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Tension et enjeux en mer de Chine méridionale vus du Canada — L’interview du Pr. Yann Roche, UQAM / CETASE

La « mer de Chine » restait loin de l’Occident. Très lointain pour l’homme de la rue, qu’il soit à Paris ou à Montréal. Tout au plus, il la voyait en plage de sable blanc paradisiaque bordée de cocotier quelque part en Asie-Pacifique. L’image n’est pas fausse mais elle commence à changer. Le dernier développement en mer de Chine méridionale y contribue. La Chine intensifie la construction sur les îlots des infrastructures artificielles à but  militaire. Les Etats-Unis, désormais plus démonstratifs, montrent un peu plus les dents à la Chine. Quid de l’intérêt du Canada ?

Une interview du Pr. Yann Roche, Centre de recherche sur l’Asie (CETASE) de l’université du Québec à Montréal (UQAM).

Comment et jusqu’où, la question « mer de Chine » intéresse t-elle le milieu politique canadien — québécois et fédéral —, le milieu économique et de façon générale, l’opinion publique du Canada ?

Pr. Yann Roche (YR) : L’opinion politique canadienne est en fait très peu au courant du dossier, le milieu politique canadien et québécois l’est un peu plus, mais on en parle en fait très peu. Comparativement, la controverse en mer de Chine orientale est un peu plus connue, du fait de l’opposition Chine-Japon qu’elle représente.

Existe t-il une doctrine propre au Canada — niveau gouvernemental fédéral— dans la façon de gérer, d’apaiser les tensions en mer de Chine orientale et méridionale ? Son point de vue, sa position ?

YR : Le gouvernement du Canada est plutôt discret sur ces questions. Il n’est pas a priori favorable à la Chine mais il considère la question comme très peu prioritaire, à ma connaissance. Il faut préciser que l’appellation « Mer de Chine Méridionale » couramment utilisée en Occident, n’est pas une reconnaissance des prétentions chinoises sur cet espace.

Certains experts parlent de pétrole et d’autres ressources naturelles plus ou moins cachés, d’autres parlent de voie stratégique, selon vous, quelles sont les véritables raisons des disputes territoriales en mer de Chine méridionale ?

YR : La question des réserves en hydrocarbures demeure sujette à questionnement, les experts chinois étant très optimistes quant aux réserves disponibles et les experts occidentaux beaucoup plus partagés à ce sujet. Il est clair que la dimension stratégique est primordiale, de même que les considérations économiques (ressources halieutiques, pétrole, gaz) mais c’est aussi devenu une question de ne pas perdre la face, les arguments rationnels n’ont donc plus forcément préséance.

Selon vous, quels sont les véritables enjeux, les intérêts dans cette mer pour la Chine ?

YR : Pour la Chine, il s’agit clairement de s’affirmer face à ses rivaux régionaux —Vietnam et Philippines notamment —, mais aussi face aux États-Unis. Certains parlent, concernant les ressources pétrolières et gazières, d’un Syndrome de l’Alaska, c’est-à-dire la crainte de renoncer à d’éventuelles richesses dont l’existence n’est que potentielle. Faire de la mer de Chine une mer « intérieure » chinoise est un enjeu évident, lié à un contrôle, même symbolique, du trafic maritime qui transite par cet espace, et le développement de la base de Sansha sur Hainan et le lancement du porte-avions Liaoning vont dans ce sens. Cette vision oppose Pékin à Washington, les États-Unis tenant fermement à préserver le statut international de cette voie. Il ne faut pas non plus négliger les ressources halieutiques, importantes pour les Chinois comme pour les Philippins, et à un certain degré pour les Vietnamiens. Le prix actuel du pétrole rend peut être l’enjeu énergétique un peu moins fondamental, mais le développement économique chinois ne peut se passer de la moindre opportunité d’un approvisionnement domestique.

La Chine a publié la carte des neuf traits définissant sa souveraineté en mer de Chine méridionale, selon vous, la Chine dispose t-elle suffisamment d’arguments historiques et juridiques afin de pouvoir revendiquer ladite souveraineté ?

