Géopolitique Diplomatie Economie Mer de Chine

Chine FinTech Plateformes de prêt entre particuliers (P2P) © AsiePacifiqueNews

En Chine, le boom des plateformes de prêts financiers « P2P »

#FinTech. Avec 165 milliards d’euros en 2018, la Chine représente le premier marché de prêts entre particuliers qui s’enthousiasment de la finance en ligne.  Toutefois, le manque de régulation du secteur a provoqué de nombreux scandales.

Alors que le marché chinois des prêts entre particuliers représente 165 milliards d’euros, soit le plus important au monde, en juillet 2018, 118 plateformes avaient déjà fermé leurs portes, selon un décompte du groupe Yingcan rapporté par Bloomberg. Les analystes de China International Capital estiment que seuls 10 % d’entre elles devraient subsister dans les trois prochaines années. Comment expliquer la crise des plateformes de prêts entre particuliers en Chine ?

Un engouement massif pour la finance en ligne

Les plateformes de prêts entre particuliers sont apparues fin 2006 en Chine. Cette forme de financement (peer-to-peer lending en anglais) permet à un particulier d’obtenir un prêt financier sans passer par les intermédiaires traditionnels. Ce modèle a pris de l’ampleur entre fin 2014 et 2016, période pendant laquelle les prêts P2P ont progressé de 800 % ! La finance en ligne a connu un véritable essor permettant à des millions de Chinois de se tourner vers les sites de prêts entre particuliers.

« Cette croissance rapide des plateformes de prêts entre particuliers s’explique par l’énorme fossé laissé par le secteur financier traditionnel pour répondre aux besoins de financement des consommateurs et des petites entreprises. En 2013, les banques traditionnelles ne parvenaient pas à répondre aux besoins de la plupart des emprunteurs. Ces derniers n’avaient généralement pas accès aux cartes de crédit et, lorsqu’ils avaient vraiment besoin d’argent, ils étaient contraints d’emprunter auprès de leur famille et de leurs amis », affirme Luke Deer, chercheur à l’Université de Sydney et auteur de nombreuses études sur le secteur P2P en Chine. En effet, il ressort d’un rapport publié en 2016 par l’Association des comptables accrédités que seules 9,6 % des demandes de prêts émises sur le territoire sont acceptées.

« Du côté de l’offre, les prêts entre particuliers ont ouvert la voie à une nouvelle catégorie d’actifs relativement accessible, imposant de faibles montants d’investissement minimum et associée à des promesses de rendements élevés », précise Luke Deer. Les entreprises proposent des placements avec des taux d’intérêt compris entre 6 et 8 %, bien supérieurs à ceux des banques traditionnelles.

Le marché chinois du P2P est désormais considéré comme le plus important au monde. En 2016, une étude publiée par le Centre d’études français sur la Chine Contemporaine (CEFC) recensait près de 6.000 plateformes proposant des transactions d’une valeur moyenne de 125 milliards d’euros.

À titre de comparaison, en France, cette pratique bien que peu développée est réglementée. Les prêteurs sont obligés de passer par l’intermédiaire de plateformes spécialisées agrées par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et immatriculées auprès du registre de l’ORIAS (Organisme pour le registre des intermédiaires en assurance). L’une des plus importantes est Younited Crédit qui déclare avoir financé plus de 100.000 prêts en 2017 représentant près de 700 millions d’euros.

Des scandales retentissants

L’été 2018 a été fatal pour les plateformes chinoises de prêts entre particuliers. En effet, pour le seul mois de juillet, 221 ont été déclarées en manque de solvabilité contre 217 l’année précédente. Ces faillites ont provoqué une crise de confiance chez les emprunteurs dont l’indignation a été largement médiatisée. Le secteur a par ailleurs été mouvementé par des scandales retentissants.

En 2016, deux cadres de l’entreprise Ezubao, qui était la première plateforme de prêts participatifs en ligne en Chine, ont été reconnus coupables d’avoir escroqué 900.000 investisseurs pour plus de 7 milliards d’euros. Une vingtaine d’autres personnes ont été condamnées pour avoir participé à cette fraude de grande ampleur. Une autre affaire a éclaté cette même année, lorsque plusieurs journaux ont rapporté que certaines plateformes demandaient à des étudiantes de fournir des photos d’elles nues comme garantie bancaire. « Les investisseurs n’ont pas été informés des risques qu’ils encouraient. Les plateformes les ont piégés en leur promettant des rendements garantis à des taux élevés et en affirmant qu’elles couvriraient les pertes sur leurs fonds propres. Mais certaines d’entre elles n’ont jamais eu l’intention de rembourser l’argent ».

L’une des causes de cette crise est la politique menée par le gouvernement chinois. Effectivement, depuis 2016, ce dernier multiplie les mesures réglementaires afin d’encadrer le secteur. « Pékin a publié une série de directives réglementaires précisant le type d’opérations autorisées. Les plateformes de prêts entre particuliers doivent désormais s’en tenir à leur rôle d’intermédiaires d’information et non plus d’intermédiaires financiers. Elles ne sont plus censées utiliser leurs fonds propres pour investir ou pour offrir des rendements garantis ni recevoir des dépôts. Elles doivent également avoir une équipe de gestion expérimentée et divulguer leurs données de prêt aux autorités centrales. Ceux qui n’ont pas pu se conformer ont peu de chances de survivre », explique Luke Deer.

Quel avenir pour les plateformes chinoises de prêts entre particuliers  ?

« Fin 2018, le peer-to-peer a connu la première nette réduction des volumes de prêts accordés depuis 2013. Certains considèrent que la disparition du crédit peer-to-peer en Chine est imminente. L’économie ralentit et la confiance des investisseurs dans le secteur a été mise à mal par les scandales liés aux plateformes et les pressions réglementaires. Une partie de la demande a également été compensée par l’apparition de nouvelles sources de financement telles que les partenariats de prêt fondés sur la technologie avec les secteurs bancaires traditionnels. Mais cela ne résout toutefois pas les besoins de financement des petites entreprises ».

Des millions de Chinois qui ont souscrit des prêts auprès de ces plateformes ont perdu toutes leurs économies. Certains se sont mobilisés récemment à Pékin devant l’Autorité de régulation bancaire pour attirer l’attention du gouvernement sur ces pratiques. Cependant, beaucoup ont perdu tout espoir de récupérer leur argent car ils ne disposent actuellement d’aucun recours.

« Alors que la plupart des plateformes douteuses ou non conformes vont quitter le secteur, les plus grandes ayant la capacité et la volonté de s’y conformer vont probablement continuer à se développer. Certaines ont même cherché à offrir des services financiers aux banques et institutions en place », conclut Luke Deer. Selon les analystes de China International Capital, il ne restera plus que 200 entreprises d’ici 2021. Ce problème qui peut être qualifié de structurel ne devrait pas pour autant ébranler le marché des actifs chinois.

Par Nathalie Jouet.

Derniers articles dans Actualité

Go to Top