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Arizona © Kalen Kemp on Unsplash

Les puces taïwanaises dans le désert américain

Industrie stratégique | Le plus grand fabricant de puces électroniques du monde, Taiwan Semiconductor Manufacturing Co. (TSMC) a posé la première pierre d’une usine de fabrication des semi-conducteurs dans le désert de l’Arizona, un peu plus d’un an après l’avoir annoncé. 

Dans l’État de l’Arizona, il s’agit de la première usine américaine de l’entreprise taïwanaise en vingt ans, et ce sera l’un des rares sites de production en dehors de l’île. La future usine au coût de 12 milliards de dollars pourrait bénéficier de l’écosystème créé par Intel et d’autres entreprises majeures du secteur déjà présentes.

La relocalisation de l’industrie stratégique

L’implantation de TSMC intervient dans un contexte où Washington cherche à renforcer la chaîne d’approvisionnement nationale en puces dans l’espoir de contrer la tentative similaire de la Chine. La pénurie mondiale de puces qui frappe actuellement les constructeurs automobiles et les fabricants d’électronique rend ces relocalisations encore plus urgentes.

Elle n’est pas la seule. L’autre acteur, le géant américain des puces Intel a annoncé en mars 2021 qu’il allait investir 20 milliards de dollars pour ajouter deux autres usines en Arizona, renforçant ainsi sa présence déjà importante dans cet État désertique.

La concurrence sino-américaine comme « booster »

La décision de TSMC de choisir l’Arizona est intervenue au plus fort des tensions entre les États-Unis et la Chine. Et aussi du découplage des technologies pratiqué sous l’administration républicaine du président Donald Trump. Le gouverneur de l’Arizona, Doug Ducey, un républicain, a été un proche allié de Trump tout au long de ses deux campagnes présidentielles.

Le président Joe Biden continue à maintenir la détermination des États-Unis à être moins dépendants des chaînes d’approvisionnement lourdes de la Chine. La pénurie actuelle de puces, qui a touché les constructeurs automobiles, les fabricants d’appareils électroniques et bien d’autres, a également poussé Washington à redynamiser la fabrication nationale de puces.

Lors d’un sommet sur les semi-conducteurs organisé par la Maison-Blanche en mars 2021, M. Biden a déclaré que les États-Unis allaient investir « de manière agressive » dans le secteur des semi-conducteurs et qu’ils étaient prêts à « reprendre la tête du monde ».

Un écosystème des fabricants du semi-conducteur

Pour se développer, il est important de disposer d’un écosystème d’entreprises du secteur qui se renforcent mutuellement, tout en étant concurrentes.

Bill Wiseman, associé principal chez McKinsey, cité par l’agence Nikkei : « Pour la fabrication de semi-conducteurs, il faut un grand écosystème pour obtenir la meilleure position en matière de coûts. Il ne suffit pas d’une seule entreprise ou d’une seule usine, mais d’un grand groupement — 10 ou 15 de ces entreprises — pour obtenir des performances de classe mondiale et construire un écosystème suffisamment vaste autour de soi. » 

Cela va des fournisseurs d’équipements, qui sont nécessaires pour mettre à jour et assurer la maintenance des machines à fabriquer les puces, aux entreprises fournissant les produits chimiques et autres matériaux nécessaires à leur fabrication.

Cet écosystème répond à l’attente de TSMC, dont la plupart des sites de fabrication se trouvent à Taïwan, à l’exception de deux usines de fabrication de puces à plus petite échelle en Chine et de sa première usine de puces aux États-Unis, à Camas, dans l’État de Washington, qui est proche de la principale base de recherche et développement d’Intel dans l’Oregon.

L'usine de semi-conducteur d'INTEL en Arizona — Photo © INTEL
L’usine de semi-conducteur d’INTEL en Arizona — Photo © INTEL
L’Intel, le précurseur

Si l’Arizona dispose déjà d’une chaîne d’approvisionnement en semi-conducteurs aussi complète, c’est en grande partie grâce à Intel. En 1980, la société a commencé à fabriquer des puces de microcontrôleurs dans son usine de Chandler, en Arizona. Plus de 40 ans après et 30 milliards de dollars investis depuis, Chandler est aujourd’hui le plus grand site de production d’Intel dans le monde.

L’Arizona occupe la quatrième place aux États-Unis pour l’emploi dans le secteur des puces, avec plus de 22 000 emplois directs dans la fabrication de semi-conducteurs, selon les données fournies par l’Arizona Commerce Authority. Outre Intel, d’autres grands fabricants de semi-conducteurs — dont NXP, ON Semiconductor, Qualcomm, Microchip, Broadcom et Benchmark Electronics — y possèdent également des installations.

