Géopolitique Diplomatie Economie Mer de Chine

ASEAN, Association des nations de l'Asie du Sud-Est. Dessin participant au concours de dessins organisé par l'ASEAN.

L’ASEAN parmi les grandes puissances. Réforme nécessaire.

La présence croissante de la Chine, aussi bien au niveau économique que militaire, en Asie du Sud-Est mène à l’émergence potentielle de sphères d’influence chinoises, dans lesquelles l’Asie du Sud-Est serait considérée comme l’arrière-cour de la Chine. Le leadership régional de la Chine constitue le résultat naturel de ses performances économiques et de son influence remarquable. Le concept élaboré par Fairbank Harvard Center for Chinese Studies sur l’ordre mondial de la Chine fournit un modèle pour comprendre les relations internationales en Asie : celui-ci place la Chine dans un rôle central et de supériorité dans le système. Ceux qui mettent en avant le long historique de l’ordre hiérarchique en Asie tendent à soutenir le fait que l’Empire du Milieu est revenu sur scène comme le leader régional et le pouvoir le plus puissant. C’est un statut incontestable.

Comme la Chine resserrant sa prise en Mer de Chine méridionale, l’Association des Nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN) a du mal à adopter une réponse appropriée et unanime. Certains pays d’Asie du Sud-Est ont refusé d’admettre le leadership chinois — comme le Vietnam ou la Malaisie —, ou ont fait mine de l’accepter comme les Philippines. L’ASEAN, sans le dire, cherche à rééquilibrer cette situation en comptant sur d’autres puissances extérieures ou à des partenaires qui n’étaient pas directement impliqués dans les conflits — notamment concernant les disputes de territoires terrestres et maritimes entre la Chine et certains pays d’Asie du Sud-Est. Bien que les options stratégiques des petites puissances soient limitées, les stratégies de l’ASEAN envers les grandes puissances montrent que les plus petites ont toutefois un choix diversifié d’options, choisissant la plus efficace selon les besoins à court et moyen terme.

Comment le commerce va façonner l’ordre régional

L’Accord de Partenariat Trans-Pacifique (TPP) est considéré comme l’un des plus importants piliers du pivotement des États-Unis vers l’Asie. Il s’agit d’un changement de stratégie opéré sous l’administration d’Obama. Cette stratégie a été conçue à la lumière du pouvoir croissant de la Chine, qui menacerait la distribution régionale du pouvoir des États-Unis. Il est vrai que la Chine n’est pas près de contrarier l’Accord de Bretton-Woods, même si elle a plus d’une fois montré son ambition révisionniste dans la région. Par exemple, Xi Jinping a appelé à un nouvel ordre régional de sécurité sans alliance, soumis à l’autodétermination asiatique. La Chine constitue ainsi un défi sans précédent pour les États-Unis : un rival géopolitique se confrontant à l’unipolarité américaine, qui pourtant reste un partenaire économique de premier plan avec Washington et ses alliés.

Cela fait du commerce une approche sensée pour atteindre les objectifs des États-Unis dans la région. Les intérêts des États-Unis sont également alignés avec de petits mais stratégiques pays du TPP dont les relations avec la Chine sont de nature complexe. Dans ce sens, on attend du TPP qu’il donne à ces pays des choix, plutôt qu’une dépendance économique avec la Chine, qui pourrait potentiellement affaiblir les leviers diplomatiques et politiques avec Pékin. En résumé, le TPP reflète les implications stratégiques de États-Unis avant le mouvement croissant vers le pouvoir de la Chine dans la région. Et on attend de celui-ci qu’il soit un outil pour façonner les pratiques dans la région Asie-Pacifique et plus encore. Même si le TPP s’est tout de même fait après le retrait des États-Unis de l’accord, ces préoccupations stratégiques restent valables.

