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Rizière dans le delta du Mékong, Vietnam — Photo © Vo Trung Dung / AsiePacifique.fr - Tous droits réservés - All rights reserved.

Vietnam : Réfugiés climatiques du delta du Mékong, une crise qui couve…

Le delta du Mékong, le grenier à riz du Viêt Nam. Le changement climatique dont la conséquence les plus visible ici est la montée des eaux de mer. La production agricole — en particulier la riziculture — affectée par la salinisation se trouve en danger. La population du delta s’adapte déjà en changeant les modes et la nature de la production comme le boum de l’aquaculture. La migration des habitants due au changement climatique reste pour le moment modérée. Toutefois, les experts prédisent la prochaine ampleur des réfugiés climatiques dans les provinces les plus touchées.
Nous avons le plaisir de reprendre cet article publié en français sur l’excellent site The Conversation France. Ecrit par Alex Chapman, chercheur en géographie humaine à l’Université de Southampton (Grande Bretagne) et Van Pham Dang Tri, chercheur et chef de département des ressources en eau à l’Université de Cân-Tho (Vietnam).

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Réfugiés climatiques : cette crise qui couve au Vietnam

Alex Chapman, University of Southampton et Van Pham Dang Tri, Can Tho University

Le delta du Mékong vietnamien est l’une des régions les plus productives sur le plan agricole et revêt une importance mondiale pour ses exportations de riz, de crevettes et de fruits. Les 18 millions d’habitants de ce delta de basse altitude sont aussi parmi les plus vulnérables au changement climatique. Au cours des dix dernières années, environ 1,7 million de personnes ont émigré de ces vastes étendues de champs, de rivières et de canaux, alors que 700 000 seulement y sont arrivées.

Au niveau mondial, la migration vers les zones urbaines reste toujours aussi élevée : une personne sur 200 déménage des zones rurales pour aller vers la ville chaque année. Dans ce contexte, c’est difficile d’attribuer avec certitude la migration à des causes individuelles, notamment parce qu’il peut être compliqué de trouver des personnes qui ont quitté une région et de leur demander pourquoi elles sont parties, et parce que chaque contexte local est unique. Mais le taux de migration net depuis les provinces du delta du Mékong est plus de deux fois supérieur à la moyenne nationale, et même plus élevé dans les zones les plus vulnérables au climat. Cela signifie qu’il y a quelque chose d’autre – probablement lié au climat – qui se passe ici.

 

Le delta du Mékong.
Alex Chapman

 

En 2013, nous avons visité la commune d’An Thạnh Đông, dans la province de Sóc Trăng, dans l’objectif de recueillir des données sur les rendements agricoles. Nous avons vite réalisé que pratiquement aucun fermier d’An Thạnh Đông n’avait de rendement à déclarer. La commune avait perdu toute sa récolte de cannes à sucre après que des niveaux étonnamment élevés d’eau salée se sont infiltrés dans le sol et ont tué les plantes. Ceux qui n’avaient pas de filet de sécurité se sont retrouvés à vivre dans la pauvreté. Au cours des semaines suivantes, des centaines de petits exploitants, dont beaucoup avaient cultivé dans le delta pendant des générations, nous ont dit que les choses étaient en train de changer et que leurs moyens de subsistance deviendraient bientôt intenables.

En 2015-2016, le delta a dû affronter la pire sécheresse qu’il y ait eu en un siècle. Elle a provoqué une infiltration d’eau salée sur 80 kilomètres à l’intérieur des terres, et la destruction d’au moins 160 000 hectares de cultures. À Kiên Giang (1,7 million d’habitants), l’une des provinces les plus touchées, le taux de migration net local a bondi et, au cours de l’année qui a suivi, environ un habitant sur cent est parti.

Dans ce puzzle, un article rédigé par des universitaires vietnamiens, et passé relativement inaperçu, pourrait bien constituer une pièce essentielle. Cette étude, rédigée par Oanh Le Thi Kim et Truong Le Minh de l’Université de Van Lang, suggère que le changement climatique représente la raison principale de migration pour 14,5 % de ceux qui quittent le delta du Mékong.

Si cette estimation se révèle correcte, alors ce sont 24 000 personnes qui quittent cette zone chaque année à cause du changement climatique. Il est ici important de souligner que la première cause de migration pour les habitants de la région reste le fait de fuir la pauvreté. Sachant que les liens entre changement climatique et pauvreté sont croissants et complexes, ce chiffre de 14,5 % pourrait bien être en dessous de la réalité.

 

 

Il existe une multiplicité de critères liés au changement climatique dans ces phénomènes de migration touchant le Delta. Certaines habitations sont ainsi littéralement tombées dans l’eau, une conséquence de l’érosion du lirroral dans la portion sud-ouest du Delta ; à certains endroits, ce sont 100 mètres de zone côtière qui ont été perdus en un an. Des centaines de milliers de foyers sont d’autre part touchées par l’arrivée d’eau salée, conséquence de la montée des eaux ; et seuls certains d’entre eux peuvent faire évoluer leurs productions vers des denrées tolérantes à l’eau salée. D’autres encore sont touchés par l’incidence accrue des épisodes de sécheresse, un phénomène qu peut être à la fois attribué au changement climatique et à la construction de barrages.

