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Gekkō sabaku rakuda gyō (A camel caravan in the moonlit desert) - Par Ikuo Hirayama, Galerie Art-Japan.

Startups : Les ICO, pas pour tout le monde en Asie-Pacifique !

Les ICO permettent aux jeunes pousses de collecter des millions en quelques jours voire même en quelques minutes. En France, le financement via les ICO aura bientôt un cadre juridique. La Chine et la Corée du Sud les interdissent. Alors, comment sont encadrées ces levées de fonds en crypto-monnaies en France et en Asie ?

« La France doit être le leader européen de la Blockchain », a déclaré Bruno Le Maire, ministre de l’Economie et des Finances, suite à l’adoption en première lecture de l’article 26 de la loi PACTE qui propose un cadre législatif et juridique pour les ICO (Initial Coin Offering). Alors que la France a franchi une étape importante en encadrant ce nouveau mode de financement en plein essor au sein de l’écosystème Blockchain, d’autres pays comme la Chine et la Corée du Sud maintiennent leur décision d’interdire purement et simplement les levées de fonds en crypto-monnaies permettant pourtant aux startups d’accélérer leur développement.

La France, terre d’accueil pour les ICO ?

« Avec la récente bulle des crypto-monnaies, de très nombreux projets blockchain ont vu le jour et certaines entreprises ayant les projets les plus ambitieux ont levé des millions. Ces projets appelés ICO sont des levées de fonds en crypto-monnaie et donc réalisés à travers une architecture blockchain. Concrètement, l’investisseur ne reçoit pas de part du capital de l’entreprise comme ce serait le cas avec une IPO (Initial Public Offering). Dans le système ICO, il reçoit des crypto-actifs (appelés tokens) qui serviront à payer ou à être échangés sur la blockchain de son projet », précise Vladimir Denis, ICO Advisor et Fondateur de Crypto Intelligence Agency, une agence marketing spécialisée dans les projets Blockchain.

Au niveau mondial, les ICO ont permis de collecter plus de 22 milliards de dollars dans le monde, selon une étude publiée par l’Autorité des marchés financiers (AMF). Les trois premiers trimestres 2018 ont marqué une croissance annuelle de 125 % des montants levés par rapport à 2017. La France représente une part modeste de ce nouveau mode de financement, avec 15 ICO terminées fin octobre 2018, d’un montant total de 89 millions d’euros.

Toutefois, cela pourrait bientôt changer suite à l’adoption par l’Assemblée nationale de l’article 26 de la loi PACTE qui encadre les ICO. Concrètement, l’AMF pourra délivrer un visa optionnel aux projets ICO et un agrément facultatif aux intermédiaires, notamment aux plateformes. Ce visa prévoit la délivrance d’un document comportant des informations sur l’opération destinées aux investisseurs et certaines garanties comme un mécanisme de sécurisation des fonds levés. Les acteurs ayant obtenu le visa de l’AMF figureront sur une liste blanche. Ceux n’ayant pas fait de demande de visa apparaîtront sur une liste grise. La liste noire recensera les opérations frauduleuses.

En octobre 2018, l’Autorité des normes comptables (ANC) a également publié un règlement définissant le cadre national des jetons numériques émis dans le cadre d’une ICO. Ce cadre comptable s’applique aussi bien aux émetteurs qu’aux détenteurs de jetons. L’émetteur doit présenter clairement les droits et obligations liés aux jetons émis afin de déterminer le traitement comptable applicable. Quant au détenteur, il doit préciser si les jetons détenus sont destinés à être placés ou utilisés, le traitement comptable dépendant de cette distinction. La France est parmi les premiers à proposer un tel règlement même si d’autres normalisateurs ont déjà engagé ce travail.

Les ICO interdites en Chine et en Corée du Sud

L’approche des régulateurs nationaux n’est pas uniforme. En effet, en septembre 2018, la Banque Populaire de Chine qui avait déjà durci la réglementation applicable aux ICO a rappelé aux investisseurs les risques liés au trading de crypto-monnaies et aux levées de fonds associées. Le risque est réel pour les citoyens qui participent à une telle opération.

En mai 2018, le Wall Street Journal qui avait mené une enquête sur 1.450 ICO révélait que près de 20 % étaient des arnaques, avec de fausses équipes, de faux documents et des usurpations d’identité. Alors que la mise en place d’une réglementation aurait sans doute permis de limiter la fraude dans ce domaine, la Chine a décidé d’interdire purement et simplement les levées de fonds en crypto-monnaies.

Le 10 janvier 2019, l’Administration chinoise du cyberspace (CAC) a annoncé une nouvelle réglementation qui contraindra les startups de la Blockchain implantées sur le territoire à modifier leurs politiques d’informations sous peine de devoir payer une lourde amende. Le régulateur souhaite durcir le cadre réglementaire applicable aux sites web et éditeurs d’applications mobiles qui renseignent les internautes sur les différentes monnaies virtuelles.

« La Chine fût un acteur dominant dans le monde des crypto-monnaies jusqu’à ce que le gouvernement décide de les interdire ainsi que les ICO. En effet, leur nature décentralisée était perçue comme un affront par le gouvernement qui a donc imposé le bannissement pur et simple. Certains pays voisins, comme le Japon ou encore Singapour en ont profité pour attirer les entreprises de crypto-monnaies avec des règlementations plutôt favorables », ajoute Vladimir Denis.

De son côté, la Corée du Sud maintient également son interdiction concernant les ICO et met fin à tout espoir d’exploitation de ce système. Les crypto-monnaies sont considérées comme trop instables par la Commission des services financiers (FSC). Récemment, il a été révélé que des entreprises locales avaient investi via des sociétés fictives basées à l’extérieur du pays et notamment en Suisse et à Singapour ce qui a motivé le maintien des restrictions sur les ICO en Corée du Sud.

« La différence de règlementation des ICO entre les pays peut être comparée aux importantes disparités constatées entre les États membres de l’UE sur le plan fiscal. En Europe, bien que tous les États aient adopté l’euro, chacun applique une fiscalité différente. En effet, l’émergence d’une politique fiscale harmonisée semble impossible. Le même phénomène se produit avec les ICO : elles sont présentes partout dans le monde mais au fur et à mesure que les États se prononcent sur leur adoption ou au contraire leur interdiction, les projets vont se développer dans les pays les plus favorables. Et certains États déploient en conséquence des règlementations plutôt attractives pour les projets les plus ambitieux exactement comme certains ‘’paradis fiscaux’’ attirent les évadés fiscaux avec des lois plus souples. En fonction de sa politique en matière de crypto-actifs, chaque État adapte sa règlementation dans le but d’attirer ou au contraire de faire fuir les entreprises de crypto-monnaies », conclut Vladimir Denis.

L’Union européenne a d’ailleurs annoncé en septembre vouloir encadrer les ICO de façon à harmoniser la réglementation et permettre aux entreprises appliquant les règles européennes d’évoluer dans toute l’Union. Affaire à suivre…

Par Nathalie Jouet

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Illustration de Une : Gekkō sabaku rakuda gyō — A camel caravan in the moonlit desert — Par © Ikuo Hirayama. Galerie Art Japan.

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