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Viêt Nam, UE, les droits humains et une possible sanction

La condamnation, par un tribunal vietnamien, de Pham Chi Dung (54 ans) à 15 ans de prison, et à 11 ans chacun pour Nguyen Tuong Thuy (69 ans) et Le Huu Minh Tuan (39 ans), a créé des troubles au sein de l’Union européenne. Tous trois sont membres de l’Association des journalistes indépendants du Viêt Nam (IJAVN), une organisation — non autorisée — de la société civile qui promeut « la liberté d’expression, la liberté de la presse et la liberté d’association. »

Les trois journalistes-citoyens ont été reconnus coupables, lors d’un procès à Hô Chi Minh-Ville, d’avoir « fourni et diffusé des informations en ligne contre la République socialiste du Viêt Nam ». Ils ont aussi été condamnés pour avoir « régulièrement été en contact avec des opposants au régime » à l’intérieur et à l’extérieur du pays.

Les trois hommes ont reconnu avoir écrit des articles « pour soutenir la liberté d’expression et d’autres droits », mais ont démenti avoir diffusé des informations contre le régime.

Un procureur qui a souhaité rester anonyme : « Il est inexact de dire que nous bâillons la liberté d’expression ! Les condamnés ont pu écrire ce qu’ils voulaient depuis des années. Mais là, ils ont franchi la ligne rouge fixée par la loi. »

Les diplomates européens et américains présents à l’audience, en tant qu’observateurs, ont qualifié le procès d’« expéditif ».

Le porte-parole de la Commission européenne Peter Stano : « Il s’agit d’une très mauvaise nouvelle, et nous appelons les autorités vietnamiennes à libérer les personnes arrêtées pour avoir exprimé leurs opinions ».

 

Pham Chi Dung, Nguyen Tuong Thuy, Le Huu Minh Tuan au tribunal. — © DR
Pham Chi Dung, Nguyen Tuong Thuy, Le Huu Minh Tuan au tribunal. — © Ministère de la Justice, Viêt Nam.
La réaction de l’UE

Mercredi matin, l’Union européenne — par son Service européen d’Action extérieure (SEAE)a appelé à la libération immédiate des trois journalistes, ainsi que de leurs collègues, blogueurs et autres défenseurs des droits humains incarcérés.

« Les États doivent protéger la liberté d’expression et créer un environnement favorable au débat public, même lorsque les opinions exprimées sont contraires à celles des autorités. La liberté d’opinion et d’expression – en ligne et hors ligne – est essentielle pour garantir la transparence, la justice sociale, le développement durable et inclusif et la prospérité.

Le droit à la liberté d’expression est garanti par la Constitution vietnamienne, la Déclaration universelle des droits de l’homme et d’autres conventions internationales auxquelles le Viêt Nam a adhéré, notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. En outre, dans le cadre de l’Examen périodique universel, le Viêt Nam a accepté les recommandations visant à garantir et à lever les restrictions à la liberté d’opinion et d’expression. Cependant, le nombre croissant d’arrestations, d’emprisonnements et de condamnations de journalistes et de défenseurs des droits de l’homme vietnamiens va dans le sens contraire. »

L’UE privilégie le dialogue, mais…

Fait rapporté par des diplomates : l’UE s’est montrée hésitante à l’idée de recourir à des sanctions commerciales contre le Viêt Nam, après l’annonce faite par le pays de lourdes condamnations visant ces trois journalistes-citoyens. L’opportunité des sanctions a été mise sur la table de la Commission européenne.

Le porte-parole de la Commission européenne Peter Stano : « Nous entretenons un dialogue formel avec le Viêt Nam et nous tenterons de trouver une solution en maintenant ce dialogue. C’est l’option que nous voulons privilégier. Les sanctions sont un instrument, et non un objectif en soi . La procédure de sanctionsdoit être précédée d’une analyse détaillée, et nous allons nous y atteler .Il n’était pas très logique de présenter une proposition si vous saviez d’avance qu’elle n’avait aucune chance de recevoir l’unanimité par les États membres. »

Le mois dernier, les membres de l’UE se sont accordées pour mettre sur pied un régime semblable à la Loi Magnitski promue par Washington. Il permettra à l’UE à prendre des mesures punitives plus rapidement sur les acteurs responsables de violations des droits de l’homme dans le monde entier.

