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Japon Kobe Steel : quatre mois après le scandale sur ses procédures de contrôle, l’entreprise maintient le flou

C’est un scandale qui a éclaté à l’échelle mondiale en octobre 2017 avant de tomber rapidement dans l’oubli. Pourtant les suites, toujours en cours, sont sans doute plus éclairantes encore que la révélation elle-même sur le monde des affaires au Japon. Quatre mois après que le géant nippon de la métallurgie Kobe Steel (connu aussi comme « Kobelco » dans l’archipel) ait admis des malversations dans ses procédures de contrôle sur la qualité de ses produits, le flou reste encore total.

Après l’onde de choc mondial, la séance d’excuses et de contrition officielle, les observateurs se sont détournés de l’affaire. Mais sur place, le scandale Kobe Steel continue de manière plus feutrée, mais non moins trouble. L’entreprise avait en effet annoncé qu’une commission mise sur pied allait communiquer la liste précise des 200 clients ayant reçu des produits aux évaluations qualité falsifiées. Une liste qui est ensuite passée à 500. Et qui, quatre mois après le scandale n’est toujours pas connue avec exactitude.

Lors d’une conférence de presse qui s’est tenue le 21 décembre, lors de laquelle les observateurs s’attendaient à ce que soit révélée la fameuse « liste » de Kobe Steel, le vice-président de la compagnie, Naoto Umehara, a fait une annonce particulièrement embarrassante encore. Non seulement, il n’était pas en capacité d’annoncer aux médias quelles étaient les entreprises clientes concernées, mais il s’avérait que les procédures d’inspection pour éclaircir le scandale étaient « inappropriées » dans 70% des 79 sites où l’inspection interne avait été lancée suite au scandale. Autrement dit, Kobe Steel n’a pas les moyens de savoir qui est réellement concerné par les falsifications. Ce sont donc des experts extérieurs qui sont maintenant chargés de cette tâche délicate.

Un premier « choc culturel » avait déjà émergé autour de l’affaire Kobe Steel lorsque le scandale a été médiatisé. Et les managers européens avaient, pour certains, découvert avec effarement une pratique courante dans le capitalisme japonais, celle dite du tokusai (特採). Le terme, difficilement traduisible, est composé de l’idéogramme signifiant « spécial » et signifiant « adopter » ou « prendre une mesure ». Le principe du tokusai ? L’acceptation bienveillante par un client du non-respect des normes que son fournisseur doit normalement suivre, tant que le bien fourni reste fonctionnel et sécurisé. C’est là encore lors d’une conférence de presse en plein coeur du scandale que les non-initiés à cette subtilité du capitalisme japonais sont tombés des nues lorsque Naoto Umehara, encore lui, a essayé d’expliquer comment Kobe Steel en était arrivé à falsifier les résultats de ses contrôles qualité: « Il était possible qu’il y ait une acceptation tacite sur le fait que maquiller les résultats serait une bonne chose ». Sans paraître troublé par un tel aveu.

« Il y a au Japon un problème évident qui concerne à la fois la nature des conseils d’administration, où l’état-major d’une société siège dans un conseil avec peu d’administrateurs indépendants, et qui touche aussi la chaîne de responsabilités où les employés exécutent les ordres de la hiérarchie dans un contexte de lutte pour des parts de marché » explique à Asie Pacifique News Jean-Yves Colin, économiste spécialiste du Japon l’Asia Centre. Qui ajoute que « l’audit au Japon n’est pas toujours très efficace. C’est souvent une simple vérification sur parole de l’application de réglementations. Il n’y a pas de culture de la mise en cause ».

« Acceptation tacite »

Outre le fait que la justification par le tokusai peut sembler ubuesque et choquante en Europe et en Amérique du Nord, elle a de plus été confirmée par certains clients qui ont déjà admis être concernés par la livraison des produits Kobe Steel incriminés. Toyota, Mazda et Honda ont reconnu dès le mois d’octobre qu’ils feraient partie de la liste toujours inconnue à ce jour. Autrement dit, les clients japonais savaient, et ne se sont jamais plaint ouvertement. Toyota a même tenu une conférence de presse pour affirmer devant les médias que tous les produits que Kobe Steel lui avait livré étaient parfaitement conformes aux normes de sécurité que la marque impose à ses modèles. Un position qui, de fait, valide l’acceptation du tokusai et exonère symboliquement le métallurgiste de ses responsabilités. A ce jour, aucune plainte n’a été reçue au Japon et aucune enquête n’a été ouverte, alors que la justice américaine, elle, a lancé sa propre investigation dès janvier contre l’entreprise japonaise.

L’affaire Kobe Steel, si elle pourrait s’éteindre discrètement derrière le rideau feutré du monde des affaires de l’archipel, est aussi un nouveau clou sur le cercueil de la confiance dans les fournisseurs japonais. Porté au pinacle il y a encore vingt ans pour la qualité de leur produit, le capitalisme nippon a généré ces dernières années quelques scandales retentissants. De Olympus en 2011 (avec la découverte d’une autre pratique douteuse, le tobashi) à Mitsubishi Motors en 2016 (dans un cas assez proche du scandale Volkswagen), sans oublier Takata et ses airbags défectueux (et mortels) ayant même amené au dépôt de bilan de l’entreprise, le capitalisme nippon cumule les scandales. Au point de finir par altérer ce qui était l’une de ses plus grandes forces comme l’explique Jean-Yves Colin: « Il y a une époque où le Japon était synonyme de qualité optimale. Quand vous achetiez Sony par exemple, le consommateur se disait que c’était forcément le meilleur choix. Or, la perception de la qualité japonaise n’est plus la même que dans les années 1980. Et même si les produits Japonais restent de qualité dans leur ensemble, l’écart avec la Chine se résorbe. Ou d’autres marques, comme Apple dans le mobile, sont perçus comme plus qualitatives que les japonaises ». De quoi surtout saper les soubresauts d’une économie japonaise, toujours puissante, mais qui hésite entre déclin et reprise.

Damien Durand (@DDurand17)

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