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2017 Flotte US Navy dans le Pacifique — Crédit photo © US NAVY

Asie du Nord-Est : Un autre foyer de crise

Alors que le monde se préoccupait des incursions agressives chinoises en Mer de Chine méridionale, un autre foyer de feu se développe en Asie du Nord-Est et menace d’entraîner la région dans une guerre totale autour des provocations de la Corée du Nord. Tandis que Donald Trump semble en pleine hésitation stratégique.

Malheureusement, en dépit de l’omniprésence des Etats-Unis dans la région, les principaux pays concernés, à savoir la Chine, le Japon et la Corée du Sud, sont profondément divisés entre eux, et ne sont pas en mesure d’opposer un front uni et résolu face à une Corée du Nord belligérante et armée jusqu’aux dents en missiles balistiques et en arme nucléaire au mépris des sanctions des Nations Unies. L’élection aux Etats-Unis du Président Trump ne fait que rendre la situation encore plus dangereusement imprévisible.

Corée du Nord

Depuis la Guerre de Corée, la Corée du Nord est sous l’emprise totalitaire de la dynastie héréditaire communiste Kim. Pendant longtemps, elle a représenté une menace d’abord à son frère-ennemi de la Corée du Sud démocratique, les deux Corée partageant le même objectif de réunifier la péninsule chacune à sa convenance. La menace du Nord est tant bien que mal contenue jusqu’ici par une forte présence militaire américaine dans la région.

En dépit de la protection de son unique allié, la Chine, le régime Kim a toujours été hanté par une paranoïa sécuritaire face à l’Amérique, persuadé que cette dernière cherche sa destruction. Déterminé à ne pas répéter les erreurs fatales de Kadhafi de la Libye et de Saddam Hussein de l’Irak, il s’est acharné à se doter d’un statut de « puissance nucléaire » afin de se mettre sur un pied d’égalité stratégique avec les Etats-Unis. Avec un tel statut, il espère forcer les Américains à le prendre au sérieux dans une éventuelle négociation sur l’avenir de la Péninsule coréenne.

Ce souci a amené le régime à une aventure dangereuse de développement d’armes nucléaires et de missiles intercontinentaux susceptibles d’atteindre l’Amérique. Un effort somme toute futile jusqu’ici car il a été généralement ignoré par les administrations successives à Washington qui refusent en principe tout dialogue direct sous le chantage.

Depuis son « accession au trône » de la dynastie en 2011, Kim Jong-Un, jeune dictateur de la 3e génération, a davantage accentué l’orientation belligérante de son père et de son grand-père en perfectionnant son arsenal de missiles intercontinentaux et d’armes nucléaires au point d’inquiéter profondément non seulement la Corée du Sud voisine, mais aussi l’ensemble de la communauté internationale dont notamment le Japon et les Etats-Unis.

Les missiles nord-coréens couvrent désormais les nombreuses bases militaires américaines au Japon. Le Japon a eu un coup de frayeur lorsque, avec les derniers tirs effectués en février, les Nord-Coréens ont envoyé avec précision 4 missiles dans les eaux de la zone économique exclusive (ZEE) japonaise, pas loin de l’une des bases américaines.

Avec ses missiles et son arsenal nucléaire de plus en plus sophistiqués, ainsi que ses rhétoriques belligérantes tous azimuts, Kim Jong-Un s’impose désormais comme la menace numéro un en Asie, ayant forcé l’Amérique de Trump à sortir de son isolationnisme proclamé pour envisager sérieusement des frappes militaires.

Si Kim continue ainsi, de deux choses une : Soit il parvient à forcer les Etats-Unis à reconnaître son statut de puissance nucléaire et à discuter avec lui de la sécurité de son régime, ce qui paraît très peu probable; Ou il se fait anéantir sous une déluge de foudre militaire américain, cette dernière option semblant tenter de plus en plus l’administration Trump qui commence à rassembler une armada autour de la péninsule. Reste à savoir si la Chine parviendra à dissuader son protégé de davantage d’aventures suicidaires.

Dilemme chinois

Unique allié de la Corée du Nord depuis la Guerre de Corée, la Chine est depuis plusieurs années soumise à une forte pression internationale pour qu’elle joue de son influence privilégiée sur son « petit frère » indiscipliné pour le ramener à la raison, c’est-à-dire l’obliger à respecter les sanctions des Nations Unies et à abandonner son programme nucléaires et de missiles balistiques, le tout dans l’objectif final d’une dénucléarisation de la péninsule.