Mais attirer TSMC a un prix. La construction d’une usine de fabrication de puces aux États-Unis serait au moins deux fois et demie à trois fois plus chères que la construction d’une usine à Taïwan, ont estimé les dirigeants de l’industrie des puces, ce qui rend la délocalisation dans le pays moins attrayante sur le plan économique. Cela signifie que les incitations seront importantes.

Une industrie soutenue par les États

Dan Hutcheson, analyste en semi-conducteurs chez VLSI Research : « La raison pour laquelle la fabrication s’est déplacée hors des États-Unis au cours des 30 à 40 dernières années et la raison pour laquelle les fonderies de semi-conducteur ont connu un tel succès est qu’il n’y avait pas d’incitations économiques pour les entreprises de semi-conducteurs à les fabriquer aux États-Unis. »

Les succès des industries des semi-conducteurs à Taïwan et en Corée du Sud, par exemple, ont été permis grâce au soutien des gouvernements qui ont investi massivement dans le secteur. Dans le même ordre d’idées, en Arizona, le soutien des autorités fédérales et locales sera essentiel pour faire de cet État le prochain centre américain des puces.

Dans la capitale de l’Arizona, Phoenix, où TSMC construit sa nouvelle usine de puces, le gouvernement municipal a promis à la fin de l’année dernière de consacrer 205 millions de dollars à l’amélioration des infrastructures publiques pour TSMC. Ce montant comprend 61 millions de dollars pour des projets de construction de rues et de trottoirs, d’installation de lampadaires et d’aménagement paysager. Selon la ville, 37 millions de dollars supplémentaires sont prévus pour l’amélioration des infrastructures d’eau, et 117 millions de dollars pour les égouts et le système de traitement des eaux usées.

En 2020, le président de TSMC, M. Liu, a confirmé, lors d’une conférence de presse à Taipei, que son entreprise avait demandé « des subventions et des incitations de la part de l’État et du gouvernement fédéral [des États-Unis] » pour couvrir les surcoûts d’une implantation aux États-Unis par rapport à Taïwan, et que ces incitations seraient les facteurs clés pour que TSMC accepte de construire une nouvelle usine américaine.

L'usine de semi-conducteur de TSMC à Taïwan - Photo © TSMC
L’usine de semi-conducteur de TSMC à Taïwan – Photo © TSMC
La pénurie de la main-d’œuvre qualifiée

Derrière l’euphorie, les inquiétudes pointent chez les Taïwanais. Elles concernent la capacité des États-Unis à fournir la main-d’œuvre dont des entreprises comme TSMC ont besoin. Avec le déplacement de la fabrication des puces vers l’Asie au cours des dernières décennies, le nombre de diplômés en ingénierie des puces aux États-Unis a diminué.

En avril 2021, Morris Chang, fondateur de TSMC, lors d’un forum industriel à Taipei : « Les États-Unis manquaient de talents dédiés, ainsi que de la capacité à mobiliser le personnel de fabrication à grande échelle ».

Pour résoudre ce problème, Intel a investi dans l’éducation avec le gouvernement de l’Arizona. Le fabricant de puces fournit de l’argent et un soutien à l’Arizona State University et est un employeur important de ses diplômés en ingénierie des puces.

Bill Wiseman, de McKinsey : « Je ne pense pas que les États-Unis disposent d’assez de talents pour être en mesure de doter en personnel ces installations de fabrication de puces en Arizona. Je ne pense pas non plus que la pénurie de talents en matière de puces soit un problème propre à l’Arizona. Mais c’est un problème des États-Unis d’Amérique. »

Et l’eau dans tout ça ?

L’Arizona et ses déserts arides pourraient sembler un choix étrange pour une industrie qui exige d’énormes quantités d’eau. Mais il s’avère que l’eau est l’une des préoccupations les moins importantes des promoteurs de ce projet.

Bill Wiseman, précise les besoins, avec un cynisme certain : « Les deux éléments d’infrastructure les plus importants pour une usine de semi-conducteur sont l’électricité, et encore l’électricité. Puis, quelque part en bas de la chaîne, on trouve la préoccupation d’eau. Or, l’eau n’a jamais représenté un coût énorme dans la fabrication des semi-conducteurs. Elle coûte peut-être quelques centimes par puce, mais ce n’est pas un coût vraiment important, donc on ne s’en est jamais vraiment préoccupé. »

Certes, les fabricants de semi-conducteurs ont également appris, au fil de la diminution des nappes phréatiques et de la pression de l’opinion publique, à utiliser l’eau plus efficacement. Aujourd’hui, Intel affirme recycler plus de 34 millions de litres d’eau par jour dans son usine d’Arizona. La société américaine a assuré qu’elle atteindrait une utilisation nette positive de l’eau — définie comme le fait de restituer et de restaurer plus d’eau douce qu’elle n’en consomme — d’ici 2030.

Vo Trung Dung

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Photo de Une : Arizona par © Kalen Kemp via Unsplash


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