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Illustration Relation France Chine — Image ©DR

Trois questions à Emmanuel Lincot sur la coopération culturelle « France Chine »

Relation France – Chine, entre culture et économie. La récente rencontre — le 25 juin 2018 à Pékin — entre le Premier ministre français Edouard Philippe et le Président chinois Xi Jinping a été l’occasion de s’interroger sur les relations franco-chinoises, et plus particulièrement sur les échanges culturels entre les deux pays. Nous avons donc posé trois questions par écrit, sur les enjeux de la coopération culturelle franco-chinoise, à Emmanuel Lincot, professeur des universités et sinologue, directeur de la revue Asia Focus à l’IRIS, spécialiste de l’histoire politique et culturelle de la Chine contemporaine.

 

Depuis ces dernières années, Paris et Pékin s’efforcent de développer leur coopération culturelle. Si la culture stimule certainement l’économie, en quoi affecte-t-elle concrètement la politique des deux pays ? Selon vous, quels sont les intérêts des deux parties de renforcer les partenariats culturels ?

L’enjeu essentiel se situe dans le partage ou pas des mégadonnées (big data) bref, des données numériques. De nombreux champs sont concernés y compris bien sûr la consommation culturelle. Le moins que l’on puisse dire, c’est que nous n’en prenons pas le chemin sauf si les Chinois acceptent dans le cadre du projet BRI (Belt Road Initiative) des normes autres que les leurs, ce que le Président Emmanuel Macron a posé comme exigence lors de son discours de Xi’an, le 8 janvier dernier. Ce qui signifie concrètement une plus grande ouverture de la Chine, de son marché, aux industries culturelles françaises par exemple. Il nous faut développer également une plus grande attractivité de nos régions au tourisme chinois par ailleurs. Bref, le chantier est potentiellement important.

Si la culture française connaît un succès certain en Chine, qu’en est-il de la culture chinoise en France ? Quel est l’influence chinoise sur la culture française aujourd’hui ? Que pensez-vous des Instituts Confucius, l’un des outils d’influence chinoise ? Doit-on les craindre ?

Succès relatif car les jeunes générations restent avant tout fascinées par le modèle et la culture des États-Unis. De ce point de vue, 1989 / 1991— le désenchantement de Tiananmen quant à une possible démocratisation de la société chinoise avec en toile de fond le bicentenaire de la révolution française conjugué à l’idéal des Lumières d’une part, la chute de l’URSS et le désaveu du marxisme de l’autre — sont des moments de rupture entre les anciennes et les nouvelles générations dans leur appréciation respective de la France ou de l’Europe en général.

Des poncifs toutefois traversent les époques : la France est un pays « romantique », elle est — même si c’est un mythe et non la réalité — le premier pays, sous De Gaulle, à avoir reconnu la Chine de Mao… Inversement, la perception de la Chine en France est plutôt négative. Pays au régime dictatorial et que l’on soupçonne d’hégémonisme, il ne séduit pas. L’influence de sa culture, au contraire de celle du Japon ou de la Corée, auprès des jeunes français, reste marginale.

L’établissement de relais dans les deux pays est très important comme les Alliances françaises ou les Instituts Confucius. Tant que leurs activités vont dans le sens d’une promotion culturelle et linguistique, il faut s’en réjouir.

La semaine dernière, le Parti communiste chinois a censuré une exposition sur les évènements de Mai 68, préparée par l’Ambassade de France dans le cadre du Festival Croisement à Pékin. Cela illustre les divergences entre les deux Etats en matière de liberté d’expression, et plus généralement en matière droits humains. Pensez-vous alors qu’une coopération culturelle avec la France, « pays des droits de l’homme », est compatible avec le « rêve chinois » de Xi Jinping ?

Mai 68 n’est en rien fédérateur. Non plus qu’en France d’ailleurs. L’Etat-parti communiste chinois ne veut pas faciliter le retour à une mémoire douloureuse, celle de la Révolution culturelle. On le comprend d’autant mieux qu’il en est le premier responsable. Votre exemple est en revanche parfaitement révélateur de l’incapacité diplomatique et culturelle française à se renouveler et à s’adapter aux situations. Une telle exposition serait éventuellement pertinente à Taïwan — démocratie oblige — mais pas en Chine ! Cette coopération culturelle entre les deux pays est par ailleurs possible pourvu que les uns et les autres aient une intelligence des situations. Cela se travaille, se cultive.

Par Nguyen Thuy Khang (Rédactrice stagiaire, étudiante en Master Relation internationale à l’INALCO, Paris)

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Emmanuel Lincot est Professeur à l’Institut Catholique de Paris – UR « Religion, culture et société » (EA 7403) et sinologue, spécialiste des questions de politique intérieure et extérieure de la Chine  et des questions culturelles en Asie. Il co-dirige avec Barthélémy Courmont la collection « Asia Focus » développé dans le cadre du Programme Asie-Pacifique de l’IRIS.

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