique, politique, culturel et académique.

Bénéficiant ainsi de multiples plateformes d’expression et de canaux, il est aisé pour Pékin de diffuser et relayer son discours à Bruxelles afin qu’il soit entendu par les parties prenantes en jeu : les politiques, certes, mais aussi le grand public, dont le soutien est primordial.

Aussi, dans un souci de refonte de son image, la Chine met en place des éléments discursifs clés qui vont venir participer à l’effort de polissage de l’image du pays. Car, en Europe, le régime de Xi Jinping souffre d’une image autoritaire désavantageuse, aux antipodes des principes fondamentaux de la démocratie européenne tels que l’État de droit.

En outre, certaines problématiques, par exemple le EU-China Investment Agreement — l’Accord UE-Chine sur les investissements, un accord sur les investissements qui est en négociation depuis 2013, — se doivent d’être résolues. Cet accord de long terme vise à remplacer tous les traités économiques bilatéraux avec les pays membres de l’UE, mais les problématiques de transparence et d’équité ralentissent le processus.

Un discours sophistiqué pour redorer son image

L’un des enjeux principaux de la stratégie discursive de la Chine en Europe est donc de polir son image. Le discours pro-Chine à Bruxelles est truffé de positivisme, notamment d’adjectifs mélioratifs qui sont utilisés à outrance par les communicants afin d’obtenir la sympathie du public.

Cette connotation positive s’accompagne d’un vocabulaire plus modéré lorsqu’il s’agit de questions économiques, mais témoigne toujours d’une forme de répétitivité outrancière. On ne compte plus les occurrences de termes tels que « sain », « stable », « transparent » et « ouvert » lors de discours d’organisations commerciales.

Certaines expressions répétées cristallisent aussi les enjeux soulevés par l’incursion de la Chine à Bruxelles. Outre l’emploi régulier de superlatifs, les « réformes », le « développement » et la « nouveauté » sont autant d’énoncés qui soulignent la volonté de rupture, de changement de paradigme que la Chine essaie d’instaurer par le discours et que Xi Jinping avait largement évoqués lors de son discours-fleuve au dernier Congrès du Parti communiste en octobre 2017.

Les négociations économiques que Pékin mène avec l’Union européenne étant au cœur de l’actualité. Les discours chinois ont aussi pour fonction de pallier le manque de confiance mutuelle et vont donc mettre en exergue des notions rassurantes comme l’« amitié » et surtout la « coopération » qui est l’un des termes les plus récurrents. C’est pour cela que l’idée de « réciprocité » est sans cesse martelée du côté prochinois, car elle est une condition sine qua non au bon déroulement des relations bilatérales.

À cela s’additionne une volonté d’« apprendre » aux Européens ce qu’est la Chine afin d’atteindre un certain niveau de « compréhension mutuelle » qui est là encore une notion phare du discours à Bruxelles. Il est évidemment plus intéressant pour les autorités chinoises de partager leur propre vision de la Chine plutôt que de s’appuyer sur un regard tiers qui n’ira pas dans son sens. De même, il est plus facile pour un public peu initié d’absorber une information prédigérée, polie et répétée, notamment par des sources de confiance.

De plus, la méconnaissance de la Chine en Occident représente une opportunité discursive idéale : il ne s’agira pas de détruire des préjugés déjà présents dans les esprits européens, mais d’insuffler de nouvelles informations, si possible, servant les intérêts chinois, ce qui est beaucoup plus aisé.

Cette stratégie semble efficace puisque certains rapports ont en effet noté que les discours de politiciens européens, et jusqu’au titre de certaines plateformes bilatérales comme le EU-China High Level People-to-People Dialogue, comportaient des traces d’infection par la rhétorique chinoise. Des discours officiels reprennent ainsi des éléments discursifs clés tels que l’expression « gagnant-gagnant » et une certaine uniformité de la parole.

Ce transfert discursif s’observe également dans le discours officiel d’institutions comme en témoigne cette annonce conjointe publiée en juillet 2018 par le Conseil européen dans laquelle est reprise, par exemple, une formule clé de Xi Jinping : « Paix, Croissance, Réforme et Civilisation ». Homogénéiser le discours sur la Chine, c’est renforcer son potentiel de contamination.