Les gouvernements et les communautés locales dans les pays en voie de développement ont déjà mis en place des mesures d’adaptation pour faire face aux effets du changement climatique. Notre récente étude menée au Vietnam met toutefois en garde sur la façon dont cette adaptation est parfois conduite. Nous sommes ainsi intéressés à un groupe de personnes contraint de quitter le Mékong dans le cadre de mesures prises à l’origine pour protéger ces personnes du changement climatique. Des milliers de kilomètres de digues, dont plusieurs mesurent plus de quatre mètres de haut, sillonnent désormais le delta. Si ces digues ont été construites en premier lieu pour protéger les gens et les récoltes contre les inondations, elles ont fondamentalement modifié l’écosystème. Les plus pauvres et les paysans sans terre se battent pour trouver du poisson à manger et à vendre ; ces digues empêchent également les nutriments charriés par les crues d’atteindre les rizières.

 

Récolte du riz.
Phuong D. Nguyen/Shutterstock

 

Cet ensemble de phénomènes indique à quel point le changement climatique peut intensifier les tendances actuelles de la migration économique. Une étude à grande échelle de la migration au sein des deltas a ainsi montré que certains facteurs climatiques – inondations extrêmes, cyclones, érosion et dégradation des terres – rendent encore plus précaires les moyens de subsistance dépendants des ressources naturelles, incitant les habitants à migrer.

Jusqu’à présent, les approches traditionnelles basées sur la croissance économique n’auront pas été bénéfiques aux plus vulnérables, privilégiant ceux qui vivaient déjà dans une richesse relative. Un chiffre frappant témoigne de cette situation : le nombre de personnes sous-alimentées sur Terre a progressé en 2016 de 38 millions alors que le PIB mondial affichait une croissance de 2,4 %. Une telle augmentation est en partie imputable au changement climatique.

The ConversationCes données doivent être présentes dans notre esprit, à l’heure où il convient d’apporter une réponse équitable et durable au changement climatique et à ce qui semble être une crise migratoire imminente.

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Alex Chapman, Research Fellow in Human Geography, University of Southampton et Van Pham Dang Tri, Head of the Department of Water Resources, Can Tho University

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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Analyse additionnelle par la rédaction d’AsiePacifique.fr

Delta du Mékong : S’adapter ou périr !

Les premiers résultats des études menées permettent de tirer les conclusions suivantes : les facteurs environnementaux — changement climatique, montée du niveau de la mer et baisse du débit de fleuve due aux barrages hydroélectriques — affectent la vie des habitants du delta du Mékong. Ils subissent désormais le cycle infernal « pluie-tempête-ouragans » suivi de « chaleur extrême » puis « forte précipitation-sécheresse ». Et les recherches prévoient le pire : à la fin de ce siècle, 40% du delta du Mékong se retrouvaient sous un mètre d’eau !

Les recherches du terrain prouvent qu’il y a trois facteurs qui conditionnent la décision de migration des personnes en raison du changement climatique: l’impact du changement climatique sur les activités de production; l’impact du changement climatique sur la qualité de la vie; l’impact du changement climatique sur la qualité de l’environnement.

Cependant, l’un des travaux scientifiques a montré que la corrélation entre les décisions de migration et les effets du changement climatique localement jusqu’à l’époque de l’étude — 2015 — n’était pas aussi élevée comme l’on craignait. Conclurent ainsi les chercheurs Lê Thi Kim Oanh et Le Minh Truong, de la faculté des sciences de l’environnement et de la biotechnologie de l’Université Van Lang d’Hô-Chi-Minh-Ville, dans leur publication.

Les autorités publiques et les organisations internationales basées au Vietnam estiment qu’il y a environ 1,7 millions de personnes entre 2011 et 2016 ayant quitté le delta du Mékong pour s’établir ailleurs. Cependant, sur la même durée, la région a accueilli 700.000 personnes malgré une situation environnementale plutôt défavorable. Pour le moment, la principale motivation de la migration vient surtout de la volonté de sortir de la pauvreté, d’avoir un meilleur revenu et plus de confort de vie (urbaine).

Pendant longtemps, le Vietnam a construit des « barrages contre le Pacifique », aussi vains qu’inutiles comme avait entrepris jadis le personnage Mère dans le roman autobiographique de Marguerite Duras. C’était un gouffre pour la finance publique et un désastre pour le rivage marin causé par les ouvrages en béton. Avant que les autorités politiques arrêtent les frais et adoptent une nouvelle stratégie nationale. Aujourd’hui, l’heure est de vivre avec, et d’utiliser le changement climatique comme avantage en changeant la nature des productions agricoles. Dans les zones touchées par le cycle « salinisation, tempête, chaleur, précipitation soudaine et sécheresse à répétition », les habitants passent de la riziculture en aquaculture, de la culture en plein champ en culture sous serre. Et ça marche !

Par Vo Trung Dung

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