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Donald Trump et Kim Jong-un par Hoang Dinh (Vietnam). Tous droits réservés.

Sommet #TrumpKim au Vietnam : La paix attendra encore

Le sommet pour la dénucléarisation de la Corée du Nord s’est terminé sans résultat concret. Pas d’engagement de part et d’autre sur la dénucléarisation totale et la levée des sanctions, totale aussi. S’agit-il de l’échec ou du prélude à un futur accord ?

Le président américain Donald Trump et le président de la Corée du Nord Kim Jong-un se sont quitté à Hanoi, Vietnam, sans parvenir à quelque chose de commun visant à dénucléariser la péninsule coréenne et à lever — en suite logique — embargo strict et larges sanctions à l’encontre de Pyongyang. Ils ont parlé aussi de la fin formelle de l’état de guerre — depuis 1953 — en Corée, du retour des inspecteurs sur les sites nucléaires et d’ouverture de bureaux de liaison dans les deux capitales.

Le déjeuner annulé, la cérémonie de clôture oubliée, les deux chefs d’État ont mis fin à leur rencontre de façon abrupte. Chacun est parti de son côté. Bouderie et conséquence. Air Force One a décollé tout de suite après la conférence de presse du locataire de la Maison Blanche. Quant à Kim Jong-un, il reste à son hôtel avant d’entamer officiellement la visite d’État au Vietnam du 1er au 2 mars 2019.

Qu’était-il passé ? La question taraude les experts, mais aussi les journalistes présents à Hanoi pour suivre le sommet de près.

Marianne Peron-Doise, chercheuse à CERI-Science-Po Paris et à l’IRSEM commente l’après-sommet pour Asie Pacifique News : « je suis la première à être surprise. Je pensais que les deux parties allaient s’entendre à minima sur une « déclaration de paix » et la poursuite du moratoire nord-coréen sur les tirs de façon à donner du temps au temps et permettre de conduire les négociations sur les dossiers les plus complexes à dénouer comme la dénucléarisation. Je m’attendais aussi à un relatif desserrement des sanctions sous couvert humanitaire et au moins à la reprise d’une coopération économique Intercoréenne sur la base des initiatives passées — réactivation du site industriel de Kaesong et reprise des visites familiales « nord-sud » de Kumgang — tout en sachant qu’elles n’avaient rien de nouveau… »

La levée intégrale des sanctions, le point de la discorde selon la Maison Blanche.

Dans les salons luxueux de l’hôtel Métropole, Donald Trump et Kim Jong-un étaient en tête à tête. Le président américain a dit que le numéro un nord-coréen « voulait une levée intégrale des sanctions. En contrepartie, il promettait d’ouvrir le site nucléaire Yongbyon aux inspections bipartites, ainsi que le gel de son programme de développement nucléaire. »

Donald Trump jugeait les propositions de la Corée du Nord insuffisantes. Le président américain voulait l’inventaire complet de tous les sites, du nombre des bombes, des missiles à tête nucléaire et leurs emplacements. Poussé par ses conseillers, en particulier John Bolton, il voulait aussi le recensement des armes chimiques et biologiques. Le président Donald Trump aurait proposé à Kim Jong-un des concessions. Il n’exige plus du tout la destruction totale et immédiate des armes atomiques, mais un calendrier et il ne demanderait pas des sanctions supplémentaires.

Plus tard, Donald Trump a déclaré qu’il « faut parfois quitter les négociations » et que « ce n’était qu’une de ces occasions ». Ensuite, « Ils étaient disposés à procéder à une dénucléarisation […], mais nous ne pouvions pas abandonner toutes les sanctions. […] Ce n’était pas approprié. » Une position ferme tout en rappelant que la Corée du Nord avait « libéré des otages [américains] » et n’avait pas « réalisé d’essais » balistiques et nucléaires depuis l’automne 2017.

La riposte médiatique nord-coréenne

Afin de répondre aux explications de Donald Trump sur la raison du « non-résultat » du sommet, la délégation nord-coréenne a organisé dans la foulée une…conférence de presse à minuit (heure de Hanoi) dans leur hôtel, le Melia. C’était une première !

Devant une salle assez clairsemée de journalistes prévenus à la dernière minute, le ministre nord-coréen des Affaires étrangères Ri Yong Ho a affirmé : « la Corée du Nord n’avait demandé qu’une levée partielle des sanctions liées aux moyens de subsistance de la population et sans rapport avec des sanctions militaires ».

Il a poursuivi : « la Corée du Nord avait présenté une proposition réaliste impliquant le démantèlement de l’ensemble de son principal site nucléaire à Yongbyon, y compris les installations de plutonium et d’uranium, par des ingénieurs des deux pays (…/…) C’est la plus grande mesure de dénucléarisation que nous puissions prendre sur la base du niveau actuel de confiance entre les deux pays. »

Le poker menteur, ni vrai gagnant ni vrai perdant

Alors, qui dit la vérité ? Donald Trump et Kim Jong-un sont tous les deux d’excellents joueurs du poker menteur. La vérité ou les demie-vérités se trouvent à mi-chemin entre toutes ces affirmations.