Aspirant à être une « puissance responsable », la Chine, premier fournisseur de pétrole à la Corée du Nord et premier client de son charbon, n’est pas sans la volonté ni les moyens de faire fléchir son protégé. D’ailleurs, Pékin ne cache plus son irritation devant le comportement de Pyongyang.

Or, en même temps, la Corée du Nord représente pour Pékin une « zone tampon » stratégique vitale entre la Chine communiste et les démocraties — Corée du Sud, Japon — dirigées par les Etats-Unis. La direction chinoise craint ainsi qu’une pression trop forte sur Pyongyang ne provoque l’effondrement de cette dictature et donc la disparition de ce « tampon ». Un tel effondrement du régime nord-coréen promet d’être chaotique et entraînerait une vague incontrôlable de réfugiés vers la Chine, une nouvelle guerre coréenne qui n’épargnera pas la Chine et une réunification « modèle allemand » de la péninsule sous les couleurs de la Corée du Sud démocratique et donc des Etats-Unis, conduisant au spectre indésirable d’une présence militaire américaine à la frontière sino-coréenne. Bref, aux yeux de Pékin, des scénarios cauchemar à éviter à tout prix.

C’est ainsi qu’au lieu de faire pression sérieuse sur son protégé, la Chine a tenté d’organiser un règlement négocié du « problème nucléaire » nord-coréen par une série de pourparlers entre les six parties concernées — Chine, USA, Russie, les deux Corées et le Japon — avec l’espoir d’aboutir à une dénucléarisation de la péninsule. Ces pourparlers à Six à l’initiative chinoise sont cependant suspendus depuis 2009 lorsque Pyongyang, dans un premier geste d’insoumission à la Chine, a claqué la porte pour reprendre son programme nucléaire.

C’est d’ailleurs là l’autre dilemme de la Chine. Après des années de résistance au sein de l’ONU à l’adoption de sanctions sévères contre son protégé, la Chine voit la Corée du Nord échapper progressivement à son contrôle notamment depuis l’avènement de Kim Jong-Un en 2011. Le jeune dictateur a froidement exécuté les éléments prochinois au sein de son régime et a multiplié les tests nucléaires et de missiles en défiance totale des « conseils » de la Chine.

C’est dans ce contexte que la Chine, à bout de patience, s’est résignée depuis 2016 à voter elle aussi pour les nouvelles sanctions de l’ONU à la suite de nouvelles provocations — essais nucléaires et tirs de missiles — par Kim. De toute évidence, tout « amour entre frères d’armes » a disparu entre les deux pays et la soi-disant « influence privilégiée chinoise » sur la Corée du Nord n’est plus qu’un mythe du passé.

Ceci dit, Pékin dispose encore de formidables moyens de pressions sur son voisin récalcitrant dont l’économie dépend profondément de la Chine. Tant que la Chine se garde de déployer ces « grands moyens » de peur de provoquer l’effondrement tant redouté du régime, les Etats-Unis et les pays de la région continuent à considérer qu’elle a encore un effort à faire auprès de son « protégé ».

Alliance tripartite USA-Japon-Corée du Sud

Face à cette Corée du Nord belligérante — et aussi à la Chine communiste, — les Etats-Unis entretient depuis la guerre froide une alliance militaire avec le Japon et la Corée du Sud. Or cette alliance montre ces derniers temps des signes de discorde.

  • Corée du Sud

Les deux Corée sont toujours théoriquement en état de guerre, avec d’occasionnelles escarmouches militaires limitées mais meurtrières. En cas de conflit ouvert sur la péninsule, Séoul, capitale densément peuplée du Sud, sera soumise à un meurtrier barrage d’artillerie et de missiles nord-coréens.

Constamment soumise à la menace belligérante du Nord, la Corée du Sud démocratique, au fur et à mesure d’alternances gouvernementales, a vacillé entre la réconciliation et la confrontation.

Pour des raisons essentiellement économiques mais aussi dans l’espoir de trouver un règlement avec le Nord par l’intermédiaire de Pékin, le dernier gouvernement sud-coréen de la Présidente Park Kung-Hee a entrepris avec la Chine un rapprochement rapide lequel est vu par Washington et Tokyo comme un affaiblissement sensible de l’alliance anti-communiste.

D’ailleurs, ce rapprochement avec la Chine est soumis à une rude épreuve ces derniers mois. Pour se parer aux missiles nord-coréens, Seoul a décidé d’introduire sur son territoire le système sophistiqué de bouclier antimissile américain THAAD. La décision déclenche la colère et des représailles commerciales de Pékin pour qui THAAD permettra aux Américains de « voir », au-delà de la Corée du Nord, les mouvements militaires en territoire chinois.

