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Alimentation et santé… Par Thierry Rocaboy

Chaque année à la mi-mars, se déroule à Ho-Chi-Minh-Ville, Viêt Nam, la « Semaine du Goût », un événement de plus en plus mondialisé qui veut porter haut les couleurs de la gastronomie française. C’est toujours un événement festif et culturel qui permet d’échanger sur la place de la nourriture dans la vie de tous les jours. Cela a pour moi un écho tout à fait particulier puisque je vis sur un terroir qui n’est pas celui de mes origines.

Si cette « Semaine du Goût » met à l’honneur le bien manger, l’art de vivre à la française et la qualité des productions de nos terroirs, elle est aussi l’occasion de s’interroger sur les pratiques des producteurs, distributeurs et consommateurs ainsi que leurs conséquences sur la santé. Une table ronde sur le thème de « l’alimentation durable et équilibrée » s’est tenue en ouverture de cette « Semaine du Goût ». Dans la salle, des citoyens et des acteurs de l’alimentation, sur la scène deux scientifiques et l’attaché agricole pour la région.

Les consommateurs prennent de plus en plus conscience du rôle de l’alimentation sur la santé et se tournent vers une alimentation plus saine, plus équilibrée et plus naturelle. A l’occasion du récent Salon de l’Agriculture, le terme « flexitarien » (végétarianisme flexible, ndlr) s’est répandu sur la toile. En réaction au véganisme, il prône une alimentation plus équilibrée et plus respectueuse de l’environnement. Il en ressort une exigence de transparence et d’informations vérifiables de plus en plus poussée.

De plus, aujourd’hui le lien entre alimentation et santé est de plus en plus mis en avant. Les conséquences de l’alimentation sur la santé sont de deux ordres : d’une part de mauvaises pratiques — intentionnelles ou non — et d’autre part d’un déséquilibre dans nos régimes menant à l’obésité, aux maladies cardio-vasculaires et au diabète de type 2 — trop de viandes et de sucre, pas assez de fruits et légumes ou de fibres, … Enfin, le poids toujours croissant de l’alimentation industrielle et ces pratiques liées à la durée de vie du produit ou bien les contraintes de goût, de praticité et d’aspects pour le consommateur.

Dans les pays émergents, les mêmes questionnements se font jour. Il est donc intéressant de regarder ce qui se passe dans les sociétés développées avec un retour sur les productions locales et les chaînes de valeur courtes et la possibilité de ne pas reproduire les mêmes erreurs dans les agricultures en transition comme au Vietnam.

Un premier enjeu à maîtriser est la sécurité sanitaire des aliments ; en novembre 2017, le journal de la Jeunesse (Tuoi Tre News) avait publié un article évocateur au titre inquiétant prétendant que les Vietnamiens se tuaient eux-mêmes avec de la nourriture « sale ». Et le premier paragraphe de l’article de décrire un repas composé d’une tasse de faux café, des légumes frits à l’huile de vidange, du porc au sédatifs et comme dessert du durian traité aux produits chimiques ! Et l’article continuait avec des exemples peu flatteurs et dont les Vietnamiens étaient en grande partie responsables. Cette situation n’est pas propre au Vietnam, car la région de l’Asie du Sud-Est est selon l’OMS — Rapport 2015 sur la charge mondiale de morbidité due aux maladies d’origines alimentaires — la deuxième région la plus touchée par les maladies d’origine alimentaire — 150 millions de cas et 175 000 décès — après l’Afrique. L’Europe reste le meilleur élève du groupe avec pourtant 23 millions de cas et 5 000 décès. La sécurité sanitaire des aliments apparaît donc bien comme un enjeu majeur dans l’amélioration de la situation.

Cette amélioration doit passer par une action convergente des acteurs publics et privés sur les différents éléments qui concourent à l’élaboration de notre alimentation de la fourche à la fourchette. Ces éléments sont la loi et son application, le rôle des acteurs centraux et régionaux des ministères de l’agriculture et de la santé. Il s’agit aussi du rôle du réseau de vétérinaires et des moyens de contrôle tant humains qu’analytiques.

Un second enjeu est de construire des chaînes de valeur capables de produire et fournir aux consommateurs des aliments sains dont on maîtrisera l’origine. Cette structuration est un élément majeur pour permettre aux agriculteurs de se regrouper en coopératives ou en organisations de production pour avoir un meilleur accès aux ressources — capital et intrants — et au marché pour le servir avec des marques reconnues et tracées. Ces regroupements serviront plusieurs buts et notamment une meilleure puissance d’achat des intrants et matières premières et une meilleure valorisation des produits finis. Cela permettra aussi d’améliorer la transparence des informations et actions tout au long de la chaîne de valeur.

Tout cela ne peut se faire sans améliorer la formation des acteurs et leur coordination tout au long des chaînes de valeurs. La digitalisation croissante des outils et des informations doit accélérer les progrès et simplifier les processus. Le Vietnam est très volontariste dans cette révolution 4.0. Cependant un rapport récent du forum économique mondial pointe des faiblesses en termes d’éducation, de ressources humaines, d’innovation et de technologie.

Il est bien certain que les efforts faits par le Vietnam depuis la mise en place du Doi Moi — la politique de l’ouverture — ont généré de grands progrès et une sorte de rattrapage. Celui-ci n’est pas achevé et la solidification du socle agricole et alimentaire est une fondation nécessaire pour bâtir une alimentation durable et équilibrée. Cela passera par une prise de conscience des acteurs, producteurs, intermédiaires et consommateurs sur les conséquences de leurs actions ou de leurs manquements : mauvaises pratiques, infrastructures et logistique déficients, gâchis tout au long du cycle de vie des produits. C’est aussi le moment de repenser le modèle dominant qui privilégie les gains de court terme a une vision réellement durable de nos productions. Cela passe aussi par la sécurisation de l’horizon des agriculteurs soumis aux aléas climatiques — tempêtes, inondations, sécheresse — car les productions agricoles ne sont pas des marchandises comme les autres et de véritables stratégies de moyen et long terme doivent être mises en place par les États ou les grandes régions du monde. L’exemple de la Politique Agricole Commune des fondateurs de l’Europe est sans aucun doute un modèle dont il faut s’inspirer.

Une chronique de Thierry Rocaboy

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Thierry Rocaboy est ingénieur en agroalimentaire et directeur de la société française Techna Nutrition Vietnam. Il est également président de la commission Agriculture Aquaculture de l’EuroCham Vietnam. Suivre Thierry Rocaboy sur Twitter : @trocaboy

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