La Chine comprend certainement les objectifs des États-Unis, et y a répondu, avec le Partenariat Économique Régional Global (RCEP). En apparence, le but premier du RCEP est de résoudre le problème du « bol de spaghettis » en combinant 5 zones de libre-échange du préexistant ASEAN-Plus en une seule. Considéré comme une réponse directe au TTP, le RCEP est cependant bien moins ambitieux dans son cadre et dans ses engagements. L’accent est mis sur le commerce de biens, plutôt que sur les nombreux et épineux problèmes non-commerciaux tels que la propriété intellectuelle, les codes du travail et de l’environnement, ainsi que l’investissement public. Le RCEP, comme les rondes de négociations du TPP, progresse lentement, et sa basse qualité de sa création risque d’enfermer la région dans un puzzle de zones de libre-échange de faible qualité, difficiles à rompre dans le futur. A part cela, le RCEP est toujours considéré comme un accord commercial destiné à maintenir le rôle économique central de Pékin dans la région.

Ces deux méga-accords commerciaux ont posé problème à des pays de la région, bien que certains appartiennent aux deux. Ces deux accords sont techniquement différents en termes de niveau d’engagement, et sont donc irréconciliables. De plus, la rivalité géopolitique sous-jacente sino-américaine, bien qu’implicites, est visible. Et la plupart des parties dans la région poursuit une stratégie sophistiquée d’équilibre entre les deux géants. La soudaine rupture dans le TPP — par le retrait de Washington — crée un espace vacant dans lequel la balance de l’influence penche vers la Chine. Ceci est particulièrement vrai pour les pays de l’ASEAN.

Comme l’administration Trump a retiré les États-Unis du TPP, le Vietnam, par exemple, doit regarder ailleurs. Les partenaires du RCEP et de l’Accord de libre-échange Vietnam-UE (EVFTA), qui inclut des pays de l’UE, et l’Inde et le Japon, sont des économies complémentaires au marché vietnamien. Bien que les gains stratégiques et institutionnels que le Vietnam espère récolter de ces deux accords sont incomparables à ceux du TPP, un changement de direction est nécessaire.

Certains accords contenus dans le TPP ont été conclus directement entre le Vietnam et les USA. Ceux-ci servent déjà de fondation très avantageuse, comparés aux autres partenaires asiatiques. Des questions épineuses telles que les syndicats indépendants, l’accès au marché public, ont mené les deux parties à un commun accord sur le calendrier des réformes. Il est important de noter que ce n’est pas une abolition des barrières douanières, mais des normes de barrières non-tarifaires qui ont menés le Vietnam et les États-Unis à un accord non négligeable. Les normes concernant le travail, la chaîne de production, etc… même s’ils ne concordent pas exactement, devraient faciliter un immense flux d’investissement des Etats-Unis dans les secteurs de la manufacture et des services au Vietnam.

Les géopolitiques de l’infrastructure

Pékin pense qu’avoir de bonnes relations avec l’ASEAN pourrait aider à améliorer les relations entre la Chine et les membres de l’ASEAN pris individuellement. Guidée par cette pensée stratégique, la Chine espère utiliser de nouveaux projets comme instruments principaux pour assurer et étendre son pouvoir dans un environnement donc la sécurité change constamment. Par exemple, depuis l’annonce du projet la Route Maritime de la Soie du 21ème Siècle (MSR), différentes idées ont paru, suggérant une connexion entre le MSR et le Master Plan on ASEAN Connectivity (MPAC 2025). Situé dans la partie supérieure de la MSR chinoise, l’ASEAN Port Network (APN) propose de relier 47 ports de pays de l’ASEAN.

Les attentes qui entourent les investissements de Pékin dans ce réseau de ports ont probablement un motif financier, car le « One Belt, One Road » (OBOR) pourrait être une autre source financière pour le plan de connectivité de l’ASEAN. De plus, pour la Chine, l’initiative OBOR est également une solution potentiel pour résoudre le problème de la surcapacité industrielle dans le pays. Cependant, il y a toujours un manque de compréhension stratégique du MSR, dû au fait que la Chine introduit ses propres ambitions de puissance dans ce plan.

Deux principes constants dans la politique d’infrastructure de Pékin

Tout d’abord, il s’agit de créer une connexion générale entre différents types d’infrastructures, dont les routes, les chemins de fer, les ports, les canaux, et mêmes les zones de manufactures, de logistique et de stockage des entreprises chinoises de la région. De tels modèles ont été instaurés en Afrique, et plus récemment, en Malaisie avec la proposition d’un « Chemin de fer de la Côte Est ». La construction de nouvelles routes et de ponts du complexe portuaire à un immense parc industriel à proximité est quasiment achevée. Et ce projet « Chemin de fer de la Côte Est » connectera les ports des côtes Est et Ouest de la Péninsule de Malaisie au port de Kuantan.

