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Union Européenne UE Bruxelles - Crédit photo © DR / Wikipedia

Comment la Chine influence Bruxelles : vers une sinisation de l’Europe ? (2/4)

#Lobbying. La Chine voyant l’Europe comme un allié indispensable. Encore plus indispensable depuis que Washington ouvre le feu de la guerre commerciale. Des organisations fleurissent à Bruxelles depuis l’arrivée de Xi Jinping dans le but de mettre en place un réseau solide et bien implanté pour être en mesure d’influencer le programme politique de l’Union européenne. Il s’agit d’un réseau multiforme : des bureaux de lobbying déclarés aux associations commerciales et culturelles. L’enquête « Comment la Chine influence Bruxelles : vers une sinisation de l’Europe ? » est le deuxième article d’une série de quatre enquêtes sur le lobbying chinois au cœur des institutions européennes.

Bruxelles contient les graines d’une stratégie d’influence chinoise planifiée. Les organisations culturelles, académiques et commerciales forment des nœuds sectoriels dont le foisonnement en assurent la solidité et garantissent l’exhaustivité de sa communication. Les organisations culturelles forment un bastion majeur de promotion territoriale, notamment grâce à la très proche coopération du trio organisationnel formé par le China Cultural Center, Atlas HiSeas et le China Arts Festival. La Vrije Universiteit Brussel (VUB), université néerlandophone bruxelloise autour de laquelle s’articulent think-tanks, centres de recherche et projets universitaires, concentre la quasi-totalité des activités académiques liées à la Chine. Enfin, les organisations commerciales promeuvent les activités économiques relatives à la Chine et soutiennent des initiatives telles celle de Huawei dont le rôle de cheval de Troie n’est plus à démontrer, comme en témoigne le récent incident diplomatique avec les États-Unis et le Canada.

Mélange des genres

L’une des originalités du réseau chinois à Bruxelles est l’imbrication des relations entre les organisations au sein de différents secteurs à priori indépendants comme le culturel et le commerce ou l’académique et le business.

Par exemple, le China Arts Festival est sponsorisé par plusieurs entreprises chinoises, dont des banques, mais aussi UI-Europe et Huawei. D’ailleurs, la co-présidente de l’association — une Européenne — est aussi cadre chez UI-Europe. Cette entreprise fait partie des investisseurs privés du China-Belgium Technology Center basé à Louvain-la-Neuve, « une plateforme destinée à des entreprises chinoises souhaitant développer des projets novateurs en collaboration ».

En juin 2017, UI-Europe a fait don d’un million d’euros au Musée L de l’Université catholique de Louvain (UCL) en contrepartie de l’organisation, entre autres, d’un China L Festival mettant en avant l’art chinois. A Bruxelles, il n’est en effet pas rare que des évènements tels que le nouvel an chinois soient sponsorisés par des entreprises chinoises.

Si le fait que le monde du business collabore avec celui de la culture n’est pas nécessairement étonnant, sa collaboration avec le milieu académique pose plus de questions. Huawei investit évidemment massivement dans des projets académiques sino-européens, que ce soit par l’intermédiaire de son école, la Brussels Academy for China and European Studies, par la sponsorisation d’organisations commerciales comme la Flanders-China Chamber of Commerce et le lobby ChinaEU ou même par l’organisation du European Business Summit qui rassemble chaque année des parties prenantes de haut niveau issus de la sphère politique et des représentants d’entreprises. A l’occasion de l’édition 2018, Huawei a d’ailleurs annoncé la création du Huawei European Research Institute visant à organiser des « activités innovantes et renforcer [leur] coopération avec l’industrie et les académies européennes ».

A noter que les mondes de la culture et de l’université semblent plus dans une approche de collaboration ponctuelle que dans une véritable stratégie de sponsorisation. Le China Arts Festival, par exemple, est sponsorisé par l’Institut européen d’études asiatiques (EIAS), un centre de recherche lui-même financé en partie par la Chine.

