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La publicité du constructeur automobile Pyonghwa Motors à Pyongyang, Corée du Nord — Crédit ©DR

La voiture en Corée du Nord : le lent démarrage d’un marché… mystérieux

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C’est une image d’Epinal que battent en brèche les observateurs, y compris les simples touristes. Il y a bien des voitures qui circulent, parfois en nombre, dans les artères de Pyongyang, la capitale de la Corée du Nord. Et si la capitale nord-coréenne semble avoir de la marge avant de devoir connaître la congestion de ses grands axes, l’image des agents de police, généralement des femmes, organisant par un ballet austère une circulation imaginaire est révolue.

Entre la croissance économique vers laquelle Kim Jong-un semble vouloir diriger son pays et le réchauffement — à confirmer tout de même — sur la scène internationale, la Corée du Nord peut-elle devenir un marché secondaire, mais bien réel pour le secteur de l’automobile ?

S’intéresser au secteur de l’automobile dans une économie qui reste largement à la marge des flux économiques mondiaux, c’est déjà se pencher sur une entreprise atypique : Pyeonghwa Motors, la seule société de fabrication et de distribution de voiture de tourisme à destination du grand public. Même si une nouvelle marque nommée « Naenara » a été annoncée début 2018 mais reste bien mystérieuse.

Réalité impénétrable

Une entreprise dont l’origine même est surprenante : créée il y a une vingtaine d’années, Pyeonghwa Motors est une joint venture entre l’Etat nord-coréen et le groupe Tongil, une structure sud-coréenne fondée par l’Eglise de l’Unification — la « secte Moon » — qui n’a d’ailleurs jamais caché son anticommunisme, ce qui n’empêche visiblement pas de faire des affaires au-delà du 38è parallèle. Le logo même du constructeur est un symbole de la réunification à laquelle appelle officiellement Pyongyang : deux pigeons volant de concert sur un fond bleu. Des lignes de production de l’entreprise basée à Nampo, la grande ville portuaire du nord-ouest faisant face à la Chine, sortent les modèles locaux — moins d’une dizaine en tout — répondant aux noms de Hwiparam, Ppoggugi, Junma ou Samcheonri. Combien en sortent exactement ? C’est la grande question qui reste sans réponse.

 

Pyeonghwa_Motors
Pyeonghwa Motors

 Le niveau des sanctions économiques imposées à la Corée du Nord — dont l’assouplissement est une possibilité si le processus de réchauffement diplomatique se poursuit— affecte les fournisseurs chinois qui représentent 90% des pièces des voitures de Pyeonghwa Motors. Les estimations les plus optimistes, en provenance de fournisseurs chinois, avancent le chiffre de 10.000 véhicules par an, ce qui semble correspondre à la capacité théorique des lignes de production de Nampo. Selon une information de l’agence de presse sud-coréenne Yonhap, ce chiffre pour 2011 ne serait que de 1.450 voitures, un chiffre qui ne comptabilise pas les camions ou les bus — produits par d’autres entreprises comme Sungri ou Chongjin, — un segment de marché sur lequel aucun chiffre fiable n’est disponible.

De quoi tempérer donc l’image d’une Corée du Nord représentant un marché vraiment émergent même si la situation n’est plus aussi catastrophique qu’au début des années 2000. Et même en cas d’ouverture, la République populaire démocratique de Corée aura peu de chances de se développer en tant que zone de production du marché mondial, faute de s’être ouvert au moment opportun. Le pays, dont les coûts de production restent faibles — les ouvriers nord-coréens qui travaillaient dans la zone de Kaesong avant le départ des Sud-coréens touchaient un salaire minimum de 70 dollars — manque de visibilité quant à la performance réelle de son industrie automobile.

« Le Nord peut dans l’absolu être un lieu de fabrication compétitif sur les prix mais le flou règne sur les compétences, l’expérience et le niveau d’éducation » explique à AsiePacifiqueNews, Stephen Nagy professeur à l’International Christian University de Tokyo, qui rappelle en comparaison que « la Chine (frontalière avec la Corée du Nord, NDLR) a les avantages d’un nombre élevé de travailleurs, d’une logistique bien établie, et d’un tissu industriel qui lui donne un sérieux avantage comparatif. »

Une faiblesse structurelle qui pourrait sans doute se résorber si des agents économiques envisageaient d’investir dans l’économie nord-coréenne en cas d’ouverture des possibilités légales de développer des business dans le pays. Une condition sine qua non pour le domaine automobile mais qui ne sera pas suffisante. Pyongyang devra aussi assurer la sécurité juridique des lourds investissements, et l’Etat nord-coréen a un passif plutôt handicapant en la matière.

Attentisme des investisseurs

Officiellement, chez les grands constructeurs occidentaux, aucun projet n’est à l’étude pour investir dans le pays. Une frilosité guère étonnante pour Jean-Yves Colin, économiste au centre de recherches Asia Centre : « Il est difficile de comprendre le marché nord-coréen quand vous en êtes aussi éloigné comme peuvent l’Allemagne, la France ou l’Italie. Il en résulte une appréhension importante sur le risque, nourrie par des échecs précédents en Indonésie ou en Malaisie  et par des objectifs qui se concentrent surtout sur le marché chinois. »

En outre, si la Corée du Nord peut apparaître comme un marché en développement, elle reste à l’échelle asiatique un nain démographique. Avec 25 millions d’habitants, le marché local semble bien modeste par rapport à la Corée du Sud — 51 millions, et d’autres pays émergents d’Asie comme l’Indonésie, les Philippines, le Vietnam, la Thaïlande voire la Birmanie ou le Pakistan.

Les perspectives nord-coréennes restent enfin plombées par les expériences malheureuses d’autres investisseurs étrangers qui ont fait la douloureuse expérience du manque de sécurité juridique dans la république socialiste… même quand elle n’est pas de son fait.

Le géant égyptien des télécoms Orascom avait tenté l’aventure du réseau mobile local, dont il a possédé jusqu’à 75%, il s’est retiré face aux menaces de sanctions américaines. Le cimentier franco-suisse Lafarge a fait de même dans la foulée. Quant aux investisseurs sud-coréens qui ont développé la zone industrielle frontalière de Kaesong, et qui se sont retirés en 2016 en pleine crise des missiles, ils ont constaté que les autorités nord-coréennes avaient investi les lieux de production, soit une nationalisation de fait. Des émissaires négocient le retour des Sud-Coréens dans un secteur où ils avaient investi plus de 740 millions d’euros selon le ministère de l’Unification. Pas sûr que l’expérience fasse rêver les constructeurs étrangers.

Pour la Corée du Nord, dans un secteur d’activité nécessitant de lourds investissements, tant en unité de production qu’en formation, il faudra plus que le réchauffement actuel pour motiver les leaders mondiaux de l’automobile à investir ce marché.

« Cela va prendre entre cinq et sept ans, peut-être dix, pour instaurer la confiance » nous confirme Jean-Yves Colin qui précise « que ce délai sous-entend de plus qu’il n’y ait pas d’accident de parcours dans le démantèlement des capacités nucléaires nord-coréennes, qui sont pourtant la principale arme diplomatique de Pyongyang ».

L’économie comme bouclier d’un durcissement des relations risque donc d’être un voeu pieux. Mais dans la Corée de Kim Jong-un, au moins à Pyongyang, les voitures sont rentrées dans le champ visuel du quotidien.

Damien Durand

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