Depuis février, la Corée du Sud traverse une tempête politique avec la destitution en mars de Mme Park et la perspective probable d’élection en mai d’un nouveau président libéral, avocat d’une approche plus souple et conciliatoire envers Pyongyang. Une telle attitude d’apaisement unilatérale risque d’affaiblir davantage l’alliance tripartite menée par les Etats-Unis.

  • Japon

Le Japon a une position particulière dans cette crise nord-coréenne. En principe, le pays à la Constitution pacifiste — qui limite son armée à la stricte défense défensive — ne présente aucune menace directe pour la Corée du Nord. Mais le Japon a une forte communauté d’immigrés nord-coréens loyale à Pyongyang, et un dossier inextricablement épineux de trentaine de ressortissants nippons kidnappés depuis quatre décennies par le régime Kim.

Par dessus tout, en tant qu’allié stratégique des Etats-Unis, le Japon est hôte à de nombreuses bases militaires américaines lesquelles, en cas de conflit, seront nécessairement les cibles des Nord-Coréens, soulevant la possibilité effrayante de voir une pluie de missiles sur le territoire nippon. La peur atteint un tel niveau que le gouvernement japonais, en dépit de son principe de « défense défensive », envisage la possibilité de « frappe préventive » de bases de missiles nord-coréennes.

D’ailleurs, le gouvernement japonais de M. Abe exploite à fond cette peur de la Corée du Nord en faveur de son propre agenda de réarmement du Japon. La récente décision de stopper tout le réseau de métro de Tokyo au premier signe d’un test — échoué — de missile nord-coréen témoigne du degré de la démagogie côté nippon. Or, considérant que la communauté de Nord-Coréens au Japon constitue une importante source de devise étrangère pour Pyongyang, il est douteux que ce dernier cherche véritablement à attaquer le Japon sauf en cas de représailles suscitées par une attaque américaine.

La solidarité de l’alliance tripartite souffre surtout d’un facteur historique particulier imputable au Japon. Sous la direction d’un premier ministre ultra-nationaliste et révisionniste qui tente de nier tout caractère d’agression et d’atrocité de la conquête militaire de l’Asie par le Japon impérial d’avant 1945, le Japon s’est mis à dos tous ses voisins — Chine, les deux Corée — qui étaient victimes de ces agressions. L’émotion populaire antijaponaise est particulièrement véhémente en Corée du Sud, au point qu’elle empêche une collaboration stratégique efficace entre les deux alliés face à la menace du Nord. Par exemple, alors que Pyongyang multipliait tirs de missiles et essais nucléaires, les diplomates japonais et sud-coréens s’évertuent à débattre si le Japon impérial pendant la guerre mondiale avait ou non forcé des jeunes Coréennes à se prostituer pour les soldats japonais.

De même, alors que le premier ministre japonais s’accorde à maintes reprises avec le Président Trump sur l’importance des pressions chinoises sur Pyongyang, il n’a pas été possible pour Abe de décrocher le téléphone et le dire de vive voix à Xi, tellement les relations sino-japonaises demeurent tendues à cause de cette querelle sur le négationnisme nippon.

  • Etats-Unis

La situation est rendue encore plus opaque par l’élection aux Etats-Unis de Donald Trump, non moins imprévisible et impulsif que le jeune dictateur à Pyongyang.

Depuis la guerre froide, les administrations américaines successives, notamment dans les années 1990, ont à maintes reprises tenté de négocier avec Pyongyang pour l’amener à abandonner son programme nucléaire militaire en échange de l’aide internationale pour son programme de nucléaire civil. Les accords ont cependant échoué essentiellement dû aux revirements successifs des Nord-Coréens qui sont finalement retournés à leur programme nucléaire militaire. Suite à l’administration Bush qui ne cachait pas son hostilité à Pyongyang et son intention de « changer le régime Kim », l’administration Obama a suivi une politique de « patience stratégique » consistant à attendre que Pyongyang s’assouplie un jour sous la pression des sanctions de l’ONU.

Donald Trump, quant à lui, a depuis avant son élection préconisé une approche ambivalente concernant la Corée du Nord. Tout en critiquant le comportement de Pyongyang, le Candidat Trump n’excluait pas de « dialoguer avec Kim », ce qui aurait constitué un revirement de la position américaine.