Toujours plus proche des institutions européennes

L’échelle de ce réseau d’organisations pro-chinoises apparaît déjà comme assez solide pour assumer le travail de la propagande chinoise. Mais sa force réside aussi et surtout dans sa capacité à tisser des liens avec les institutions européennes présentes à Bruxelles, aidé de la soixantaine de plateformes d’échanges bilatéraux mises en place à tous les niveaux du processus décisionnel de l’Union européenne.

Les groupes d’amitié parlementaires regroupent plusieurs députés européens autour d’une même thématique, indépendamment de leur orientation politique. En 2006 a été fondé le groupe d’amitié sino-européenne et incarne à la perfection la stratégie de séduction chinoise. Non content d’être le plus grand groupe de ce genre au Parlement, fort de ses 45 députés, il joue aussi un rôle crucial au sein de l’assemblée notamment grâce à la position haut-placée d’une quinzaine de ses membres parmi lesquels des présidents de groupes politiques, de commissions et de délégations.

Ce comité parlementaire est complété par l’Association pour l’amitié sino-européenne fondée en 2010, soutenue par la Mission chinoise et l’agence de presse gouvernementale Xinhua. Elle est aussi soutenue par de nombreux sponsors chinois privés et publics et prétend se concentrer sur toutes les problématiques apolitiques des relations entre la Chine et l’Europe telles que la culture, le business, la recherche, l’agriculture, etc.

Plus récemment en 2016, un autre groupe d’amitié parlementaire autour de la Chine a été créé : le Europe-China One Belt One Road Culture and Tourism Development Committee, autrement dit, un comité centré sur la promotion des nouvelles routes de la soie et plus précisément, de leur dimension extra-économique.

Ce qu’il est intéressant de pointer, c’est à quel point les représentants d’institutions européennes sont présents lors des évènements culturels. Le China Arts Festival et le China Cultural Center, très souvent assistés de Atlas HiSeas, collaborent très régulièrement avec le groupe parlementaire sur les routes de la soie, pour des vernissages ou des projections par exemple.

Le China Arts Festival, d’ailleurs, est inauguré chaque année au sein même du Service d’action extérieur européen, l’organe diplomatique principal de l’Europe, là même où se préparent les positions de l’Union avant les grands sommets bilatéraux. Aussi, l’un des partenaires affichés du China Arts Festival est la DG-GROWTH, l’équivalent d’un ministère de l’Industrie à la Commission européenne.

Côté académique, la collaboration prend deux visages. On a d’abord les interventions sporadiques d’experts issus des Instituts Confucius et autres structures similaires lors d’évènements liés à des initiatives européennes. Par exemple, le directeur de l’Institut Confucius de la VUB avait été invité à s’exprimer lors d’une conférence sur la promotion de l’année du tourisme sino-européen, aux côtés de représentants de la Commission et de la European Travel Commission, ainsi qu’une représentante de Atlas HiSeas.

Dans un registre plus sérieux, la Brussels Academy for China and European Studies supervise divers projets de recherche et intervient comme conseillère lors d’évènements de haut niveau comme le EU-China High Level People-to-People Dialogue, l’un des trois piliers de la relation sino-européenne qui consiste en un dialogue bilatéral sur des problématiques sociales et culturelles.

La collaboration entre le milieu académique pro-chinois et l’Union européenne se fait aussi par la mise en place de nombreux projets bilatéraux, chapeautés par les Instituts Confucius et autres plateformes émanant de la VUB. Par exemple, le LEAD Project est non seulement le fruit d’une association avec la Commission européenne, mais il résulte aussi du soutien financier de la Mission chinoise (la représentation chinoise en UE, ndlr) et de la Chambre de commerce belgo-chinoise.

Enfin, les organisations commerciales s’insèrent également dans ce marché concurrentiel qu’est la recherche de liens avec l’Europe mais celles-ci semblent être moins dans une logique de collaboration que de soutien mutuel. ChinaEU et la Chambre de commerce UE-Chine (EUCBA) arrivent régulièrement à rassembler des représentants politiques de haut niveau.