Le rôle crucial des médias

Les médias ont une fonction primordiale dans toute stratégie de communication. Les maîtriser, c’est contrôler l’opinion publique qui représente une forme majeure de soutien et de pression.

Les médias chinois brillent par leur présence à Bruxelles. L’agence de presse officielle chinoise Xinhua possède un bureau à deux pas de la Commission européenne et le pays ayant le plus de journalistes accrédités aux institutions européennes est la Chine, soit une quarantaine.

Le China Daily incarne parfaitement le pouvoir d’intrusion des médias chinois dans l’Union européenne. Ce quotidien généraliste, publié par la Chine à destination d’un public non chinois, est distribué tous les jours dans les couloirs du Parlement européen. Il est une source de propagande avérée et justifie parallèlement la présence de journalistes chinois en terrain occidental.

En outre, en janvier dernier, le journal a été accusé de fournir des contenus sponsorisés au quotidien belge Le Soir (qui lui-même soutient des évènements du China Arts Festival) sous la forme d’un encart de deux pages intitulé « Focus Belgique-Chine ». Cet exemple illustre une technique généralisée de la part des médias chinois qui produisent des contenus pour des médias étrangers afin de s’assurer de la valeur du discours sur la Chine.

Ces publireportages, qui sont volontairement mis en page comme du contenu éditorial et non rémunéré afin d’entretenir la confusion chez les lecteurs, entretiennent de surcroît une forme de dépendance financière vis-à-vis de la Chine, comme le souligne le rapport du Merics. Celui mentionne plusieurs exemples européens dont Le Figaro et le Süddeutsche Zeitung, un journal allemand qui a fini par supprimer la publication chinoise après des pressions de l’ONG International Campaign for Tibet.

Côté réseaux sociaux, les organisations chinoises semblent encore en être à leurs balbutiements, peut-être du fait que la Chine utilise ses propres réseaux endémiques. La Chambre de commerce belgo-chinoise a bien essayé de lancer une chaîne sur Youtube, la Belgium-China TV, mais le nombre de vues est à l’image de l’impact anecdotique qu’ont les comptes Facebook, Twitter et Instagram des organisations chinoises de Bruxelles.

Si leur intérêt direct est discutable, l’initiative d’intégrer les réseaux sociaux occidentaux est notable pour la Chine qui y voit là un nouveau moyen de diffuser son idéologie. L’exemple le plus marquant est le boom de Douyin en Occident, rebaptisé Tik Tok, qui représente une plateforme idéale et efficace pour la propagande chinoise. L’Armée populaire de Libération s’en est même emparée, créant la confusion des observateurs.

Monopoliser les espaces. La stratégie de la saturation

L’une des caractéristiques générales du discours prochinois à Bruxelles est donc sa proximité avec le discours de Xi Jinping et des autorités chinoises. Il est très positif, tend vers une forme d’uniformité et met en avant les intérêts chinois qui sont, entre autres, la coopération économique et les nouvelles routes de la soie.

Le foisonnement des plateformes et une certaine mainmise sur les médias chinois et européens permettent de saturer les espaces d’expression et le débat public, laissant peu de place aux voix dissidentes et facilitant grandement la diffusion des intérêts chinois au plus large public.

Néanmoins, la difficulté reste grande pour la Chine qui ne bénéficie ni d’une excellente réputation de par sa gestion des droits humains et son image de bulldozer économique, ni d’une culture très attractive pour un public occidental.

En outre, sa stratégie culturelle et discursive met en lumière la contradiction de la crise d’identité des Chinois : promouvoir une culture traditionnelle teintée de communisme qui va à l’encontre d’une culture populaire moderne difficilement exportable, alimentée par le capitalisme et l’individualisme.

(A suivre)

Par la Rédaction sous la direction de Vo Trung Dung.

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Dessin de Une : © XIA, via Cartooning for Peace.

De son vrai nom Lichuan Xia. Elle a débuté au sein d’Humour et satire, une branche du Quotidien du Peuple à Pékin. Depuis 2001, elle travaille pour Caijing Magazine en tant que dessinatrice éditoriale et designer graphiste. En juillet 2008, elle a été membre du jury de l’Asian Youth Animation & Comics Contest, à Guiyang (Chine).


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