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Utagawa Hiroshige, 'Magohachi Takenouchi; Japan Bridge (Nihonbashi),' (detail) c. 1833-1834, woodblock print on paper, Gift of Dr. and Mrs. James B. Austin

Le Japon face au Brexit : vers une fuite des capitaux

#Japon et #Brexit. Les entreprises de l’automobile japonaise installées au Royaume-Uni ont donné le ton : l’avenir s’annonce incertain pour elle dans le pays évoquant plus ou moins explicitement la peur d’un Brexit sans accord. Les investisseurs nippons très présents depuis trois décennies auraient à perdre si la rupture entre Londres et Bruxelles se fait sans accord.

La série noire de déclarations en dit long sur les risques économiques pour le Royaume-Uni d’un Brexit sans accord. Les trois membres « Big Three » des constructeurs automobiles nippons ont tous annoncé des mesures de retrait, plus ou moins explicites, du pays. Le tout sans même attendre la conclusion de la crise politique qui secoue l’Europe en marge de la sortie de Londres de l’Union européenne.

C’est Toyota qui avait d’abord expliqué qu’il serait « très difficile » de produire de nouveaux modèles à l’avenir en cas de Brexit sans accord, laissant clairement entendre que le plus grand constructeur au monde n’envisageait pas son avenir au Royaume-Uni. C’est ensuite Nissan qui a annoncé que son prochain modèle, le Crossover X-Trail ne serait finalement pas produit dans son usine de Sunderland, la plus grande d’Europe avec ses 7.000 salariés. C’est enfin Honda qui a enfoncé le dernier clou, sans doute le plus dur à accepter pour le Royaume-Uni, en confirmant le 19 février 2019 la fermeture de son usine de Swindon — 3.500 salariés — où s’assemble notamment la Honda Civic, d’ici 2021. Ironie du sort, la ville de Swindon, à une centaine de kilomètres à l’ouest de Londres, avait voté massivement en faveur du Brexit en juin 2016.

L’industrie automobile japonaise se désengage au Royaume-Uni

Officiellement, diplomatie économique oblige, les marques sont mal à l’aise avec ces annonces puisque le lien avec le Brexit sans accord est rarement affirmé sans détour. Dans son annonce, Honda — la seule qui confirme la disparition à une date connue de milliers d’emplois — a refusé de lier les deux événements. « Ce n’est pas le Brexit, mais le choix du principal lieu de production de la prochaine Civic qui a présidé à cette décision », a assuré Takahiro Hachigo le directeur général de Honda, lors d’une conférence de presse à Tokyo. « Nous ne songeons pas du tout à quitter l’Europe, mais au contraire à y renforcer notre marque » a-t-il ajouté. Le tout sans prononcer les mots qui fâchent et qui explique la position commune des trois géants japonais : droits de douane.

La Society of Motor Manufacturers and Traders, l’organisation professionnelle regroupant les constructeurs automobiles du Royaume-Uni, avait estimé en effet qu’un Brexit sans accord pourrait entraîner un retour des droits de douane à hauteur de 10% renchérissant donc le coût des voitures sortant des usines britanniques. Et la promesse faite le 13 mars de l’absence de taxes à l’importation pour 87% des produits faite par le gouvernement britannique au lendemain du rejet par les députés du second projet d’accord Londres-Bruxelles ne devrait pas concerner les pièces détachées automobile qui constituent les trois quarts des éléments nécessaires à la construction d’un véhicule à Swindon.

Une hausse du prix, et donc une perte de compétitivité, inacceptable pour les constructeurs nippons. Ces derniers, après des années fastes, doivent en effet faire face à un brusque assombrissement des perspectives mondiales entre le ralentissement économique chinois, la tentation protectionniste de Donald Trump aux Etats-Unis et les changements industriels imposés par le recul — sans doute définitif — du diesel dans le monde.

Le Royaume-Uni, hier stratégique, demain marginal ?

