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Chine Garde-côte — Crédit @ APL Chine

Mer de Chine : Cinq ans après La Haye

Ce 12 juillet, il y a cinq ans, la Cour permanente d’arbitrage de La Haye (CPA) a rendu une décision faisant date, et dans le même temps, a internationalisé de facto la dispute maritime en Mer de Chine méridionale. Une immense « Méditerranée » d’Asie-Pacifique qui joue un rôle crucial dans le commerce et l’équilibre géostratégique mondial. Notre rédaction publie aujourd’hui le point de vue du Dr. Ngô Tự Lập, directeur de l’Institut francophone international (Viêt-Nam).

Point de vue | Dans sa déclaration publiée le 24 avril 2021, l’Union européenne a accusé la Chine de mettre en danger la paix en Mer de Chine méridionale — appelée Mer Orientale par le Viêt Nam, — exprimant son engagement à sécuriser des routes maritimes libres et ouvertes dans la région conformément au droit international.

« L’UE rappelle à cet égard le verdict arbitral donné en vertu de la CNUDM (Convention des Nations unies sur le droit de la mer) le 12 juillet 2016 », indique le communiqué, faisant référence à l’affaire « Philippines contre Chine », dans laquelle la décision du tribunal ad hoc affilié à la Cour permanente d’arbitrage de La Haye (CPA) a rejeté presque toutes les revendications de la Chine. Ce n’est qu’un des nombreux exemples récents montrant l’implication croissante des Grandes Puissances dans la région.

La Mer Orientale est une zone maritime extrêmement importante, assurant environ 40% du transport maritime mondial, et riche en ressources naturelles, en particulier en pétrole et en gaz. En raison de sa valeur géopolitique stratégique, la Mer Orientale est devenue une arène clé de la croissante rivalité américano-chinoise.

La dispute sur la Mer Orientale implique la Chine et quatre pays de l’ASEAN — le Viêt Nam, les Philippines, la Malaisie, le Brunei et le Taïwan. Parce que les principes de la CNUDM vont à l’encontre de la position de la Chine, elle s’appuie uniquement sur les voyages d’un certain amiral Zheng He au XVe siècle pour insister sur ses « droits historiques ». Dessinant ce qu’on appelle la « ligne en neuf traits », la Chine revendique la quasi-totalité de la zone, ce qui est contesté par pratiquement tous les pays et rejeté par ladite Cour permanente d’arbitrage de La Haye en 2016.

Il faut rappeler qu’en 1974, la Chine a utilisé la force pour occuper la plupart des récifs et des îles Paracels alors sous le contrôle de la République du Viêt Nam (Sud), et en 1988 elle a occupé, aussi par la force, certains récifs de l’archipel des Spratleys, cette fois aux dépens du Viêt Nam réunifié, sur lesquels la Chine a construit des îles artificielles, toutes militarisées.

Pour consolider ses revendications, la Chine a appliqué de multiples actions, allant des publications dans les médias et les revues académiques et de l’impression de la carte de la Chine avec la ligne en neuf traits sur ses passeports, à l’organisation d’exercices militaires, empêchant les pays voisins de faire des affaires dans leur zone économique exclusive, et jusqu’à la tactique de la « zone grise » pour renforcer sa présence dans la région.

La Chine insiste sur sa position selon laquelle le différend doit être résolu de manière bilatérale, refusant son internationalisation. Cette position n’est rien d’autre que la stratégie « diviser pour régner », compte tenu du déséquilibre de puissance entre la Chine et les autres pays de la région. Cependant, l’agressivité croissante de la Chine a poussé les Grandes Puissances à s’impliquer de plus en plus dans la dispute, ce qui signifie son internationalisation de facto.

Le 1er juin 2020, le représentant des États-Unis auprès des Nations Unies, l’ambassadeur Kelly Craft, a envoyé une lettre au secrétaire général de l’ONU concernant une note verbale de la Chine n° CML/14/2019, déclarant clairement : « Comme la note de la Chine affirme des revendications maritimes excessives qui sont incompatibles avec le droit international de la mer tel qu’il est reflété dans la Convention de 1982 sur le Droit de la Mer [ci-après « la Convention »], et comme ces revendications prétendent interférer illégalement avec les droits et libertés dont jouissent les États-Unis et tous les autres États, les États-Unis considèrent qu’il est essentiel de réitérer formellement leur protestation contre ces affirmations illégales et de décrire le droit international de la mer pertinent tel qu’il est reflété dans la Convention ».

