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Blockchain Illustration — AsiePacifique.fr

La Blockchain, moyen de preuve légale en Chine. Et en UE ?

Le 7 septembre 2018, la Cour Suprême chinoise a officiellement reconnu la valeur d’une preuve ancrée sur la Blockchain. Cette technologie voit ainsi son champ d’application s’étendre à travers des expérimentations plus structurées. Alors que le cadre réglementaire et législatif se précise en Chine, au sein de l’Union européenne (UE), des réglementations nationales commencent — seulement — à se mettre en place.

« Au sens littéral, la Blockchain correspond à une liste croissante d’enregistrements ou blocs, validés par un traitement cryptographique appelé proof of work (POW). Cette technologie peut être assimilée à un grand livre public, anonyme et infalsifiable, contenant l’historique de tous les échanges effectués entre les utilisateurs depuis sa création. Il s’agit d’une base de données sécurisée et distribuée. En effet, elle est partagée par les utilisateurs, sans intermédiaire ni organe de contrôle, permettant à chaque membre du réseau de vérifier la validité de la chaîne », affirme Robert van Aert, co-fondateur de China Blockchain Partners, une société basée à Shanghaï qui accompagne les principaux projets Blockchain en Chine et les entreprises de l’Union européenne ciblant les marchés asiatiques. L’immuabilité, la distribution globale et ouverte de la Blockchain interroge forcément le législateur. Cette technologie peut-elle être considérée comme un nouveau moyen de preuve en propriété intellectuelle ? Éléments de réponse.

La Blockchain, une technologie de rupture ?

Alors que certains rappellent les risques inhérents à l’écosystème Blockchain, d’autres perçoivent son immense potentiel. Développée initialement pour sécuriser les échanges de crypto-monnaies, la Blockchain est aujourd’hui applicable à de nombreux secteurs : l’énergie, la santé, l’agroalimentaire ou encore la banque et l’assurance. Cette technologie s’appuie sur les « smart contracts », des programmes autonomes permettant d’exécuter automatiquement des conditions préalablement définies par les parties concernées. Cette absence de tiers de confiance créé une véritable révolution dans la transaction.

« La sécurité de la Blockchain est assurée par la continuité des nœuds et la cryptographie rendant le système anonyme et quasiment impossible à pirater. Par conséquent, il n’y pas de réelles différences entre ce que cette technologie peut apporter aux entreprises européennes et aux entreprises chinoises. Toutefois, si la Chine s’intéresse particulièrement à la Blockchain, c’est surtout parce qu’elle peut lui permettre de renforcer la sécurité alimentaire, de contrôler et réduire la pollution, de lutter contre la corruption en recourant aux smart contracts notamment. Ainsi, en Chine, de nombreuses startups commencent à voir le jour dans ce domaine », poursuit Robert van Aert.

L’Europe s’attend également à ce que cette technologie transforme les modèles économiques dans divers secteurs. « La Commission européenne a lancé le 1er février 2018 un Observatoire-forum des Chaînes de blocs de l’UE, avec le soutien du Parlement européen, dont le rôle consiste à mettre en valeur les évolutions de la technologie Blockchain, encourager les acteurs européens et renforcer l’engagement européen auprès de diverses parties prenantes actives dans ce domaine », précise Marie Soulez, Directrice du Département Propriété intellectuelle contentieux du cabinet Alain Bensoussan Avocats Lexing. Les enjeux juridiques soulevés par la Blockchain en font indéniablement une technologie de rupture.

La Chine renforce sa réglementation applicable à la Blockchain

Pour la première fois le 20 juin 2018, une juridiction chinoise a reconnu la valeur d’une preuve ancrée sur la Blockchain. En l’espèce, une entreprise de médias estimait qu’un site Internet utilisait sans son accord ses droits de propriété intellectuelle. Comme moyen de preuve, celle-ci a capturé le code source de la page web litigieuse puis l’a enregistré dans la Blockchain Bitcoin. Le tribunal de Hangzhou, spécialisé dans les affaires liées à Internet, a admis la recevabilité de la Blockchain à titre de preuve. Elle ajoute qu’il s’agit d’un moyen de preuve fiable et crédible, donnant ainsi raison à la partie plaignante sur le fond. Bien qu’isolée au territoire chinois, cette décision marque un tournant majeur en faveur de l’admissibilité de la Blockchain comme moyen de preuve légale.

« Malgré qu’il ait officiellement interdit les échanges et levées de fonds en crypto-monnaies en 2017, le gouvernement chinois se dit favorable au développement de la technologie Blockchain. Des centaines de projets sont déployés dans tout le pays. La ville de Hangzhou a par exemple mis en place un programme de subventions réservé aux startups qui s’installeront dans son parc industriel. Le gouvernement a également indiqué que cette technologie est l’une de ses priorités actuelles et s’inscrit dans le cadre du 13ème plan quinquennal (2016-2020) au même titre que l’Intelligence Artificielle (IA). Reste à savoir si le caractère décentralisé de la Blockchain peut réellement s’adapter à ce territoire qui a préservé la structure de centralisation du pouvoir », ajoute Robert van Aert.

Vue d’ensemble du cadre réglementaire Blockchain en Europe

Certains régulateurs ont déjà fait part de leur volonté d’examiner l’utilisation de la Blockchain dans le secteur financier. En juin 2016, l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) a publié une discussion appelée Distributed Ledger Technology (technologie de registre distribué) traitant des avantages et des risques liés à la Blockchain appliquée aux marchés des titres.

« Il n’y a pas de régulation spécifique à la Blockchain en Europe mais des réglementations nationales commencent à se mettre en place. En France par exemple, l’ordonnance du 28 avril 2016 prévoit que l’émission de minibons peut être inscrite dans un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’authentifier ces opérations, la Blockchain. Dans le même esprit, l’ordonnance dite « blockchain » sur les titres financiers a été publiée le 9 décembre 2017 pour répondre à la volonté de l’État français de réglementer le marché et de protéger les investisseurs. Enfin, l’article 26 de la loi PACTE examiné en séance publique le 28 septembre 2018 créé un cadre juridique clair pour les offres de jetons virtuels (ICO) en instaurant un visa facultatif délivré par l’Autorité des marchés financiers (AMF) pour les levées de fonds réalisées à l’aide de crypto-actifs », rapporte Marie Soulez.

L’absence de cadre juridique applicable à la Blockchain au sein de l’Union Européenne confère une certaine liberté aux acteurs. Cependant, plusieurs initiatives sont en cours. À l’occasion du Digital Day 2018, les États membres de l’Union Européenne ainsi que le Royaume-Uni ont signé un accord de partenariat pour travailler conjointement sur le numérique et la technologie Blockchain. D’ici à 2020, 300 millions d’euros supplémentaires devraient être alloués à la chaîne de blocs, selon la Commission européenne. Ces initiatives sont intéressantes puisqu’elles montrent l’intérêt du législateur pour la Blockchain en tant que support de preuve.

Ainsi, les défis qui attendent la Chine et l’Europe en matière de réglementation de la Blockchain ne sont pas comparables. Pour l’heure, la Blockchain reste une technologie récente qui doit encore faire ses preuves avant de bénéficier d’un cadre législatif et réglementaire adapté.

Par Nathalie Jouet.

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