Le second principe est d’établir une voie parallèle pour éviter la route principale qui passe à travers le détroit de Malacca, miné par la piraterie. Actuellement, la Chine possède 29 des 39 routes maritimes, autour de 60% des biens importés et exportés, et 80% du pétrole importé qui traverse ce détroit. Les dirigeants à Pékin ont longtemps parlé de ce « dilemme » sécuritaire — décrivant Malacca comme un nœud gordien presque impossible à défaire. Selon ce point de vue, la Chine ne veut pas que les voies maritimes et terrestres qu’elle a construites mènent aux ports autour de la Mer de Chine méridionale, mais qu’elles relient plutôt le détroit de Malacca. A la place, elle s’efforce à construire des routes alternatives pour relier la région Asie du Sud – Océan Indien.

Depuis 2010, accompagnant la promotion de deux chemins de fer en Thaïlande et au Laos — dont la construction n’a commencé qu’en fin 2015, la Chine a également exprimé ses intentions de construire un chemin de fer reliant le pays à l’Océan Indien via la Birmanie. Ce chemin de fer, qui serait appelé Kyaukphyu-Kunming, au sud de la Chine, coûterait 20 milliards de dollars. Il serait destiné à transporter du pétrole, du gaz et des biens du port de Kyaukphyu jusqu’à Kunming. Cette voie passerait par le Couloir Économique du Bangladesh, de la Chine, de l’Inde et de Myanmar (BCIM) et le Couloir Économique Chine-Pakistan (CPEC). Cela donnerait à la Chine trois routes alternatives au détroit de Malacca. Ces routes seront non seulement les plus courtes, mais aussi les plus sûres pour la Chine.

Des infrastructures reliées entre elles peuvent être perçues comme des instruments de pouvoir. Mais d’un autre côté, l’ASEAN a différentes explications quand il s’agit de plans majeurs de connectivité entre ce groupement et la Chine. Malgré le fait que l’ASEAN ait les mêmes objectifs que l’OBOR initié par la Chine, le système d’infrastructure de l’ASEAN — selon Pékin — n’a pas de corrélation stratégique. Néanmoins, de nouvelles connexions infrastructurelles, qui seraient plus sino-centrées, pourraient poser des défis à la connectivité de l’ASEAN.

Ramener l’ASEAN « au centre »

Depuis la fin de la Guerre froide, le multilatéralisme régional avec l’ASEAN comme noyau a été institutionnalisé par des protocoles plus bureaucratiques qu’opérationnels, qui ont souvent mené à une prise de décision stagnante. Tous les acteurs ont été diplomatiquement neutres avec les autres, tenant de rester à l’écart de toute intrigue politique et de tout conflit. « L’ASEAN Way », dans laquelle les états membres ont tacitement adhéré à de nombreux protocoles diplomatiques et aux fameux principes de non-interférence/non-ingérence, a prouvé son efficacité sur le front économique dans les premières décennies suivant la création de l’organisation.

L’ASEAN a montré en de nombreuses occasions qu’en vue d’avoir un rôle central dans la structure politique régionale, il y a eu encore du chemin à parcourir. Les arrangements multilatéraux avec l’ASEAN comme figure centrale, tels que le Forum Régional de l’ASEAN (ARF) ou le Sommet d’Asie de l’Est (EAS), jouent encore un rôle mineur dans les domaines politiques et sécuritaires. Il est préférable, bien sûr, pour les dirigeants régionaux d’organiser des forums et communiquer entre eux. Cependant, après deux décennies de multilatéralisme, la sécurité régionale n’a jamais autant été mise à l’épreuve.

Dessin participant au concours de dessins des enfants organisé par l'ASEAN.
Dessin participant au concours de dessins des enfants organisé par l’ASEAN.

Un des problèmes fondamentaux de l’ASEAN est un manque d’unité en termes de « perception de la menace » vis-à-vis de la Chine. Cependant, la priorité de l’ASEAN est de résoudre ses disparités internes, qui ont freiné l’action contre la Chine, ainsi que sa capacité à engager d’autres puissances majeures dans une résolution pacifique du conflit en Mer de Chine.

