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Vietnam. Bateau de pêche. Mer de Chine méridionale.

Viet-Nam : La pêche illégale. Comment la combattre ? Par Tony Long

#Point de vue. Une délégation de la Commission européenne va effectuer une visite au Vietnam, d’ici à la fin de 2019, pour décider si sa politique de la pêche satisfait aux critères de légalité et si la menace d’une interdiction totale de l’entrée de ses produits de la mer sur le marché de l’Union européenne peut être éliminée. Le pays n’est que le dernier entré dans la liste des 25 pays pratiquant la pêche à ressentir le poids du système d’alerte par carton jaune et rouge mis en place par l’Union européenne en 2010 pour lutter contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN).

Introduit sous les auspices de la direction des affaires maritimes et de la pêche — DG MARE — de la Commission européenne, l’illégalité est définie dans les règlements comme toute : pêche sans autorisation, sous-déclaration des captures, des poissons sous-taille, pêche dans des zones fermées, utilisation d’engins de pêche interdits, transbordement illégal de poissons, plus la disposition fourre-tout de « violer toute autre loi ».

Dans le cas du Vietnam, la décision de la Commission d’octobre 2017 d’émettre un carton jaune a cité de nombreuses infractions, y compris le fait de ne pas empêcher les fameux « bateaux bleus » en bois de s’aventurer dans les eaux du Pacifique pour récolter illégalement des espèces rares. Toute l’attention est accordée à l’avenir du carton jaune du Vietnam qui serait, soit annulé comme ce fut le cas récemment de la Thaïlande soit deviendrait rouge, semblable à la situation du voisin Cambodge.

Sortir du problème de la pêche illégale est suffisamment difficile dans n’importe quel pays. Car, cela exige d’énormes efforts de sensibilisation de la part des responsables, des pêcheurs et des transformateurs, un processus qui prendrait normalement des années avant de voir des résultats. Le cas du Vietnam est même plus compliqué à cause de la taille de la flotte de pêche elle-même avec environ 110000 navires, la petite taille et la nature des entreprises familiales d’une grande partie de la pêche ainsi que 28 autorités provinciales se partagent 3.200 kilomètres de côtes pour la mise en œuvre de nouvelles mesures d’enregistrement des captures et de licences ainsi que de systèmes de suivi des navires.

Mais aucun de ces défis ne constitue un motif d’inaction. Comme à peu près tout le monde l’admet, la délivrance d’un carton rouge serait tout simplement désastreuse. Selon les données de 2014, le secteur de la pêche représente 7% du PIB du Vietnam et emploie 4,5 millions de personnes. Les exportations des produits de la mer du pays, y compris les produits du secteur aquaculture comme les crevettes et le pangasius, se sont élevées à 3,4 milliards d’euros au premier semestre de 2018, en hausse de 12,3% d’année en année, selon l’Association vietnamienne des exportateurs et des transformateurs de fruits de mer (VASEP).

À l’heure actuelle, l’UE se situe au quatrième rang des principaux marchés d’exportation des produits de la mer du Vietnam derrière les États-Unis, le Japon et la Chine. C’est la plus importante en ce qui concerne l’exportation de crevettes, représentant 18,2% des exportations totales de crevettes vietnamiennes en 2016. Il y a beaucoup de choses à faire pour y arriver.

La DG MARE et la Commission européenne ont envoyé deux équipes d’inspection en mai 2018, l’une technique et l’autre politique de haut niveau. L’UE se prépare à envoyer un autre au Vietnam avant la fin de l’année 2019. Qu’est-ce qu’il est susceptible d’y trouver ? On pourrait tirer quelques idées lors d’une visite des membres du Parlement européen qui se sont rendus dans le pays en octobre 2018.

Dans son rapport, la délégation a apprécié les efforts déployés par le gouvernement pour introduire une nouvelle loi sur la pêche qui entre en vigueur en janvier 2019 (c’est déjà le cas, ndlr), accompagnée de nombreux règlements d’application. Mais les députés ont également exprimé leur préoccupation devant le fait que les systèmes de suivi, de contrôle et de surveillance, ainsi que la traçabilité des produits de la pêche, sont encore extrêmement faibles et fragmentés. En d’autres termes, de bons progrès, mais il faudrait faire plus d’efforts pour répondre aux exigences européennes.

Certains problèmes structurels profondément enracinés doivent être résolus. Le principal d’entre eux est le simple fait que le Vietnam a trop de bateaux chassant trop peu de poissons. Le déclassement des navires pour réduire la taille de la flotte est clairement essentiel, mais cela signifie que d’autres sources d’emploi doivent être proposées pour les communautés côtières si l’on veut éviter de graves difficultés économiques et sociales.

Mais d’autres facteurs qui rendaient la situation plus compliquée pourraient s’enraciner hors du secteur. La Mer de Chine méridionale est l’une des régions les plus instables sur le plan politique et les revendications territoriales concurrentes sont débattues avec acharnement. L’une des conséquences est la construction d’aérodromes militaires sur des atolls coralliens éloignés. Les habitats coralliens essentiels à la reproduction des poissons sont gravement touchés par cette activité de construction, qui s’ajoute à tous les impacts négatifs du réchauffement de la planète et du blanchissement corallien sur les systèmes coralliens.

La situation géopolitique instable dans la région n’est pas améliorée par les guerres commerciales latentes, déclenchées au début de 2018 entre la Chine et les États-Unis. Bien qu’il soit trop tôt pour en évaluer tous les effets, il semble probablement que le Vietnam et d’autres pays asiatiques du secteur des produits de la mer chercheraient à augmenter leurs ventes dans le marché chinois afin de compenser le déficit d’exportation des produits de la mer en provenance des États-Unis. Cela pourrait nuire aux exportations de l’UE. L’entrée en vigueur de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Vietnam (EVFTA)  — dont la première partie a été signée le 30 juin 2019 — accentue encore l’incertitude quant à la volatilité des structures commerciales actuelles.

Le système des cartons de la DG MARE a sans aucun doute des effets positifs sur l’extension de l’état de droit international, en particulier dans le domaine notoirement complexe de la gestion des océans. Toutefois, alors que le Vietnam doit faire face à de multiples complexités pour s’aligner aux nouvelles exigences de la chaîne logistique mondiale, la Commission européenne a également la responsabilité de relever le défi de la cohérence des politiques dans ses propres activités.

La DG MARE comprend, naturellement et correctement, le problème principalement sous l’angle des pêcheries. Mais il se pourrait bien que les solutions doivent être trouvées sur une toile plus large. Au moins, les directions générales responsables du commerce et du développement, ainsi que le Service européen pour l’action extérieure (SEAE), devront examiner de très près la prochaine mission de la DG MARE et être prêtes à apporter leur soutien et leur expertise à aider le Vietnam à progresser vers une réforme de la gouvernance des pêches.

Par Tony Long

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Tony Long est directeur exécutif de l’ONG Global Fishing Watch qui milite pour une pêche durable et lutte contre toutes formes de pêches illégale dans le monde.

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