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Région du Mékong. Fleuve. Photo (c) DR

Japon : Les investissements japonais dans la région du Mékong et le facteur chinois

En tant que pays le plus avancé de la région d’Asie orientale, le Japon a longtemps été le premier fournisseur d’aide au développement mais également le principal investisseur direct auprès des pays voisins, et notamment de l’ASEAN. À compter de la fin des années 1980, la Chine est également devenue une destination de choix pour les investissements japonais, puis elle a progressivement émergé comme un investisseur direct à part entière et, partant, comme un concurrent potentiel du Japon dans ce domaine (de même que dans celui de l’aide au développement) dans une région qui avait été jusque-là son pré carré.

En parallèle, diverses évolutions intervenues au sein de l’ASEAN (mise en place de la Communauté économique ASEAN –CEA – en 2015) ainsi que la montée en puissance économique des nouveaux venus que sont le Cambodge, le Laos, le Myanmar et le Vietnam (généralement désignés comme les CLMV) offrent de nouvelles possibilités de coopération à leurs partenaires plus économiquement avancés.

La vague d’investissement direct japonais touche désormais également les CLMV, qui recueillent près de 20 % des investissements japonais à destination de la région. L’intérêt que les investisseurs japonais portent à ces pays tient à de multiples raisons, telles que la concurrence avec la Chine et la Corée, mais aussi la faiblesse du marché japonais, la hausse des coûts de la main-d’œuvre en Thaïlande (voire en Chine), ou encore la libéralisation économique dans des pays comme le Myanmar.

Si les investisseurs japonais demeurent dominants au sein de l’ASEAN6, leur importance relative est bien moindre auprès des CLMV, où la Chine fait la course en tête, à l’exception du Vietnam. Néanmoins l’influence du Japon semble être à la hausse au Myanmar.

La région du Mékong est incontestablement devenue un champ de bataille où les deux géants économiques de la région s’affrontent pour accroître ou maintenir leur influence économique dans la région. Toutefois, chacun d’entre eux est parvenu à créer ou préserver sa propre sphère d’influence, réduisant ainsi le risque d’une confrontation directe. De même dans chacun des pays concernés, le Japon et la Chine ont tendance à intervenir dans des domaines d’activité ou dans des secteurs distincts, et au moyen d’instruments différents. Les investissements japonais dans les CLMV présentent des caractéristiques particulières qui les distinguent des investissements chinois.

Une première caractéristique des investissements japonais dans les CLMV est leur concentration dans des Zones économiques spéciales (ZES). Au Cambodge et au Myanmar en particulier les investisseurs japonais ont largement contribué à la mise en place de ces zones. Des sociétés japonaises privées (telles que Sumitomo, Sojitz, Mitsui et Itochu) jouent ainsi le rôle de promoteurs. Leur objectif est d’attirer des entreprises manufacturières (japonaises ou autres) dans les pays en question, mais dans les zones mises en place par un promoteur japonais, la grande majorité des locataires sont japonais.

Deuxièmement, au-delà d’une main-d’œuvre bon marché, certaines entreprises japonaises cherchent à exploiter la proximité avec la Thaïlande et suivent, au Laos et au Cambodge par exemple, une stratégie dite « Thaïlande + 1 », ce qui consiste à transférer les activités les plus intensives en main-d’œuvre dans les pays où celle-ci est moins chère qu’en Thaïlande. En tant que base historique de la production des entreprises japonaises dans la région, la Thaïlande se trouve désormais au cœur de réseaux de production régionaux obéissant à une logique d’intégration verticale.

Troisièmement, Le Cambodge, le Laos, le Myanmar et le Vietnam ne sont pas exclusivement perçus par les investisseurs japonais comme des réservoirs de main-d’œuvre bon marché mais également comme des marchés potentiels du fait de la hausse de leur PIB par tête. Dans certains secteurs, les sociétés japonaises sont confrontées à un marché local de plus en plus restreint et à une croissance de plus en plus faible des marchés des économies industrialisées, c’est pourquoi la poursuite de leur croissance doit passer par le recours à des marchés plus prometteurs.

Le développement des infrastructures est sans doute le secteur dans lequel la concurrence entre le Japon et la Chine est la plus directe dans la région du Mékong. Dans ce domaine les entreprises et les agences publiques japonaises ont longtemps fait la course en tête. Généralement, l’aide au développement japonaise met l’accent sur le développement des infrastructures et la région du Mékong ne déroge pas à la règle. Ainsi l’agence japonaise d’aide au développement JICA octroie des prêts pour la mise en place de ZES, mais elle fournit également des financements (prêts et dons) pour la construction de routes et de ponts afin d’améliorer la connectivité régionale.

Le développement d’infrastructures sur base de fonds publics permet à l’évidence d’améliorer les conditions dans lesquelles les entreprises japonaises peuvent opérer dans la région. Il ne fait ainsi aucun doute que l’expansion des réseaux régionaux de production s’appuyant sur une division régionale du travail n’aurait pas été possible en l’absence d’infrastructures soutenues financièrement par l’aide au développement japonaise. La stratégie japonaise cherche traditionnellement à encourager les synergies entre aide au développement et investissements directs, or il se trouve que ce double objectif est également en parfaite cohérence avec la priorité accordée par les CLMV au développement économique.

Cherchant à améliorer la connectivité entre ses provinces du Sud et la région du Mékong, la Chine s’est récemment lancée dans un vaste effort d’investissement dans les infrastructures, qui a pris une tout autre ampleur au cours des dernières années dans le cadre de l’Initiative des nouvelles routes de la soie (Belt and Road Initiative – BRI). De ce fait la région du Mékong est devenue un lieu d’affrontement entre les deux puissances régionales.

La concurrence est particulièrement vive dans le domaine du financement. Le Japon a répliqué à l’initiative chinoise de création de la Banque asiatique d’investissements dans les infrastructures (BAII) en lançant sa propre initiative de Partenariat pour des infrastructures de qualité (« Partnership for Quality Infrastructure »), dont l’objectif est de fournir des financements respectant les standards habituels imposés par les banques multilatérales.

Au-delà de l’économie, la concurrence entre les deux pays porte sur l’influence politique, et leurs efforts d’aide au développement et de promotion des infrastructures cachent bien souvent des objectifs stratégiques. Si l’intérêt du gouvernement japonais pour l’aide au développement des infrastructures dans la région n’est pas une nouveauté, son approche a néanmoins changé au cours de dernières années sous la pression de la Chine, pour devenir en quelque sorte plus « stratégique ». En d’autres termes l’aide au développement japonaise dans la région s’est incontestablement « politisée ». Tel est peut-être là le principal impact du facteur chinois sur la posture japonaise dans la région du Mékong.

Par Françoise NICOLAS

Chercheuse et directrice de Centre Asie d’IFRI (Institut français des relations internationales, Paris, France)

** L’étude complète « Les investissements japonais dans la région du Mékong et le facteur chinois » de Françoise Nicolas en anglais et en PDF est ICI.

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Source : L’article reproduit vient du site de l’IFRI.

 

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