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Terres rares en Corée du Nord : trésor caché ou pari risqué ?

La Corée du Nord abrite-t-elle un stock de terres rares non exploité ? Plusieurs estimations semblent indiquer que les réserves au nord du 38e parallèle sont conséquentes. Des acteurs chinois ou sud-coréens sont dans les starting-blocks, même si la manne minière reste hypothétique dans un pays où la sécurité juridique reste un frein aux investisseurs étrangers.

C’est l’un des mystères de l’économie la plus méconnue de la planète — celle de la Corée du Nord — dont les observateurs guettent les perspectives de son hypothétique ouverture. Son ouverture de l’économie et au marché mondial conditionnée en grande partie au résultat du deuxième sommet Trump-Kim prochain à Hanoi, Vietnam, les 27 et 28 février 2019. La Corée du Nord est-elle assise sur un tas d’or, ou plutôt un tas de terres rares dont la valorisation en ferait l’un des pays les plus dotés de la planète sur ce type de ressources ?

Selon les données de la Kores, une société publique sud-coréenne sous tutelle du ministère du Commerce, de l’Industrie et de l’Énergie, la Corée du Nord serait bien dotée en une quarantaine de terres rares dont certaines sont indispensables à la fabrication d’objets manufacturés haut-technologique. Environ 200 sites seraient exploitables dans le pays. La valeur totale de ces trésors endormis avoisinerait les 3.000 trillions de wons, soit environ 2.300 milliards d’euros.

La Corée du Nord n’a pas attendu que les observateurs du Sud ne réalisent les richesses de sa terre pour commencer à l’exploiter. L’industrie minière représente déjà 12% du PIB national et 50% de ses exportations. Mais la manne des terres rares, elles, ne fait pas encore l’objet d’une exploitation intensive.

Toujours selon la Kores, les réserves de terres rares utilisées dans la fabrication d’écrans de télévision, dans les composants résistants à la chaleur ou les réacteurs nucléaires représenteraient 48 millions de tonnes. Un chiffre à rajouter aux 5 milliards de tonnes de fer, aux 6 milliards de tonnes de magnésium ou même aux 54.000 tonnes de molybdène, indispensable pour le marché des semi-conducteurs dans lequel la Corée du Sud est le plus gros investisseur mondial. Selon les déclarations officielles, sur les seules terres rares, la Corée du Nord estime son propre potentiel à 20 millions de tonnes. Mais les estimations encore plus optimistes considèrent de leur côté que le pays serait le deuxième pays le mieux pourvu, la Chine.

Convoitises

Mais à qui peut profiter la manne des terres rares nord-nord-coréennes ? Le pays n’a effectivement pas une industrie suffisamment productive, a fortiori sur des produits finis technologiques, pour répondre aux besoins de son propre marché. Les terres rares nord-coréennes excitent donc les convoitises.

Premier pays intéressé : la Corée du Sud. Comme une étrange ironie de l’histoire, si la frontière installée au 38e parallèle a coupé en deux pour des raisons politiques une péninsule jusque-là homogène, c’est bien du côté nord que se trouve les ressources faisant face à un sud bien dépourvu… et pourtant très demandeur. La Corée du Sud n’a ainsi un taux d’autosuffisance en termes de métaux et de terres rares que de… 1%. Conséquence logique : Séoul a toujours cherché à placer ses pions sur le marché de son voisin du nord. Une main tendue qui n’a pas résisté aux tensions entre les deux pays.

En 2003, des investisseurs sud-coréens décident d’injecter des fonds au nord, mais sept ans plus tard, ils doivent se retirer à la hâte. En mars 2010, le Cheonan, une corvette de 1.200 tonnes est coulée par la torpille d’un sous-marin nord-coréen entraînant la mort de 46 marins. Les investisseurs sud-coréens décident donc d’abandonner les neuf mines de graphite et leurs 5,9 millions d’euros investis pour extraire 1.000 tonnes du minerai.

Le rapprochement entre les deux pays initiés au nord Kim Jong-un et au sud par Moon Jae-in va-t-il permettre de voir les capitaux sud-coréens revenir ? Difficile de le confirmer en l’État, d’autant que les investisseurs du sud semblent hésiter face aux difficultés à estimer sérieusement les réserves de terres rares disponibles. Les investisseurs doivent encore largement se reposer sur les annonces officielles de Pyongyang toujours sujettes à caution.

Un flou que confirme à l’échelle française le Bureau de recherches géologiques et minières : « Il n’y a à notre connaissance que très peu d’informations vérifiées sur les ressources potentielles réelles en terres rares de ce pays. Certains articles avaient évoqué des ressources considérables lors du boom des années 2011-2012 mais il a toujours été très difficile d’avoir accès aux données permettant de confirmer cette déclaration, pas à notre échelle en tout cas, ce qui mérite donc la plus grande prudence » explique à Asie Pacifique News l’organisme public.

Dans l’attente d’un retour du Sud, le mystérieux marché des terres rares nord-coréennes est surtout dans le viseur d’investisseurs étrangers venus de Chine, dont la voracité pour les minerais dépasse largement les propres réserves pourtant colossales de l’Empire du Milieu. Pékin était présent dans les co-entreprises minières dans le pays depuis 1997. Les champions chinois que sont Sino-Mining International, China Minmetals, Liaoning Machinery Group Holding ou Tangshan Iron & Steel Group détenaient une large majorité des droits d’exploitations des mines nord-coréennes. Ces acteurs sont aujourd’hui tous aux abois en cas de levée des sanctions mises en place en 2015 et 2016, par les Nations unies pour rafler le potentiel des terres rares.

Mais, en admettant que les perspectives sur les terres rares s’avèrent exactes et que les sanctions tombent, restera la dernière question, sans doute la principale : la sécurité juridique pour les acteurs étrangers prêts à mettre sur la table les investissements nécessaires à l’extraction minière, une activité nécessitant de financer des actifs coûteux. Les risques pour les aspirants de voir leurs investissements réduits à néant pour des motifs politiques pourraient agir comme d’un repoussoir. Ou du moins temporiser toute précipitation si l’économie nord-coréenne cherche à se normaliser. Quel que soit leur niveau réel, les terres rares pourraient encore passer de longues années enfouies dans le sol nord-coréen.

Par Damien Durand

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