Géopolitique Diplomatie Economie Mer de Chine

Cybersécurité : l’axe Tokyo-New Delhi se développe, Huawei dans le viseur ?

Le Japon et l’Inde se sont entendus en février pour collaborer sur les questions de sécurité numérique, et notamment celles concernant le développement de la 5G. Les deux pays craignent la mainmise du chinois Huawei. Mais l’Inde est dans une position plus délicate que l’archipel qui joue la carte de la fermeté.

Sur le principe, c’est un accord stratégique peu visible mais majeur qui a été conclu entre Tokyo et New Delhi. Mais dans les faits, les autorités indiennes hésitent encore, tant la question est sensible. En toile de fond : l’équipementier chinois Huawei !

Le 25 février 2019, le Japon et l’Inde ont annoncé qu’ils s’étaient mis d’accord pour collaborer ensemble sur la sécurité des futurs infrastructures qui permettront de déployer la 5G. Dans le collimateur : les équipements proposés par le géant des télécoms chinois Huawei. Cet accord informel a d’ailleurs explicitement été réitéré le mercredi 27 février 2019, lorsque se sont ouvert le troisième round de discussion entre les eux pays sur la question de la cybersécurité. Les deux géants asiatiques se sont promis mutuellement de partager leurs informations sur les risques pour la sécurité des données et empêcher notamment l’expansion du mastodonte chinois sur le marché indien.

Tokyo espérait surtout influencer les officiels indiens sur ses propres choix politiques radicaux dans la crise qui a éclaté avec l’arrestation de la directrice financière de Huawei (et accessoirement fille du fondateur) Meng Wanzhou au Canada, à la demande des autorités américaines. L’entreprise était suspectée en effet d’avoir fraudé pour contourner les sanctions américaines contre l’Iran.

Mais sur l’archipel, c’est un autre grief que les autorités ont exprimé contre le géant de Shenzhen. Vendredi 7 décembre 2018, Yoshihide Suga — le porte-parole du gouvernement nippon — a annoncé que les produits Huawei seraient dorénavant bannis de toutes les commandes publiques japonaises. La marque n’est cependant pas interdite sur le territoire et, plus que les téléphones stricto sensu, ce bien les infrastructures 5G qui sont dans le collimateur. La sanction frappe aussi une autre entreprise chinoise, ZTE, également basée à Shenzhen. Le Japon veut se protéger de tout risque d’espionnage chinois de la part de de sociétés créées dans les années 1980 et étroitement liées à l’Etat chinois — Huawei a même été fondée par un gradé de l’armée chinoise — avec la mise en place effective de la 5G prévue en cours d’année dans le pays.

New Delhi, le maillon faible de Tokyo ?

Si Tokyo semble relativement préservé sur son territoire en termes de sécurité du réseau 5G, sa volonté de s’assurer d’un niveau de rigueur similaire de l’Inde n’est pas anodin. Le géant démographique et ses 1,3 milliard d’habitants attisent en effet les ambitions des acteurs asiatiques. Mais la question n’est pas seulement économique. En octobre 2018, Shinzô Abe et Narendra Modi avaient confirmé une collaboration sur les questions d’intelligence artificielle et de sécurité dans le cadre de la « Free and open Indo-Pacific Strategy », l’initiative portée par le Japon et les Etats-Unis censé concurrencer les « Nouvelles routes de la soie ». Or le renforcement de la coopération entre Tokyo et New Delhi sur ces sujets représentent aussi un risque pour le Japon si la Chine parvient à accéder illégalement au réseau indien. Certaines données d’organisations gouvernementales ou d’entreprises nippones pourraient être exposées.

En Inde, cette question est sensible. Sans surprise, les autorités craignent de donner les clés de la construction du réseau 5G — prévu pour 2020 — à Huawei. Mais la société chinoise a un argument de taille : le prix.

Selon une information dévoilée par le Nikkei Asian Review, les dirigeants indiens envisageraient d’écarter Huawei des projets d’infrastructures dans les zones frontalières, tout en lui octroyant des marchés dans l’intérieur du pays. Si le Japon est principalement inquiet pour la sécurité de ses données économiques, New Delhi est surtout préoccupé par la préservation de ses informations militaires et considère Huawei comme une « menace » sur cette question, l’entreprise étendant son emprise au Népal et au Pakistan voisins. Huawei, un Cheval de Troie ? La Chine pourrait difficilement nier cette hypothèse: les autorités de Pékin ont fait voter en 2017 une loi qui oblige tous les citoyens et toutes les entreprises à « coopérer, soutenir ou assister les institutions nationales du renseignement ». Autrement dit, considérer Huawei comme un auxiliaire de fait des services secrets chinois n’est pas un procès d’intention, mais une réalité légale voulue par la Chine elle-même.

New Delhi craint également que Huawei, soutenu par son gouvernement (et qui n’est, par exemple, pas cotée en Bourse), n’impose aussi sa présence en usant du droit international. Le géant chinois se serait déjà plaint auprès de l’Organisation mondiale du commerce estimant que l’Inde bloquait illégalement Huawei pour favoriser le développement de sa compagnie publique des télécoms, Bharat Sanchar Nigam Ltd (BSNL).

Face à la motivation chinoise de s’imposer sur le marché indien, et malgré les insistances japonaises pour créer un axe de collaboration Tokyo-New Delhi, L’Inde n’a pris aucune décision officielle pour le moment sur ce dossier. Dans l’attente, Huawei continue son expansion puisque la Malaisie, les Philippines, la Thaïlande et Singapour ont déjà reçu des infrastructures 5G. Outre le Japon, l’Australie, les Etats-Unis et la Nouvelle-Zélande ont banni la firme de Shenzhen du marché des ces équipements stratégiques. Entre des acteurs majeurs de la zone Asie-Pacifique qui mettent des barrières, et les marchés sous influence de Pékin qui ouvrent leurs portes, le choix de l’Inde pourrait faire basculer la dynamique de Huawei. Un enjeu autant politique qu’économique, l’Inde pourrait devenir le deuxième plus grand marché mondial de la 5G d’ici dix ans, juste après… la Chine.

Damien Durand

Photo de Une : © Omid Armin, Iran via Unsplash.


Suivez-nous sur Facebook et Twitter @AsPacMedia

Abonnez-vous à notre infolettre et suivez notre fil Telegram [asiepacifiquenews]

Derniers articles dans Actualité

Go to Top