En attendant, le président américain semble ne pas avoir les mains vraiment libres pour négocier avec Kim Jong-un. Il est entravé par l’affaire judiciaire en cours de Michael Cohen, ancien avocat de Donald Trump, et par les fortes critiques de l’attitude conciliante du président Trump vis-à-vis de Kim sur l’affaire d’Otto Warmbier, un étudiant américain décédé après 18 mois de détention en Corée du Nord pour le vol d’une affiche de propagande lors d’un voyage organisé.

À Kim Jong-un, l’occupant de la Maison Blanche veut ainsi paraitre ferme et décisif sur l’issu de la dénucléarisation nord-coréenne. De surcroit, si le site atomique de Yongbyon est le plus connu, car déjà ouvert aux inspecteurs internationaux, il n’est pas le seul site du programme nucléaire nord-coréen et la dénucléarisation complète de la Corée du Nord pouvait prendre entre 19 et 20 ans voire plus. Alors, Donald Trump aurait raisonné de cette manière : pourquoi faut-il donner à Kim des cartes en avance des résultats très partiels à court terme, à un long terme si lointains et peut-être incertain ?

À ce stade, Donald Trump, conseillé par Mike Pompeo et John Bolton, a probablement raison de maintenir la pression afin d’obtenir plus tard beaucoup plus de Pyongyang.

Quant au président nord-coréen, il ne pouvait pas non plus donner plus à Washington. Le fait de donner davantage minerait son prestige et aussi sa « légitimité » construite sur la menace extérieure, en particulier celle venant d’Amérique. La potentialité atomique de la Corée du Nord reste son seul levier de négociation avec la communauté internationale. Le non-résultat du sommet de Hanoi est en quelque sorte un échec pour Kim Jong-un en rentrant les mains vides. Les Nord-Coréens espéraient une levée même partielle des sanctions afin de pouvoir « respirer » un peu.

Alors, l’espoir du sommet de Hanoi était-il réellement douché par la mauvaise volonté des États-Unis ? La réponse est non. Le président Kim Jong-un était habile dans ses concessions, mais Donald Trump l’était encore.

La Corée du Nord, via son ministre des affaires étrangères Ri Jong-ho, affirmait avoir demandé seulement la levée des sanctions à caractère humanitaire : « dans le détail, nous avons proposé aux États-Unis de lever cinq résolutions de sanctions votées à l’ONU entre 2016 et 2017, celles qui étouffent notre économie et la vie de notre population, sur un total de onze résolutions votées par l’ONU depuis 2006 »

Les sanctions historiques comprennent l’armement et les produits du luxe qui ne pénalisent pas tellement le pays.

En réalité, les 5 sanctions — les plus récentes — évoquées par le ministre Ri Jong-ho sont les plus durs et essentielles pour l’économie nord-coréenne. Elles concernent les énergies — pétrole brut et raffiné, gaz naturel, charbon —, l’exportation et l’importation du textile, des tissus et des vêtements, et enfin l’exportation de la main-d’œuvre majoritairement vers la Chine, la Russie, le Proche et le Moyen-Orient. Donald Trump n’en était pas dupe.

La déception du président sud-coréen Moon Jae-in et le soulagement du Japon

Le fait que Donald Trump entame les négociations avec Kim Jong-un sans associer de façon visible la Corée du Sud et le Japon est une erreur stratégique des États-Unis. Car la situation nord-coréenne concerne directement ces deux pays.

Le président de la Corée du Sud Moon Jae-in, qui se tenait prêt à annoncer sa nouvelle politique intercoréenne dès la fin du sommet de Hanoi, dit « être déçu » de l’absence d’accord.

En revanche, Tokyo se sent soulagé. Le Premier ministre japonais Shinzo Abe redoutait plus que tout un accord trop favorable à la Corée du Nord. De hauts responsables politiques japonais se sont immédiatement félicités de la décision de Donald Trump de ne pas conclure d’accord avec la Corée du Nord cette fois-ci.

« Le président américain n’a pas fait de concession et a en même temps décidé de promouvoir des pourparlers constructifs et d’exhorter la Corée du Nord à prendre des mesures concrètes. Je soutiens pleinement cette décision du président Trump », a déclaré le 28 février 2019 le Premier ministre Shinzo Abe.

Le sommet de Hanoi a pris fin. Le dialogue continuera. Et le processus de paix se trouve déjà en chemin. Il y aura surement un autre sommet qui devrait réunir non seulement Washington et Pyongyang, mais aussi Séoul, Tokyo, Moscou et Pékin.

Par Vo Trung Dung (de Hanoi, Viêt-Nam)

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Dessin de la Une pour Asie Pacifique News est de  l’artiste Hoang Dinh (Hoàng Đăng Định). Né en 1953, Hoang Dinh est peintre, graphiste, illustrateur, designer, enseignant. Actuellement, il vit et travaille à Hanoi, Viêt-Nam.

Dessin © Hoang Dinh. Tous droits réservés – All rights reserved.

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