Une fois entré à la Maison Blanche et rattrapé par la réalité, le Président Trump a pris une nouvelle conscience de la « menace Kim ». D’ailleurs, comment pouvait-il faire autrement puisque le jeune dictateur s’est obstiné à le provoquer avec des tirs de missiles chaque fois que Trump recevait un dirigeant de l’Asie : d’abord en février pendant la visite du premier ministre japonais, et puis en avril à la veille du sommet américano-chinois en Floride ?

Ainsi, avec son potentiel désormais très réel de frapper l’Amérique continentale dans un avenir proche, la Corée du Nord a réussi à s’imposer au nouveau président américain comme la « première menace directe pour les Etats-Unis ». Lors du sommet américano-chinois de mars, Trump a avertit la Chine que si elle ne parvenait pas à faire plier Pyongyang, « l ‘Amérique s’en occupera seule ».

Par ailleurs, dans un geste largement interprété comme une démonstration à l’intention du président chinois de la détermination américaine, Trump a lancé sa fameuse attaque aux missiles contre la Syrie en plein banquet d’Etat en l’honneur de Xi Jinping. Pour s’assurer que Chine et Corée du Nord ont bien reçu le message, l’Amérique a appuyé l’avertissement avec l’envoi d’une armada navale au large de la péninsule coréenne, prête à « passer à l’action » si Kim entreprend un autre essai nucléaire.

Cette pression militaire américaine semble avoir eu quelques effets à ce jour. D’une part, la Chine annonce avoir stoppé l’importation de charbon nord-coréen, coupant ainsi une source importante de revenu du régime Kim, tout en menaçant de couper l’approvisionnement vital du pétrole à son voisin. Simultanément, Pékin tente de faire comprendre à Kim que s’il renonçait à son programme nucléaire, la Chine se porterait garante de sa sécurité et du développement économique de son pays.

Et maintenant ?

Au moins à date du 2 mai, Pyongyang semble avoir renoncé à un nouveau et 6ème essai nucléaire lequel, il semble l’avoir compris, aurait franchi la « ligne rouge » fixée par les Américains. En outre, le régime Kim annonce la création d’une « Commission de la politique étrangère », traduisant apparemment une volonté de rechercher une sortie diplomatique de la crise.

De son côté, Trump semble lui aussi avoir compris qu’à la différence de la Syrie qui n’avait pas le moyen de riposter, la Corée du Nord dispose d’un puissant potentiel de représailles et qu’une frappe même limitée de ce pays risque la perte de centaines de milliers de vies américaines, sud-coréennes et japonaises. D’où une insistance croissante du président américain sur la diplomatie, notamment sur l’effort chinois de persuasion auprès de Pyongyang. Washington fait par ailleurs savoir qu’elle ne cherche plus le « changement de régime » à Pyongyang.

Cependant, cet effort diplomatique risque fort de voir ses effets atténués par l’entrée en jeu d’un acteur de poids. Alors que la Chine menace de couper l’approvisionnement en pétrole à la Corée du Nord, on apprend que celle-ci a trouvé un nouveau fournisseur en la Russie. Après la Syrie, la Russie de Vladimir Poutine, qui prend souvent partie en faveur de Pyongyang au sein du Conseil de Sécurité de l’ONU, s’invite donc dans la crise géopolitique en Asie et promet de compliquer davantage la résolution de cette crise.

Avec l’armada américaine au large de la péninsule et les deux parties américaine et nord-coréenne au pied de guerre, la situation demeure toujours tendue et explosive, surtout quand on considère le tempérament imprévisible aussi bien de Trump que de Kim.

L’ensemble de l’Asie du Nord-Est, à commencer par le Japon et la Corée du Sud qui essuieront les premiers bains de sang dans un éventuel conflit, retient son souffle en espérant qu’aucun des deux leaders impulsifs ne dégaine trop vite…

Enfin, il convient d’ajouter que, dans leur empressement à « dénucléariser » la Corée du Nord, les Etats-Unis et la Chine partagent ironiquement une préoccupation commune de ne pas laisser la crise nord-coréenne pousser le Japon et la Corée du Sud à recourir eux aussi à l’armement nucléaire. Une telle éventualité lancerait la région dans une course incontrôlable à l’armement nucléaire, d’autant plus que Tokyo et Séoul semblent y être de plus en plus tentés.

 

Par Yo-Jung CHEN, ancien diplomate français à la retraite. Né à Taïwan, il a fait ses études supérieures au Japon avant de devenir citoyen puis diplomate français. Il a été en poste à Tokyo, Los Angeles, San Francisco, Singapour et Pékin. Le suivre sur son fil Twitter @YoJungChen

 

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