En avril 2017, au 30ème Sommet de l’ASEAN aux Philippines, une déclaration jointe a été publié sans mentionner les revendications maritimes et la militarisation des îlots par la Chine. Les critiques furent vives, attaquant en premier les Philippines et son président Rodrigo Duterte, disant que les Philippines atténuaient délibérément le problème de la Mer de Chine méridionale dans l’intérêt de la Chine. En conséquence, l’ASEAN a fixé un seuil  de vote plus bas pour la prochaine déclaration jointe.

Les pays de l’ASEAN continuent de développer un Code de Conduite (COC) en Mer de Chine. L’Indonésie, un des membres les plus importants, était en désaccord avec les règles de fonctionnement de l »ASEAN. Djakarta a exprimé son désir de discuter les déclarations jointes — d’abord — entre les Etats membres avant d’en discuter avec la Chine. Les Philippines, qui ont présidé le sommet, ont pris certaines mesures offrant des concessions à la Chine. Manille a défendu une approche plus douce dans le développement de ce Code de Conduite. Les Philippines ont décidé de ne mentionner durant le sommet ni sa victoire dans l’arbitrage de la Haye (Pays-Bas) dans son différend avec la Chine, ni l’escalade des actions de la Chine en Mer de Chine méridionale. En même temps, les Philippines ont mené en coulisse des discussions avec la Chine, et ont exprimé leur désir de publier plus tard l’ébauche finale du COC à la Réunion ministérielle de l’ASEAN en août 2017 à Manille.

La sentence de la Cour permanente d’arbitrage — appelée aussi le Tribunal de La Haye —, en 2016 a offert une chance à l’ASEAN comme le représentant des pays en Asie du Sud-Est et à ses membres de réexaminer ses pratiques pour répondre aux opportunités et défis arrivant dans le contexte post-arbitrage.

Quand les pays de l’ASEAN sont rassemblés, ils constituent un facteur important. Les pays maritimes d’Asie du Sud-Est devraient devenir également très importants pour l’implantation de la MSR chinoise. L’ASEAN pourrait utiliser cette stratégie comme un levier pour développer ses intentions de faire prendre forme l’engagement de Pékin et de Washington, tout en promouvant son propre programme d’intégration régionale, ainsi que d’autres intérêts économiques et de sécurité.

C’est aussi le moment pour le Vietnam d’accroître ses relations avec les autres pays concernés par les conflits en Mer de Chine, ainsi que d’encourager la centralité de l’ASEAN. Le premier objectif serait une coopération stratégique entre les Philippines, le Vietnam, la Malaisie et l’Indonésie. Une signification plus élargie d’un partenariat entre ces pays repose sur le fait que cette alliance s’inclut dans un réseau plus large d’alliance informelles en périphérie de la Chine.

Ces quatre États devraient développer et adapter une position commune sur de nombreux aspects des droits de la mer concernant la Mer de Chine méridionale en se basant sur l’arbitrage de La Haye. Pour l’ASEAN, opérer dans le contexte d’une montée de pouvoir régional de la Chine, des approches légales et normatives furent et restent les solutions les plus faisables pour approcher des nations plus puissantes.

A cela s’ajoute le fait que l’ASEAN doit en priorité décider de partager équitablement sa forte charge politique entre ses Etats membres, et en même temps trouver comment de répandre un peu son capital politique pour arriver à une stabilité de long-terme. Une étape simple pourrait grandement améliorer l’efficacité et l’influence de l’ASEAN en tant qu’organisation régionale : établir un mécanisme de vote à majorité. Ou bien dans une manière poussant moins à la division, toutes les décisions essentielles de l’organisation devraient être faites sur la base d’un vote à 2/3. Une approche différente pourrait souffler les effets négatifs de la prise de décision basée sur le consensus. Le pouvoir de veto devrait être retiré. Institutionnaliser la règle de « l’ASEAN moins (pays) X », une formule de participation flexible à la place du consensus, serait un point critique pour le futur de l’ASEAN en tant que cœur de n’importe quelle structure régionale.

Par Vo Trung Dung

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