YR : Les preuves historiques considérées comme incontestables par Pékin sont contestées par beaucoup d’observateurs, et même s’il y avait preuve de découverte initiale par des Chinois, cela ne signifie pas aux termes de la loi sur le droit de la mer que ces archipels leur appartiennent. A ce titre là, et en poussant le raisonnement à l’extrême, la Lune appartient aux États-Unis. Mais ce que plusieurs chercheurs étrangers notent, c’est que même si certains îlots étaient reconnus comme appartenant à la Chine, cela ne justifie pas, vues leurs dimensions parfois infimes, de leur attribuer  une Zone d’Exclusivité Économique. On peut donc dire objectivement que la ligne aux Neuf traits a donc très peu de validité aux yeux des gens en dehors de la Chine. Un autre argument historique souvent apporté par les Chinois est que Pham Van Dong a reconnu, en plein conflit Nord-Sud, que les Chinois avaient raison dans leurs revendications sur les archipels de la mer de Chine. Argument de temps de guerre, d’une assez faible valeur juridique.

Les tensions perdurent et les négociations se trouvent loin des tables. La Chine construit sans relâche des infrastructures sur les îles et îlots disputés. Qu’en pensez-vous de cela ?

YR : Il est clair que la Chine met beaucoup d’emphase sur la question, en fait une question nationale. Un élément évident est que notamment dans les Paracels, tout est fait — Sansha, devenue capitale administrative pour toute la mer de Chine, développement touristique dans cet archipel — pour pouvoir ultérieurement dire qu’il y a eu occupation pacifique et continue sur une longue période, validant la revendication. A ce titre là, la RPC recherche quand même une approbation internationale qu’elle n’aura pas.

Selon vous, que devraient faire la Chine et les autres pays comme le Vietnam, les Philippines pour régler ces disputes ?

YR : La Chine ne veut pas entendre parler d’autres types de négociations que bilatérales. La seule solution passerait toutefois par un arbitrage international avec tous les protagonistes.

Que pensez-vous de l’attitude du Vietnam — jugée par beaucoup — « timorée » et — par d’autres — « équilibriste » face aux revendications chinoises ? Bonne stratégie ? Ou fausse route ?

YR : Le Vietnam ne peut pas prendre de front le Chine. Il peut marquer son territoire et maintenir ses acquis mais il n’est pas de taille à résister en cas d’offensive éventuelle. Son alliance de fait actuelle avec les États-Unis est moins solide que celle des Philippines et le gouvernement doit faire attention à ne pas se faire déborder par son opinion publique qui est chauffée à blanc comme en témoignent les violences anti-chinoises de mai 2014. Il doit être ferme mais ne pas se laisser entraîner à des dérapages, car les navires chinois impliqués sont le plus souvent civils, le Vietnam pourrait facilement apparaître comme l’agresseur.

En tant que Canadien, vous devriez certainement connaitre bien les Etats-Unis. Que pourraient contribuer (ou non) les États-Unis au règlement éventuel des revendications des uns des autres ? Et le Canada ?

YR : Les États-Unis pourraient contribuer indirectement mais sans doute pas directement. Ils ne le veulent pas non plus, semble t-il pour le moment. Peut-être en stabilisant l’ASEAN, c’est-à-dire en contrebalançant les aides chinoises sur certains pays qui en font les alliés de Pékin et affaiblissent l’ASEAN. La Chine a tout intérêt à maintenir ses relations avec l’ensemble de l’ASEAN, mais aussi à diviser pour régner. La seule option raisonnable de Washington serait d’aider dans le premier cas, et de contrarier le 2e. Le Canada — les politiques — ne se sent pas beaucoup concerné par la région pour le moment.

Quelles sont vos conclusions ?

YR : Mes conclusions étaient que la situation est tendue, dangereuse, et que les acteurs n’agissent pas dans le sens du relâchement de la tension. Elles étaient peu optimistes quant à la volonté de Xi Jinping de lâcher du lest, et les derniers évènements — construction d’îles — vont dans ce sens. Seuls des accords du style Oslo — pas forcément un exemple d’efficacité —  pourraient aider à débloquer, au moins en partie, la situation.

© Vo Trung Dung.

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