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© Yuan Jai, Charge, 2012. Centre Pompidou, Paris, France.

La politique étrangère américaine : Joe Biden le refondateur

Point de vue | Les quatre années de mandat chaotique de Donald Trump ont considérablement affaibli la position internationale des États-Unis d’Amérique. Les premières actions décidées par Joe Biden et son cabinet laissent entrevoir une autre approche de la politique étrangère à venir de Washington.

La liste des griefs adressés à Donald Trump est longue. Le retrait précipité d’Afghanistan, de Syrie, le soutien apporté à l’Arabie Saoudite dans sa guerre au Yémen, le soutien inconditionnel à Benyamin Netanyahu, et, sans consulter la Corée du Sud et le Japon. Ensuite, le retrait de l’accord Transpacifique TPP puis la calamiteuse négociation avec le dictateur de Corée du Sud Kim Jung un, la complaisance à l’égard de Poutine, le retrait de l’UNESCO, de l’OMS, les oukases commerciaux adressés à ses alliés — Europe, Inde, Japon, Canada, Mexique. Puis, la dénonciation de l’Accord de Paris sur le climat, le choix systématique de l’unilatéralisme au nom du slogan America First ont gravement atteint la confiance du monde en la parole de l’Amérique.

Le champ de ruine laissé par Donald Trump

Menée par Donald Trump, la guerre commerciale avec la Chine est un échec, le déficit commercial américain s’est creusé. Le déni puis la gestion calamiteuse de la pandémie de la Covid-19 laissent l’économie américaine encalminée. Tandis que la Chine, guérie et en croissance, y voit la preuve du déclin annoncé de l’impérium américain. En 2021, l’économie mondiale sera en récession, et le PIB chinois en hausse.

Sur ce champ de ruines, qu’entend faire Joe Biden, le 46e Président qui a été investi le 20 janvier 2020 ? Son capital confiance est élevé avec 64 % des électeurs américains qui lui ont fait confiance, Donald Trump est sorti par la porte de derrière avec 29 % de crédit. Ron Klain, son chef de cabinet, a annoncé que le Président prendrait d’urgence tout une série de décisions présidentielles, un « blitz de 10 jours ». Les décisions : rejoindre l’accord de Paris sur le climat, obliger au port du masque, lever des restrictions à l’entrée aux États-Unis de ressortissants de pays musulmans. C’est désormais chose faite.

La reconstruction de Joe Biden

Le défi premier de Joe Biden est de restaurer la confiance du monde en l’Amérique. Donald Trump voulait être craint, Joe Biden veut être suivi par l’exemplarité de sa politique. C’est ce qu’il déclarait à la veille de l’élection présidentielle : « Ce soir, le monde entier regarde l’Amérique. Je crois que l’Amérique quand elle est à son meilleur est un phare pour le monde. Et nous guidons non par la démonstration de notre force, mais par la force de notre exemple ».

Son article dans la revue Foreign Affairs en avril 2020 titrait « Pourquoi l’Amérique doit-elle redevenir un leader – Sauver la politique étrangère américaine après Trump ». Il y écrit vouloir rétablir la confiance des alliés de l’Amérique, cesser toute complaisance avec les dictateurs afin de rétablir la capacité des USA d’incarner les valeurs de liberté et de progrès, privilégier le multilatéralisme, rejoindre l’Accord de Paris. Dès sa première année de mandat, il organisera un « Sommet pour la démocratie ».

Voilà pour la posture morale, nécessaire, mais qui ne fait pas une diplomatie. Quand Trump a déconstruit systématiquement les acquis de l’administration Obama-Biden, sans proposer de vision ni même avoir de projet, conduisant la politique étrangère américaine comme une série de coups de bluffs, d’intuitions désordonnées, contradictoires, révisées avant même d’avoir porté leurs fruits. Si la gestion de la relation personnelle entre Trump et Kim Jong-un, le dictateur nord-coréen en est paroxystique :  vantardises mutuelles avant une improbable romance morganatique entre l’hyperpuissance et le trublion nucléarisé —, l’administration Biden-Harris entend construire dans la durée. Le mot d’ordre de la nouvelle administration sera, selon Antony Blinken, « prévisibilité, stabilité et clarté ».

