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Vietnam : port et bateaux de pêche à Quy-Nhon, province de Binh-Dinh. Photo © Vo Rin

Pêche illicite (IUU), « carton jaune » de l’UE : le cas du Vietnam

#Opinion. La pêche illicite, non déclarée et non réglementée et le « carton jaune »  : un concept de l’UE pour reformater les économies en développement à coût zéro. L’exemple de la pêche au Vietnam. Par Daniel Guéguen du Collège d’Europe.

Au cours des 60 années de son histoire, l’Union européenne s’est souvent distinguée par des mécanismes innovants. Deux viennent immédiatement à l’esprit : les quotas et les mécanismes de la Convention de Lomé offrant aux exportateurs des PVD non le prix de dumping pratiqué sur les marchés mondiaux, mais le prix intérieur de l’UE. Depuis, l’innovation règlementaire qui était la règle dans années 60-70 a cédé le pas à une approche moins politique et plus technique. C’est-à-dire à une approche bureaucratique.

Mais à l’occasion d’un voyage de presse au Vietnam on découvre qu’une nouvelle technique respectueuse des partenaires commerciaux est en action à l’initiative de l’Union européenne dans le secteur de la pêche. Il s’agit du mécanisme du « carton jaune » (yellow card en anglais). Plutôt que d’imposer aux États concernés une règlementation venue de Bruxelles, le carton jaune met sous surveillance les pays qui pratiquent la pêche illégale-non-identifiée et leur demande de trouver eux-mêmes les solutions garantissant le respect des conventions internationales. En cas de succès ils reçoivent un favorable « carton vert », en cas d’échec un « carton rouge » marquant la fin des courants d’exportation vers l’UE.

Un processus conçu et géré par la DG MARE, la direction de la Pêche de l’UE

Renseignements pris, le système trouve son origine à la DG MARE de la Commission européenne. Depuis 2012, l’Union a lancé 25 « cartons jaunes » dans le secteur de la pêche. 17 d’entre eux ont été soldés : dans 11 cas, ils ont été transformés en « cartons verts » (green cards) et dans 6 cas en « carton rouge » (red cards). Ainsi les Philippines sont passées du jaune au vert puis repassées en jaune en décembre 2018, le Cambodge du jaune au rouge. Le mécanisme d’attribution des cartons jaunes, verts et rouges est intéressant. Il repose sur des mises en garde de la Commission — à partir de 2012 — suivie par une inspection de fonctionnaires européens. Ce sont eux qui décident le placement sous carte jaune.

DG MARE et pays contrevenant établissent des relations régulières, des inspections et un programme d’action. Le Parlement européen peut être à sa demande associé à ces inspections, mais il n’intervient pas formellement dans la décision. Lorsqu’au terme d’une inspection finale le pays est considéré comme fiable le carton vert est accordé par la Commission. Le carton rouge exige l’accord d’un comité de comitologie. Et dans le cas extrême d’une inscription sur une liste noire, c’est au Conseil des Ministres qu’il revient d’en débattre.

Un cas d’école de lobbying appliqué au secteur de la pêche

Le système de la carte jaune pousse le pays en cause à mettre en œuvre de lui-même les solutions. Dans le cas du Vietnam, professionnels et autorités vont mettre en œuvre une sorte de cas d’école de lobbying appliqué au secteur de la pêche :

  • Le problème qui se trouve posé est celui de la « pêche illicite, non déclarée et non réglementée » (en abrégé anglais « IUU » pour « illegal, unregulated & unreported »). Ce vocable IUU va faire l’objet d’une véritable campagne de relations publiques dans un pays proche de 100 millions d’habitants avec des logos, des publicités, un label de qualité, un reporting constant. Au fil des mois IUU va devenir une cause nationale.
  • Deuxième axe d’intervention, les professionnels de la pêche vietnamienne vont se structurer et s’organiser en créant deux associations VINAFISH pour les entreprises de pêche et VASEP pour les transformateurs et exportateurs. Ces organisations très représentatives vont élever le dossier au rang de priorité n°1, dégager des ressources budgétaires suffisantes, publier un Livre blanc sur « Combatting IUU fishing in Vietnam » (Combattre la pêche illicite au Vietnam), travailler en étroit partenariat avec les ministères concernés — pêche, environnement, douanes,…
  • Troisième axe : l’élaboration puis l’adoption d’une loi qui est déjà entrée en vigueur le 1er janvier 2019. Cette loi comporte 9 chapitres articulés autour de deux piliers : la lutte contre la pêche illégale et la création de 16 zones maritimes protégées tout au long du littoral vietnamien. Pour le premier pilier, la tâche est immense : réduction de la flotte de pêche de 30% — actuellement 110.000 bateaux,— installations de GPS, la localisation par satellites sur les 3.000 unités les plus grosses et d’un « VPX » transpondeur — un système radio plus élémentaire — sur 12.000 bateaux de taille moyenne. Le tout avec des sanctions financières et une surveillance accrue de la ressource, notamment pour le thon.

 

Vietnam : Port de Pêche de Quy-Nhon, province de Binh-Dinh — Photo © Vo Rin
Vietnam : Port de Pêche de Quy-Nhon, province de Binh-Dinh — Photo © Vo Rin

Un système gagnant-gagnant

Le Vietnam tirant de la pêche et de l’aquaculture près de 17% de son PIB, la question est essentielle. Avec une base d’exportation annuelle de 1 milliard € vers l’UE, le seul carton jaune a réduit ce chiffre d’environ 30%. Un carton rouge interdirait toute exportation et dégraderait aussi l’image du pays pour les exportations aquacoles qui sont encore plus importantes en valeur. Certes le plan « Combattre la pêche illicite » a un coût, mais c’est comme « semer les graines » (le jargon « seed money » en anglais). Il s’agit de l’investissement qui va rapidement profiter au pays avec de meilleurs volumes de production, une qualité améliorée, une ressource renouvelée, des zone maritimes protégées et un tourisme local mieux accueilli.

Mais l’intérêt du concept « carton jaune » tient aussi à la logique de partenariat qui s’est construite entre le Vietnam, ses pêcheurs et ses industries maritimes et la DG MARE. Contrairement à ce que l’on observe souvent, la DG MARE intervient ici en profondeur, avec des échanges constants, comme une sorte de tuteur, en tout cas comme un facilitateur de succès.

L’exemple mérite d’être promu. Tel est le cas de cet article. Si l’on peut donner un conseil au Vietnam, ce serait de planifier avec rigueur les actions proposées sur un échéancier pluriannuel et de faire procéder chaque année à un audit de conformité indépendant. Une forte implication des ONG et notamment de WWF si active dans le secteur de la pêche est également recommandé tant à Hanoï qu’à Bruxelles.

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A propos de l’auteur :

Daniel Guéguen est Président de PACT European Affairs et Professeur au Collège d’Europe. Il est auteur de nombreux ouvrages sur l’Union européenne.

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