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TikTok : L’Asie en état de divergence

TikTok dans son état actuel et WeChat n’ont plus le droit d’exister aux Etats-Unis à partir du 27 septembre 2020, sur l’ordre du président américain Donald Trump. Toutefois, le réseau social de micro-blogging vidéo TikTok reviendra sous la bannière d’Oracle et Walmart. Et en Asie, les réactions aux craintes en matière de sécurité nationale à la suite l’interdiction américaine des applications mobiles chinoises reflètent l’état des relations des pays avec la Chine.

« La réaction des pays asiatiques à TikTok reflète leur attitude politique envers la Chine », a déclaré Michiaki Tanaka, professeur à la Graduate School of Business de l’université Rikkyo de Tokyo, à l’agence de presse japonaise Nikkei.

Au Japon, les préfectures d’Osaka, de Kanagawa, de Kobe, et bien d’autres villes, ont cessé d’utiliser TikTok ou ont supprimé la vidéo de leurs comptes institutionnels.

Ailleurs en Asie, les avis sont partagés sur la première plateforme de médias sociaux chinoise, qui connaît un succès mondial.

L’Inde, par exemple, a bloqué TikTok et d’autres applications chinoises dès juin dernier en raison d’un conflit frontalier avec la Chine. Le Japon, en tant que proche allié des États-Unis, suit généralement son exemple sur les questions chinoises et semble le faire pour TikTok et d’autres applications.

La réaction de chaque pays d’Asie est fortement influencée par ses liens avec Washington et Pékin. Cependant, on remarque qu’elle reste modérée dans la plupart des pays — à part Taiwan et l’Inde. Car, dans certains pays, TikTok a réussi à convaincre l’opinion publique que ses activités à l’étranger diffèrent de celles en Chine.

Néanmoins, les tensions croissantes entre les États-Unis et la Chine montrent les limites de cette approche d’équilibrisme.

Aux Philippines, le porte-parole présidentiel Harry Roque a déclaré en août que le pays n’interdira pas TikTok, car le gouvernement ne trouve « aucune raison » d’interdire l’application, soulignant que le président Rodrigo Duterte « respecte la liberté d’expression. » C’est le même président qui a fait retirer l’autorisation d’émettre d’une chaîne de télévision critique, et qui harcèle sans répit le site d’information indépendant Rappler.

Le Singapour n’a pas non plus exprimé de préoccupation concernant la vie privée de ses citoyens à propos de TikTok. Le Conseil national de la Jeunesse, une agence chargée de promouvoir les intérêts des jeunes Singapouriens, s’est associé à TikTok dans le cadre d’une campagne, dans laquelle les jeunes étaient encouragés à montrer leurs talents sur la plateforme chinoise.

À Taiwan, les agences gouvernementales n’ont plus le droit d’utiliser TikTok et d’autres applications vidéo chinoises, mais semblent pour l’instant ne pas vouloir aller plus loin.

L’Indonésie laisse toujours TikTok opérer dans le pays tant que la plateforme paie des impôts locaux. Début août, le pays a ajouté TikTok, ainsi que des géants américains de la technologie comme Amazon et Netflix, à une liste d’entreprises étrangères qui devront payer une taxe de 10 % sur les ventes aux clients indonésiens. Le gouvernement a pour objectif d’augmenter les recettes pour aider son économie touchée par la pandémie.

En plus de la réglementation nationale de différents pays, TikTok est également confrontée à diverses poursuites judiciaires. Au Vietnam, une entreprise technologique a poursuivi TikTok pour avoir utilisé des pistes audio lui appartenant sans autorisation. L’instruction est en cours.

En Thaïlande et en Malaisie, il y a eu peu de signes d’une réponse politique à TikTok. La Thaïlande semble plus préoccupée par la plateforme américaine Facebook et par la façon dont elle coopère ou pas avec les autorités afin de museler l’opposition politique.

L’Asie entre Washington et Pékin

Les diverses réponses en Asie illustrent aussi l’approche équilibrée des pays asiatiques face à la lutte de pouvoir entre les États-Unis et la Chine. Ils veulent éviter de donner l’impression de suivre les ordres de Washington.

Pour se montrer transparente, la société ByteDance/TikTok a mis des dirigeants non chinois pour diriger ses activités à l’étranger, dont son PDG récemment démissionné, Kevin Mayer, qui travaillait auparavant pour Disney. L’entreprise chinoise a également fait appel à des célébrités et des « influenceurs » des réseaux sociaux pour promouvoir l’application sur les marchés locaux.

Les efforts déployés pour dissimuler — ou du moins ne pas attirer l’attention sur — les origines chinoises de l’entreprise ont marché dans certains cas.

« Je ne savais pas que TikTok venait de Chine », a déclaré, à l’agence Nikkei, un lycéen japonais. Malgré les inquiétudes concernant la sécurité dans le pays, 89% des lycéennes de Tokyo — la principale clientèle de TikTok au Japon  — sont contre une interdiction, selon un récent sondage.

Contrairement à Douyin, l’application jumelle de TikTok réservée au marché chinois, qui est soumis à la loi sur le renseignement national, et qui donne à Pékin des pouvoirs étendus pour exploiter les données de l’entreprise, TikTok insiste sur le fait que l’entreprise ne permettra pas aux autorités d’accéder à ses données.

TikTok et le « soft power » de Pékin

Le récent retrait de l’entreprise du marché hongkongaïs est considéré comme une tentative de se soustraire à l’éventuelle demande des autorités chinoises de censurer le contenu ou de partager les données des utilisateurs. Cela souligne la volonté de la maison mère ByteDance de protéger sa marque TikTok en tant que plateforme de médias sociaux indépendante et mondiale. Mais, le problème de TikTok demeure la confiance limitée qu’accordent les consommateurs, et surtout les autorités des pays étrangers, à ses déclarations.

En 2018, le président Xi Jinping voit TikTok comme un atout qui peut « bien raconter l’histoire de la Chine ». Il considère « les médias sociaux comme un outil permettant d’influencer la vision du monde de la Chine ». Et, les médias sociaux comme TikTok sont devenus un champ de bataille dans la guerre de propagande, alors que les tensions entre les États-Unis et la Chine augmentent.

En Inde, TikTok aurait ordonné à son équipe de censurer les contenus critiques envers le gouvernement chinois, y compris toutes les mentions du Tibet et de son chef spirituel, le Dalaï-Lama.

Les dirigeants chinois ont longtemps cherché à accroître l’influence culturelle du pays. Encore en 2018, Xi Jinping a déclaré : « Nous devrions améliorer nos capacités de communication internationale … et augmenter « le pouvoir de convaincre » du pays. » Pour la Chine, TikTok est devenu un modèle de la manière dont la « puissance douce » peut toucher des milliards de personnes dans le monde.

Par Vo Trung Dung avec Kohei Ito à Tokyo

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