Les réalités et les urgences

Cette louable ambition de restaurer le prestige des États-Unis d’Amérique pour et dans un monde meilleur se heurtera à trois réalités :

  • L’Amérique est encalminée dans ses problèmes domestiques qui réduisent sa capacité de manœuvre à l’international ;
  • Les alliés des États-Unis ont commencé à découpler leurs intérêts propres de ceux qui sont américains ;
  • Et la Chine de Xi Jinping est persuadée que son heure est venue.

L’Amérique est un Gulliver empêtré, empêché d’agilité sur un plan international, par trois urgences absolues nationales :

  • Reconstruire le consensus républicain gravement atteint par l’atteinte aux institutions américaines par Donald Trump lui-même, durant son mandat, et dont l’appel de l’assaut sur le Capitole ne fut qu’un climax ultime ;
  • Maîtriser la pandémie de CoVid-19 qui mine la puissance économique américaine du fait du déni du squatter de la Maison-Blanche ;
  • Relancer l’économie.

Les prévisions sont de 5 à 7 millions de morts à fin 2021, dont 20 % aux États-Unis. La priorité est ainsi de remettre de l’ordre dans la maison Amérique et de rétablir un climat de confiance par une attitude d’humilité et des gestes concrets. Plutôt que de vouloir affaiblir la Chine, la nouvelle doctrine devrait être de rendre aux États-Unis sa puissance, en investissant dans les technologies du XXIe siècle.

Trump a éreinté les alliés traditionnels non seulement en reniant la parole de l’Amérique sur des engagements internationaux majeurs : l’Accord de Paris, le CPTPP, mais aussi en exigeant des concessions unilatérales en matière commerciale par des oukases adressés à l’Union européenne, l’Inde, le Japon. Il les a épuisés encore par ses initiatives unilatérales non concertées sur des enjeux de sécurité vitale pour eux comme la gestion du risque nucléaire nord-coréen.

La signature du Partenariat régional économique global (RCEP) en novembre 2020 et la ratification imminente de l’accord entre l’Union européenne et la Chine en matière d’investissement sont des marqueurs du découplage des intérêts, de la rupture du front occidental.

L’heure chinoise

Le Président Xi est persuadé que l’heure de la Chine est venue. Parfois qualifiée de diplomatie des « loups guerriers » par référence au blockbuster chinois, l’attitude décomplexée du dirigeant chinois pour revendiquer la place dans l’équilibre mondial des puissances que la force de son économie légitime n’est pas une posture. Elle repose sur une doctrine et sur des faits. La doctrine est celle du déclin irrémédiable des États-Unis face à la supériorité du modèle chinois. Les faits sont l’accélération de l’économie chinoise par l’effet même de la récession frappant les grandes économies concurrentes face à la croissance chinoise.

La Chine réussira, dès 2021, à rétablir son image aujourd’hui entachée de l’omerta sur sa responsabilité dans la pandémie par une diplomatie du vaccin. Une illustration de la confiance des dirigeants chinois qui veulent jouer avec quelques coups d’avance est l’évocation d’une relance du Comprehensive Progressive Trans-Pacific Partnership Agreement (CPTPP) avec la Chine comme membre !

S’adressant lors du 5e plénum du Parti communiste chinois (PCC) à des cadres de haut niveau de son parti en janvier 2021, pour présenter ses ambitions pour 2025, Xi Jinping a déclaré que « l’heure et le mouvement sont en faveur de la Chine ». Et malgré les défis posés par la pandémie, les ruptures de la chaîne d’approvisionnement — la guerre commerciale avec les USA, la détérioration des relations avec l’Occident et le ralentissement de l’économie « le monde est dans une période de turbulence, mais nous devons montrer notre détermination et notre confiance, car si immenses sont les opportunités et les défis, les opportunités l’emportent sur les défis ».

Washington, la Chine et le reste de l’Asie

S’agissant de la relation avec la Chine, il ne faut donc pas attendre à un 180°, un « U-turn ». Trump et Pompeo ont semé, jusque dans les derniers jours, un champ de mines diplomatiques derrière eux : embargos frappant le géant pétrolier CNCOOC et des sociétés high tech chinoises (après Huawei, Xiaomi), exclusion de la cotation boursière des énormes sociétés de télécommunication chinoises, vente d’armes à Taïwan, sanctions frappant des dirigeants de Hong Kong.

Face au consensus de la classe politique et de l’opinion américaines pour considérer la Chine comme un ennemi systémique, le nouveau Président ne pourra que procéder prudemment. Il ne dénoncera pas l’accord commercial transitoire de janvier 2020 et ne se précipitera pas non plus pour dénouer le contentieux commercial.

