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#TikTok : un réseau social au service de la propagande de l’armée chinoise

A l’ère des réseaux sociaux, les forces armées ont dû adapter leur stratégie et leurs méthodes de communication. Si l’objectif reste le même, à savoir construire une image positive auprès de l’opinion publique, ces nouveaux médias ont permis de toucher un public à la fois plus large et plus jeune.

En Chine, où de nombreuses entités du Parti ou de l’État ont pour mission d’effectuer des activités de propagande et d’éducation, leur visibilité est démultipliée par l’action des réseaux sociaux. Les principaux réseaux sociaux chinois sont Wechat et Weibo. Wechat est une application multi-services, au croisement de Facebook et Whatsapp. Wechat est de loin l’application la plus populaire en Chine, avec un milliard d’utilisateurs actifs chaque mois. La plupart des médias, privés ou institutionnels, sont présents sur le réseau, où circulent des millions d’articles et autres contenus.

L’armée est bien entendue présente, par l’intermédiaire de plusieurs comptes institutionnels (ministère de la Défense, médias de l’armée, etc.). Weibo, quant à lui, peut être décrit comme le pendant chinois de Twitter, et compte 430 millions d’utilisateurs. C’est l’autre vecteur principal d’informations, sur lequel l’armée et les médias spécialisés en défense sont également présents. En Chine, où une majorité des internautes se connectent depuis leurs smartphones, ces deux applications sont de loin les plus utilisées et sont les principaux vecteurs d’informations.

Plus récemment, l’Armée populaire de libération (APL) a également investi l’application Tik Tok, Douyin 抖音 en chinois, une application très populaire, similaire à Vine. L’idée de Douyin est simple : créer de courtes vidéos de moins d’une minute, modifiables à souhait, et les partager sur le réseau. L’algorithme propose des contenus en fonction des préférences de l’utilisateur, mais leur nombre de like ou partage n’est pas pris en compte. Ainsi se succèdent des vidéos avec plusieurs millions de likes et des vidéos d’anonymes sans like ni partage. Nombre de vidéos deviennent rapidement virales, et il n’est pas rare que certaines d’entre elles atteignent plusieurs millions de likes. Douyin caracolait en tête du classement mondial en terme de téléchargements au premier trimestre 2018, et disposait d’au moins 150 millions d’utilisateurs journaliers. Témoignage de la popularité de cette application, Tim Cook, en visite en Chine, est allé visité les locaux de l’entreprise mère Bytedance.

Petite recension des comptes liés à l’APL

En Europe comme en Chine, la communication est devenue un devoir pour de nombreuses institutions et agences d’État. Du côté de la République populaire de Chine, c’est sans surprise que l’on retrouve sur Douyin la puissante Ligue de la jeunesse communiste, qui dispose de plusieurs comptes — un compte principal et des comptes liés à des sections locales, par exemple. Le contenu de ces profils est assez prévisible : des agents de l’État dans une situation difficile qui remplissent malgré tout leur mission ou encore des anciens combattants qui témoignent.

De nombreux bureaux de police nationaux ou locaux ont créé leur compte. Il est par exemple tout à fait possible de visiter celui d’un commissariat de district d’une ville de 2ème ou 3ème rang au Hebei aussi bien que celui de l’Université nationale de la police. Le plus souvent, ces vidéos montrent des agents arrêtant des criminels, ou sauvant des civils. Parfois, il s’agit aussi de vidéos explicatives, comment se protéger de fraudes, comment se conduire. Ainsi, les services de l’État-parti sont largement représentés sur cette application, et l’armée n’est pas en reste. En effet, l’APL dispose de plusieurs comptes, totalisant quelques millions d’abonnés. Il serait extrêmement fastidieux d’en examiner l’ensemble, mais une rapide radiographie des principaux comptes est néanmoins pertinente.

Comme Twitter, Douyin certifie certains comptes officiels ou reconnus. En ce qui concerne l’armée, l’un des comptes officiels les plus actifs est celui d’une unité de parachutistes — en l’occurrence 95829budui. Ce compte «  Women de tiankong »  (“Notre ciel”) est à l’origine de 323 vidéos, pour un total de plus de 20 millions de « J’aime » et 1,79 millions d’abonnés.