Et le 13 juillet 2020, le secrétaire d’État américain Mike Pompeo — de l’administration Donald Trump — a réaffirmé la même protestation, déclarant que « les revendications de Pékin sur les ressources offshore dans la majeure partie de la Mer de Chine méridionale sont totalement illégales ».

La protestation des États-Unis a été suivie d’actions similaires d’autres puissances. Le 16 juillet 2020, le porte-parole du ministère indien des Affaires étrangères, Anurag Srivastava, à qui l’on a demandé comment l’Inde considérait la remarque de M. Pompeo, a déclaré que la Mer de Chine méridionale faisait « partie des biens communs mondiaux et que l’Inde a un intérêt constant pour la paix et la stabilité dans la région ». Et dans le journal The Times of India : « Nous défendons fermement la liberté de navigation et de survol et le commerce licite sans entrave dans ces voies navigables internationales, conformément au droit international, notamment la CNUDM ».

Un peu plus tard, le 23 juillet 2020, la Mission permanente de l’Australie auprès des Nations Unies a présenté un document au secrétaire général des Nations Unies pour rejeter les revendications de la Chine.

« Dans le verdict arbitral sur la Mer de Chine méridionale de 2016, le Tribunal a conclu que ces revendications étaient incompatibles avec la CNUDM et, du fait de cette incohérence, invalides », indique le document, « Il n’y a aucune base légale permettant à la Chine de tracer des lignes de base droites reliant les points les plus éloignés des caractéristiques maritimes ou des groupes d’îles dans la mer de Chine méridionale, y compris autour des archipels des Quatre Sha ou continentaux ou périphériques. L’Australie rejette toute revendication sur les eaux intérieures, la mer territoriale, la zone économique exclusive et le plateau continental sur la base de ces lignes de base droites ». Le document souligne également que « le gouvernement australien conteste également l’affirmation de la Chine selon laquelle elle n’est pas liée par le verdict arbitral ».

Deux mois plus tard, le 16 septembre 2020, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont soumis à l’ONU une note verbale commune pour réfuter les allégations de la Chine. « La France, l’Allemagne et le Royaume-Uni soulignent également que les revendications [de la Chine] concernant l’exercice des « droits historiques » sur les eaux de la Mer de Chine méridionale ne sont pas conformes au droit international et aux dispositions de la CNUDM et rappellent que le verdict arbitral dans l’affaire « les Philippines contre la Chine » datant du 12 juillet 2016 confirme clairement ce point », lit-on dans le document.

Le Japon est la grande puissance la plus récente à être impliquée. Le 19 janvier 2021, Tokyo a envoyé à l’ONU une note diplomatique, rejetant les vastes revendications territoriales de la Chine et dénonçant les efforts de la Chine pour limiter la liberté de survol et de navigation dans ces eaux stratégiquement importantes.

Avec l’implication du Japon, la Russie reste la seule grande puissance qui s’abstient de s’opposer directement aux revendications de la Chine tout en appelant à résoudre les différends sur la base du droit international. La position de la Russie est compréhensible compte tenu de sa situation difficile au milieu des sanctions américaines et européennes.

Par Ngô Tự Lập

À propos de l’auteur : Dr. Ngô Tự Lập, auteur d’une trentaine d’ouvrages — poésie, prose, essais, — membre de l’Union des écrivains vietnamiens. Il a obtenu un diplôme universitaire en Russie, un DEA de lettres modernes à l’École Normale Supérieure de Fontenay / Saint-Cloud, et un doctorat à Illinois State University. Il a reçu plusieurs prix littéraires. En 2014, son recueil de poèmes « Black Stars » a été nominé pour le PEN Poetry in Translation Award. Ses œuvres ont été traduites et publiées dans plusieurs pays. Ngô Tự Lập est aussi traducteur du russe, du français et de l’anglais. Il est actuellement directeur de l’Institut Francophone International, Hanoi, Viêt Nam.

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L’image de la Une : © Ministère chinois de la Défense / APL


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