En Asie, la politique étrangère de Joe Biden sera en continuité de celle de l’administration Obama-Biden faisant du Pacifique la priorité, le pivot, des efforts diplomatiques. En atteste la nomination de vétérans de l’administration Obama :

  • Antony Blinken qui avait été l’architecte de la stratégie de « Pivot Pacifique » pour Obama comme secrétaire d’État, équivalent français du ministre des Affaires étrangères ;
  • Jake Sullivan, désigné comme conseiller à la Sécurité nationale (NSC) ;
  • Laura Rosenberg, réputée comme tenant d’une ligne dure, comme chargée de la Chine au sein du NSC ;
  • Et Katherine Tai, Américaine d’origine taïwanaise, au poste de Représentante du Commerce des États-Unis, donc entre autres, chargée des négociations commerciales avec la Chine.

La Chine est un rival systémique des États-Unis et le futur Président ne sera pas moins intransigeant sur l’exigence de respect des règles internationales en matière de propriété intellectuelle, de commerce, de droit international, refusant les prétentions chinoises sans droit en Mer de Chine. Mais, foin de gesticulations, sa capacité à infléchir la superbe du président Xi Jinping ne peut que reposer sur deux réalités :

  • Un leadership économique et technologique américain réassuré ;
  • Et la coalition autour de l’Amérique restaurée des pays inquiets de l’hégémonisme régional chinois, des alliés historiques, Australie, Nouvelle-Zélande, Japon, Corée du Nord, mais aussi Inde et Vietnam. Joe Biden et Kamala Harris useront du droit d’ingérence pour défendre les minorités brimées, ouïgoures et tibétaines en Chine, musulmanes en Inde, Rohingyas en Birmanie, notamment.
Le facteur CoVid-19

La prolongation de la pandémie dans les pays occidentaux constitue un obstacle immédiat majeur à la réaffirmation de l’influence des États-Unis d’Amérique dans l’ordre mondial, car le découplage promis par Donald Trump des économies occidentales n’a pas eu lieu et n’aura pas lieu.

La Chine est devenue le premier moteur de croissance mondiale. Malgré les affirmations des autorités chinoises de vouloir rééquilibrer la part du commerce international par celle de la consommation intérieure, selon le mot d’ordre maoïste de « double circulation », le marché chinois reste une cible majeure de croissance occidentale. La Chancelière allemande Angela Merkel l’a dit sans ambiguïté. Consciente de cette pression — de croissance —, elle a pesé tout son poids politique européenne pour finaliser l’accord Chine-UE sur les investissements, malgré les prudences américaines à ce sujet.

Henry Kissinger a déclaré en janvier 2021, lors d’un colloque sur les perspectives des relations USA-Chine, qu’« il fallait apaiser cette époque ou un conflit entre les deux puissances déchirait le monde par une nouvelle approche de l’idée d’influence globale ». L’Amérique de Joe Biden n’entend pas redevenir le gendarme du monde, mais l’incarnation des valeurs de progrès et de démocratie. Un agenda sur lequel, nul doute, la France le rejoindra.

Welcome back America !

 

Par Christophe Stener, ancien élève de l’ENA, enseigne la géostratégie à l’Université Catholique de l’Ouest. Auteur de « La chute du califat islamique de Daech, une victoire sans la paix » (BoD,2019).


L’illustration de Une : Par © Yuan Jai, artiste taïwanaise, née en 1941 à Chongqing (Sichuan), en Chine continentale.

Le père de Jai Yuan, militaire et lettré, est proche de Tchang Kaï-chek et la famille déménage à Taiwan en 1947. Elle étudie la peinture chinoise au département beaux-arts de l’université Normale Nationale de Taïwan, puis l’histoire de l’art et la restauration à l’université de Louvain et à l’Institut royal du patrimoine artistique, à Bruxelles.

De retour à Taiwan après des études complémentaires au British Museum et dans diverses institutions américaines, elle travaille au département de restauration – dont elle deviendra directrice – au Musée national du palais de Taipei pendant trente ans avant de se consacrer à sa pratique artistique.

Elle vit et travaille à Taïwan avec son mari le cinéaste Richard Yao-Chi Chen, maître de la Nouvelle Vague taïwanaise.

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Le titre et les intertitres de l’article sont de la rédaction.


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