Le compte de l’armée de terre, «  zhongguo lujun » dispose quant à lui de 73 vidéos, 3,7 millions de likes et 1,7 millions d’abonnés. Le compte lié à l’armée le plus suivi est celui du centre média de l’APL, avec pas loin de 5 millions d’abonnés, et 47 millions de « J’aime » recueillis pour 269 vidéos. Ces trois comptes sont les plus fréquentés, mais d’autres organisations de l’armée alimentent également les leurs. Par exemple, les théâtres militaires sud et ouest sont de la partie, le premier totalisant 830.000 abonnés, le second 850.000. Ces deux comptes sont tenus par les départements de propagande de ces théâtres. Leur présence sur le réseau semble être une initiative propre, car les autres théâtres militaires — nord, est et centre — ne sont a priori pas présents. A noter également que l’armée augmente sa présence sur le réseau : depuis le moment où nous avons commencé à travailler sur cet article, de nouveaux comptes officiels sont apparus, comme celui de China Military, le portail gouvernemental d’information sur l’armée, ou celui de la marine.

Ces comptes officiels ne représentent que la partie émergée de l’iceberg car des dizaines d’autres diffusent du contenu relatif à l’armée. Par exemple, deux comptes de médias spécialisés,  « Di yi junqing » et « PLA Life » (PLA shenghuo), disposent chacun d’un peu plus d’un million d’abonnés. A cela s’ajoutent des commentateurs, experts et journalistes souvent déjà connu pour leurs articles, lancés eux aussi sur Douyin. Ainsi, des comptes tels que « Sanjianke » et « Junying sheying » oscillent entre 850.000 et 1.6 millions d’abonnés et côtoient des comptes de passionnés comme le « Junshitu »  qui compte 1,4 millions d’abonnés. On trouve également des utilisateurs individuels, soldats du rang ayant créé un compte pour partager des détails de leur vie. Ces comptes sont plus rares et ont souvent une audience restreinte mais existent. Exception faite d’un soldat ayant intégréla Légion étrangère dont le compte est un peu plus suivi que d’autres. Détail intéressant, ce compte a récemment supprimé toutes ses publications.

Ces chiffres peuvent paraître énormes mais en réalité ils doivent être mis en perspective au regard des autres comptes du réseau : Papi Jiang, une des stars de l’Internet chinois, cumule 79 millions de « J’aime » pour 25 millions d’abonnés. Angelababy, actrice ayant participé à quelques productions hollywoodiennes, a plus de 37 millions d’abonnés. Certaines vidéos virales atteignent facilement les deux millions de« J’aime », alors que les vidéos de l’armée en obtiennent rarement plus de 200 000.

Quels contenus disponibles en ligne ?

Après ce tour d’horizon des comptes de l’APL, les plus présents sur Douyin, se pose la question des contenus. Il est possible de les diviser en plusieurs catégories. La première et probablement la moins surprenante concerne les vidéos de matériel et d’exercice. Nombreuses, ces vidéos restent tout de même très confidentielles, avec en général moins de quelques milliers de « J’aime », des dizaines de milliers tout au plus. Elles sont toutefois intéressantes dans la mesure où, pour la plupart, elles dévoilent des images différentes des reportages diffusés par CCTV, la télévision nationale. La plupart de ces vidéos émanent en effet des comptes officiels, notamment ceux des théâtres d’opérations. Par exemple, cette vidéo faite à partir des images de l’exercice Vostok-2018, ou encore cette vidéo d’exercices d’hélicoptèressur le théâtre sud.

Si ce type de contenu est légion, il conserve un certain classicisme. Néanmoins, dans l’ensemble, ces vidéos offrent des prises de vues intéressantes sur le matériel utilisé. Notons à cet égard que les véhicules de l’armée de terre sont les plus présents : chars, transport de troupes mais aussi les systèmes de défense antiaériens. Une autre vidéo montre une intervention fictive de la marine pour reconduire un navire étranger en visite dans les « eaux territoriales chinoises en mer de Chine du Sud ». La vidéo commence par une prise de vue d’un destroyer américain, puis fait étalage de la puissance de feu de la marine de l’Armée populaire de libération (PLAN).