En 2015, le directeur de ChinaEU a obtenu un meeting entre trois vice-présidents de la Commission européenne — Federica Mogherini, Jyrki Katainen et Andrus Ansip —, l’ambassadeur de la Mission chinoise et des représentants de grandes entreprises chinoises telles que des banques et des entreprises de télécommunication. De son côté, la EUCBA organise régulièrement des rencontres prestigieuses entre des haut-placés de la Commission, des entreprises et de puissants lobbies comme BusinessEurope.

Les amis de la Chine

Ces organisations bénéficient donc d’un réseau incomparable mais qui ne serait pas autant efficace sans quelques personnages charismatiques et proches de la Chine. Si en France, Jean-Pierre Raffarin adore vanter la supériorité chinoise à la télévision, Bruxelles compte aussi ses figures de proue pro-Chine.

L’avantage d’un visage européen pour la communication est bien évidemment sa légitimité. Un discours pro-chinois émanant d’un Chinois n’a certainement pas autant d’impact que s’il est dicté par une figure proche des citoyens. Le cas est particulièrement vrai pour les députés européens qui sont souvent des figures locales majeures. De même, si le porte-voix est un politique ou ancien politique, il est en mesure de partager son réseau et son influence sur celui-ci.

Le député européen hongrois István Ujhelyi est l’une des personnalités les plus actives lorsqu’il s’agit de promouvoir la Chine. Président du groupe d’amitié parlementaire pour les nouvelles routes de la soie, il est aussi directeur de l’Institut Confucius de Szeged (Hongrie) et vice-président du Comité parlementaire sur le transport et le tourisme.

Toujours au Parlement, le député Nirj Deva est à la fois vice-président de la Commission pour le développement et président de la Délégation parlementaire pour les relations avec la péninsule coréenne. En outre, son assistant et conseiller du groupe d’intérêt, Gai Lin, est le premier Chinois à travailler au Parlement de manière officielle. Celui-ci conseille de nombreux députés sur les questions chinoises.

L’une des techniques employées par les Chinois et typique de la bulle européenne est celle de la porte tambour (revolving doors en anglais). Elle consiste pour un groupe d’intérêt à réemployer des politiques ou des technocrates afin d’exploiter leur savoir-faire et leur influence, souvent en l’échange d’une rémunération généreuse.

Par exemple, la direction du nouvel institut de recherche européen fondé par Huawei sera en partie assurée par Walter Weigel, l’ancien directeur général du European Telecommunications Standards Institute, officiellement reconnu par la Commission européenne. Cela se fait aussi dans la sphère politique puisqu’un ambassadeur européen à la retraite est devenu un conseiller de Huawei.

Enfin, il est impossible de mentionner la stratégie chinoise à Bruxelles sans y inclure Luigi Gambardella. Cet Italien, surnommé le « biggest Beijing booster », est le président du lobby commercial ChinaEU. Il est réputé au sein de la sphère européenne comme un « vendu » qui ne cherche qu’à promouvoir l’agenda chinois. Il est par ailleurs régulièrement invité à s’exprimer, notamment au Comité économique et social européen, une institution européenne, et au Collège d’Europe, école de formation par excellence des futurs eurocrates et dont les liens avec la Chine semblent extrêmement ténus, comme en atteste la mise en avant régulière du projet des nouvelles routes de la soie.

Une stratégie adaptée au public européen

La Chine a bien intégré les codes du lobbying européen. En tissant un réseau d’organisations à la fois solide et intimement lié aux institutions européennes, Xi Jinping renforce son influence jusqu’aux couches les plus élevées du processus décisionnel européen. Il ne s’agit presque plus de faire valoir ses intérêts auprès des eurocrates mais plutôt de créer son propre agenda en produisant une information uniformisée et avantageuse pour le régime. Cet effort est soutenu par l’appui de figures de proue européennes dont l’influence bien établie et la légitimité moins fragile rendent leur discours mieux assimilé auprès des acteurs politiques comme du grand public.

(A suivre)

Par la Rédaction sous la direction de Vo Trung Dung.

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L’article précédent : La Chine à l’assaut de Bruxelles : un réseau d’organisations influentes (1/4)

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