Miriam Garcia Ferrer de la Commission européenne : « L’accord de libre-échange [était] conjugué à l’accord politique entre les deux parties, qui porte une dimension liée au respect des droits de l’homme ; une dimension qui représente elle-même la clé de voûte de l’accord commercial ».

Elle précise la position de l’UE : « Si nous enregistrons des violations aux droits de l’homme graves et systémiques, comme dans le cas du Viêt Nam et d’autres pays, nous pouvons suspendre nos préférences commerciales. Mais, il s’agit ici d’une procédure de dernier recours ».

Qui sont les trois condamnés ?

Étant ancien officier des services de la Sécurité intérieure, ancien membre du parti communiste, issu d’une famille de hauts cadres gouvernementaux, Pham Chi Dung, est le plus estimé et connu— des trois — du public pour ses articles critiques et bien informés. Il fait partie des fondateurs historiques en 2014 de l’Association des journalistes indépendants du Viêt Nam (IJAVN — non autorisée) avec quelques 70 membres. Il l’a présidée jusqu’à son arrestation en 2019, juste après sa pétition qui demandait à l’UE de ne pas signer l’Accord de libre-échange avec le Viêt Nam (EVFTA). Il écrivait et commentait aussi pour le service en langue vietnamienne de la BBC et la Voice of America (VOA), un média de « soft-power » financé par l’administration américaine.

Son association édite Việt Nam Thời Báo (Le Journal du Viêt-Nam) dans lequel Pham Chi Dung et les chroniqueurs commentaient l’actualité nationale ou internationale. On y trouve les point de vue militants de l’IJAVN, mais pas une attaque directe et organisée contre le régime. Cependant, Pham Chi Dung dans ses commentaires sur les réseaux sociaux — comme Facebook — n’a pas caché son intention de réformer l’État-Parti, toutefois, par des moyens légaux.

Nguyen Tuong Thuy est capitaine de l’armée à la retraite. Après avoir quitté l’armée et aussi le parti, il commentait la politique et la situation des droits humains au Viêt Nam pendant de longues années sur les ondes de la Radio Free Asia (États-Unis), un autre média de « soft-power » financé par le Congrès des Etats-Unis. Il est vice-président de l’IJAVN, et remplace de fait Pham Chi Dung, déjà arrêté.

Le plus jeune des trois, l’activiste Le Huu Minh Tuan est diplômé en Histoire et suit des études de droit à Hanoi. Il assurait le rôle d’administrateur de Việt Nam Thời Báo et la fonction de trésorier de l’IJAVN.

Des peines sévères, mais de quoi sont-ils accusés et pourquoi maintenant ?

Les trois dirigeants de l’IJAVN ont reçu des peines sévères, tandis que des dizaines d’autres membres — leurs noms sont publics — ne sont pas inquiétés par les services de sécurité publique. Ils continuent toujours à écrire et à commenter sur les réseaux sociaux et autres forums.

Pr Carl Thayer, expert australien de la politique vietnamienne : « A travers ces arrestations et procès, le pouvoir politique a voulu démontrer sa capacité de contrôle idéologique sans faille avant l’ouverture du 13e congrès du parti dans quelques semaines. Un congrès où se joue, avant et pendant, les compétitions du pouvoir interne. »

Dans l’accusation, sans détail, le ministère public a énuméré 1 530 articles de Pham Chi Dung, dans lesquels, 25 ont pu répondre aux critères des « actions anti-étatiques ». Soit un pourcentage de 1,6%. Tran Tuong Thuy s’est vu condamné pour 5 articles. Et 6 articles incriminés pour Le Huu Minh Tuan.

En fait, derrière l’action des ces journalistes-citoyens et activistes, Hanoi redoute et incrimine les liens et contacts que l’IJAVN auraient pris avec des organisations politiques exilées pour renverser le régime et d’exercer des influences sur la politique intérieure. Selon une dépêche de l’AFP : « Leur condamnation à de lourdes peines tient aussi au fait qu’ils auraient été « régulièrement été en contact avec des opposants au régime » à l’intérieur et à l’extérieur du pays avant leur arrestation en 2019″.

Vo Trung Dung

(L’article a été mis à jour le 9 janvier 2021)


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