 

Vidéo de propagande. La Marine chinoise en action en Mer de Chine méridionale. Source : Tik Tok

 

Mais ce genre de vidéos n’est pas le plus courant. En réalité, la plupart des contenus liés à l’armée sont des vidéos montrant les soldats dans diverses situations. Plus ou moins scénarisées, ces vidéos ont pour objectif principal de montrer au public la vie de l’armée sous un jour désirable. L’armée exhibe ses soldats bodybuildés pendant leur séance d’entraînement physique, la vie à la caserne ou encore la protection des frontières. D’autres contenus mettent en scène les femmes de l’APL, d’autres encore montrent des chansons ou des danses réalisées par des soldats. Les images de parades militaires, notamment lors des cérémonies, sont extrêmement nombreuses et sont de loin les plus populaires. Les commentaires sous ce genre de vidéos sont souvent des messages d’encouragement, de remerciement pour leurs sacrifices, etc. Du point de vue de l’armée, il s’agit évidemment d’améliorer son image en la présentant sous un angle plus valorisant, une forme classique de communication.

Une dernière catégorie de vidéos est celle regroupant les vidéos publiées par des soldats eux-mêmes. Ces vidéos, plus rares et surtout plus confidentielles — quelques centaines de « J’aime » tout au plus —, sont à première vue relativement anecdotiques. Mais dans les détails de ces vidéos se cachent des renseignements intéressants. Par exemple, des vidéos de gardes frontièrespostés dans des endroits reculés ont récemment fleuri sur le réseau. L’une d’entre elles montre simplement l’insigne des gardes frontières, tandis que le sous-titre indique « depuis la frontière sino-afghane, je vous souhaite bon courage ». Les commentaires sont révélateurs : si beaucoup encouragent la personne, d’autres lui conseillent au contraire de quitter l’armée et de revenir en ville. A demi-mots, le soldat répond que la « vie est dure, et pas forcément intéressante ». Ce type de vidéos illustre la relation complexe entre l’armée et la société civile. Si l’armée jouit globalement d’une bonne réputation et que le respect pour l’uniforme est réel, beaucoup de soldats envient la liberté des civils.

Douyin, comme tout réseau social, ouvre finalement une fenêtre inédite sur la Chine et sa société. Bien sûr, comme souvent sur Internet, la qualité des contenus est très inégale mais cette application permet malgré tout de comprendre davantage les méthodes de communication de l’APL à destination du grand public. Depuis la publication originale de cet article, de nouveaux contenus ont encore émergé et d’autres ont été supprimés, notamment des comptes annexes, moins officiels. Ce phénomène dénote une phase d’expérimentation pour l’armée qui dispose des moyens nécessaires notamment grâce à l’initiative lancée dans les années 2000 consistant à « numériser »  l’État. Cette numérisation, qui se concrétise à travers une meilleure présence sur les réseaux sociaux, répondrait à des directives émanant des hautes instances du Parti qui y voient un canal d’éducation et de propagande. Les réseaux sociaux ne sont certainement pas une priorité pour l’armée qui pourtant doit faire l’effort d’orchestrer sa mise en scène dans le souci de satisfaire les besoins d’un gouvernement en quête d’autorité.

Par EastIsRed

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EastIsRed est un collectif spécialisé dans les secteurs de sécurité et défense. Il est animé par de jeunes observateurs de la Chine interpellés par sa montée en puissance. Leur méthode : parcourir presse et réseaux d’informations anglophones comme sinophones, pour produire des synthèses et des analyses à la fois originales et accessibles.

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Cet article a été produit par le collectif EastIsRed et initialement publié sur le site d’information Analyse Défense.

Avec l’autorisation d’EastIsRed, cet article a été édité et actualisé par/pour Asie Pacifique News.

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