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Elevage Volaille Vietnam - Crédit photo © Ministère de l'Agriculture du Vietnam

Vietnam : Une agriculture malmenée par le marché ! Par Thierry Rocaboy

#Regard #Economie

Agriculture. La volatilité du marché agricole est un poids de plus pour une agriculture vietnamienne en transition ! Pas un jour sans une nouvelle inquiétante sur l’état des marchés agricoles. Au Vietnam, il est très courant de voir ces nouvelles dans la presse.

Je viens de regarder la note de conjoncture de Rabobank — banque néerlandaise spécialisée dans le secteur agricole — du 2ème trimestre 2018. Il est intéressant de voir que des importations officielles de porc ont perduré pendant la grande crise de surproduction qui a frappé les producteurs Vietnamiens et en conséquence leurs fournisseurs en nutrition animale. Alors que le marché tend à se stabiliser et à devenir rémunérateur pour le producteur, nous avons pu lire que le prix du « porc vif » au Vietnam était redevenu très attractif et devrait générer un regain d’importations dans les prochaines semaines ! Comment peut-on construire un secteur porcin vietnamien moderne et efficace dans ces conditions ?

Pour le sucre, une autre commodité produite au Vietnam à partir de canne à sucre, les producteurs vietnamiens sont à la peine : selon l’article publié par VNExpress, on compte 700 000 tonnes d’invendus au Vietnam dont 300 000 tonnes dans la seule province Hau Giang. L’article nous informe aussi que le sucre est régulièrement acheté en Thaïlande — en plus de celui qui transite par le Cambodge, en Chine et en Corée du Sud. Je me souviens comme si c’était hier de la visite de la sucrerie de Tây Ninh, appartenant alors au groupe Bourbon, et la discussion sur la difficulté d’approvisionnement en canne principalement en raison d’un prix trop bas et trop volatile qui décourageait les agriculteurs de se consacrer durablement à cette culture. Cette discussion a eu lieu il y a près de 10 ans et la situation ne s’est pas améliorée, elle est sûrement pire pour le petit producteur.

Les appels à la modernisation de l’agriculture sont réguliers et la plupart des acteurs font probablement du mieux qu’ils peuvent. Néanmoins, il y a toujours un déficit d’investissements massifs et le mirage de l’agriculture 4.0 semble bien difficile à atteindre rapidement.

Peut-on réellement construire une agriculture efficace et performante, capable d’assurer la sécurité alimentaire — au moins en partie — de sa population si on ne protège pas de quelque manière que ce soit son secteur productif ? Les productions agricoles ne sont pas des marchandises comme les autres et ne devraient donc pas être soumises aux règles classiques du libre-échange. Les évolutions négatives du climat que nous constatons de façon de plus en plus intenses d’année en année devraient aussi militer dans ce sens. Ce phénomène est d’autant plus important que le secteur agricole est en transition.

Les agricultures modernes ne se sont pas construites en un jour et sans protection. Il est frappant de voir que très rapidement après avoir déclenché une guerre commerciale, le Président américain a rapidement fait un chèque à ses producteurs de soja…

En parlant de soja ou de maïs, commodités produites insuffisamment par le Vietnam, il est toujours surprenant de voir les statistiques annuelles des importations à destination du secteur de l’alimentation animale. L’argument fréquemment utilisé est celui de coût des ces matières — moins cher et de meilleure qualité que la production locale. Argument recevable ? Oui et non. Oui car l’industrie a besoin de compétitivité et celle-ci passe aussi par la maîtrise des coûts. Il est bien certain cependant qu’un agriculteur ne peut devenir « compétitif » du jour au lendemain. C’est un processus lent et difficile qui exige une convergence d’efforts de la part de tous les acteurs impliqués dans la production agricole, au premier rang duquel l’Etat.

L’agriculture française et européenne a mis plus de deux décennies à réussir une transition agricole à marche forcée : de la famine à la première puissance exportatrice en érigeant la cause agricole — et la sécurité alimentaire des européens en premier objectif — comme grande cause supra-nationale en mettant en œuvre l’ambitieuse Politique Agricole Commune (PAC). La convergence des acteurs et les moyens mis en œuvre ont dépassé les résultats escomptés et mirent fin à bien de « régimes spéciaux » sous les coups de fourche du « libre-échange ». Malgré ces résultats impressionnants, les productions agricoles subissent encore les aléas des saisons et des événements météorologiques qui semblent s’intensifier à mesure que le réchauffement climatique poursuit son chemin inéluctable sans que le pompier-pyromane humain soit en mesure de réagir efficacement.

Il me semble utile d’imaginer un système de protection de l’agriculture vietnamienne capable de protéger les producteurs des aléas météorologiques et humains. Garantir un niveau suffisant de sécurité alimentaire au sens de la définition des Nations Unies, réduire la dépendance aux importations de maïs et de soja, moderniser le secteur porcin, développer le secteur aviaire, assurer une production de canne à sucre capable de répondre à la demande intérieure et d’assurer un revenu régulier et décent aux producteurs sont des sujets à la fois vitaux et accessibles pour le Vietnam.

Je ne parlerai pas aujourd’hui du riz, du café et du poivre qui ont déjà passé les premiers stades et nécessite un travail sur la valeur ajoutée, la reconnaissance de l’origine géographique et un « marketing pays » pour toucher le consommateur friand de savoir d’où vient ce qu’il mange et ce qu’il boit.

Si la fin des paysans n’est pas pour demain, les acteurs impliqués dans le secteur du sommet de l’Etat au petit producteur de crevettes de Ca Mau devront associer leurs efforts afin de rendre ce secteur productif, durable et socialement acceptable. L’agriculture 4.0 peut permettre une amélioration des conditions d’exploitation dans les zones difficiles. Cette nouvelle révolution agricole ne pourra pas se faire sans une révolution dans la coordination et la convergence des acteurs ainsi que dans l’éducation des agriculteurs de demain.

Thierry Rocaboy est ingénieur en agroalimentaire et directeur de la société française Techna Nutrition Vietnam. Il est également président de la commission Agriculture Aquaculture de l’EuroCham Vietnam. Suivre Thierry Rocaboy sur Twitter : @trocaboy

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