Les déclarations des trois constructeurs japonais ne son que l’arbre — certes conséquent — qui cache la forêt du malaise entre les investisseurs japonais et le Royaume-Uni depuis l’annonce du Brexit. L’histoire d’amour entre les entreprises de l’archipel et les îles britanniques a débuté il y a 30 ans et n’a cessé de se développer puisque pas moins de 400 entreprises nippones sont représentées sur place par la Chambre japonaise de commerce et d’industrie (elles seraient 1.000 en tout présentes sur le territoire). Mais les entreprises japonaises ont surtout vu le Royaume-Uni non pas comme un marché en soi — il reste secondaire pour les acteurs nippons — mais comme un emplacement stratégique sur deux plans : primo il permet de desservir rapidement l’Europe en bénéficiant des avantages communautaires tout en ayant une ouverture sur les Etats-Unis, secundo le pays est suffisamment attractif pour garantira venue des travailleurs européens les plus qualifiés prêts à émigrer au Royaume-Uni pour bénéficier des opportunités offertes par les entreprises japonaises. Deux avantages remis en cause par le Brexit.

Conséquence : c’est tout un édifice économique qui menace de s’effondrer. En 2016, le Japon investissait l’équivalent de 49,5 milliards d’euros dans l’économie britannique, ce qui en faisait le septième investisseur dans le pays, injectant autant de fonds que l’Irlande, l’Australie et l’Inde réunies. Les entreprises nippones emploient pas moins de 140.000 personnes dans le pays sans compter bien entendu les emplois indirects de sous-traitants. Et d’autres événements montrent que les sociétés japonaises ne voient plus leur avenir dans un pays qui aurait coupé sèchement les ponts avec l’UE. Le géant Hitachi qui devait construire des lignes de train dans le pays a finalement décidé d’investir sur ce secteur en Italie, un marché aux pratiques pourtant éloigné de la culture d’entreprise japonaise et loin d’être au mieux d’un point de vue économique. Mais qui va, lui, rester dans l’Union européenne. Sans surprise, les sociétés japonaises du secteur de la banque ou de l’assurance commencent aussi à quitter Londres pour se rabattre sur d’autres places financières en Europe.

Tokyo, Londres, l’accord bilatéral ?

L’enjeu entre le Royaume-Uni et le Japon porte maintenant sur la nature de l’accord bilatéral que les deux Etats vont mettre en place sur la question du commerce international puisque Londres a tourné le dos, de même qu’il l’a fait pour l’UE, à l’accord de libre-échange JEFTA, le Japan-Europe Free Trade Agreement qui n’aura donc été effectif — d’un point de vue formel — que quelques semaines avec le Royaume-Uni. Les négociations sont difficiles -elles ont d’ailleurs failli être suspendues en février 2019 suite à un incident diplomatique entre les négociateurs comme l’avait révélé le Financial Times (voir ici) — et à l’issue particulièrement incertaine. Si certains secteurs devraient rester très ouverts comme la R&D — le japonais SoftBank a d’ailleurs continué d’investir dans le pays malgré le vote du Brexit — le Royaume-Uni va sans doute garder une position dure au moins sur l’agriculture et l’automobile… qui étaient justement les principaux secteurs concernés par le JEFTA.

Cette question de l’accord bilatéral inquiète en tout cas le sommet de l’Etat au Japon puisque le Premier ministre japonais Shinzô Abe lui-même s’est impliqué dans le débat. Il a d’ailleurs lancé une proposition radicale en octobre dernier : que le Royaume-Uni adhère au TPP, le Trans-Pacific Partnership qui réunit 11 Etats, dont certain du Commonwealth, ayant une façade sur l’océan Pacifique… soit aux antipodes géographiques du Royaume-Uni. Une opportunité qui n’a plus été évoquée depuis plusieurs semaines, sans doute pour des raisons diplomatiques, Londres étant en pleine négociation avec Bruxelles sur un hypothétique accord — rejeté depuis, mais qui pourrait bien être la carte surprise abattue par les dirigeants britanniques pour espérer garder les investissements japonais. Pas sûr cependant que cela suffira à ces derniers pour les consoler d’un éloignement britannique du marché de l’Union européenne et de ses 500 millions de consommateurs.

Par Damien Durand, notre envoyé spécial au Japon.

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