Géopolitique Diplomatie Economie Mer de Chine

Japon Walmart Seiyu - Crédit photo ©Walmart

De Carrefour à Walmart, pourquoi les géants de la grande distribution se cassent les dents au Japon ?

Walmart a annoncé cet été la vente de ses grands magasins japonais exploités sous l’enseigne Seiyu. Le mastodonte américain revit le même échec cuisant et coûteux que le Français Carrefour qui avait jeté l’éponge en 2005. Une incompréhension du consommateur japonais avait été avancée pour expliquer le fiasco. Une explication crédible, mais l’incompréhension n’est pas forcément celle que l’on croit.

Treize ans séparent les deux scènes, elles sont pourtant similaires. En 2005, le Français Carrefour constate son échec cuisant sur le marché japonais et se retire de l’archipel qui lui paraissait une terre pleine de promesses. Cet été, Walmart — mastodonte américain de la grande distribution à bas coûts — annonce la vente de sa chaîne locale Seiyu, faute de rentabilité.

Plus d’une décennie d’écart, deux échecs de champions mondiaux dominant des marchés pourtant très différents aux quatre coins du globe, et à chaque fois des erreurs fatales de la part de ces deux géants sur un marché mature, mais totalement dominé par les acteurs japonais dans un pays où d’autres acteurs étrangers, dans le luxe, la mode ou l’ingénierie, ont réussi de belles performances.

L’échec de Carrefour

Retour en 2000. Carrefour, s’implante au Japon et tente d’exporter son modèle de grande distribution à la française au Pays du Soleil Levant et ouvre en grande pompe son premier point de vente à Makuhari, non loin de Chiba, dans la tentaculaire agglomération de Tokyo. Pas moins de 12.000 mètres carrés, un aménagement coûteux et 60 caisses pour un commerce vendant majoritairement des produits japonais du quotidien, avec cependant une offre conséquente de produits français à disposition des banlieusards munis d’une voiture.

A posteriori de l’échec de Carrefour, les médias ont largement répandu l’idée que l’entreprise n’avait pas compris l’approche de la clientèle japonaise qui n’achète pas en quantité, n’utilise guère sa voiture et préfère les petites supérettes ou les grands magasins hauts de gamme. Mais cette analyse semble bel et bien erronée. Elle correspond surtout à la réalité des années 1980 d’un Japon au sommet de son développement économique qui avait conduit Carrefour — qui envisageait déjà de s’implanter à cette époque — à renoncer au pari de la conquête de l’archipel, rendu risqué en outre par le coût prohibitif du foncier juste avant que n’éclate la bulle immobilière.

Carrefour avait eu du flair à cette époque. Mais depuis, la crise économique est passée par là et la clientèle nippone a bien changé. Elle ne rechigne plus à acheter en grande quantité des produits moins chers. Le Japonais décrit dans l’imaginaire erroné comme aimant les environnements d’achat élégant n’hésite plus à faire une partie de ses courses dans les hyakkin ces magasins où tous les produits coûtent, avant TVA, 100 yens (80 centimes d’euros). Sur le papier, le moment semblait parfait et les décideurs se sont lancés sur un marché où Carrefour avait une vraie carte à jouer.

Japon Supermarché Rayons — Crédit photo © matcha-jp.com
Japon Supermarché Rayons — Crédit photo © matcha-jp.com
La force d’être soi-même

Pour Yves Gasqueres, dirigeant de la société de conseil PMC et expert du secteur de la distribution, le problème de Carrefour est surtout d’avoir oublié son avantage comparatif sur le marché japonais… celui d’être français ! « Carrefour est un supermarché qui se voulait différent. Et, dans leurs rayons, il proposait 30% de produits français et 70% de produits japonais que l’on pouvait retrouver dans le supermarché juste en face dans cette zone périphérique. Conséquence : les produits français ont été dévalisés par la clientèle japonaise mais sur la majorité de l’offre en rayon, Carrefour n’était en réalité pas particulièrement intéressant ni compétitif ».

Une fois les produits français achetés, et eu égard des délais de réapprovisionnement, le magasin Carrefour se retrouvait parfois avec 90% de produits japonais que les consommateurs pouvaient retrouver chez les géants nippons de la grande distribution comme Aeon ou Daiei (à noter que le premier a, depuis, absorbé lé second).

Pour Yves Gasqueres, cette grave bévue stratégique peut être imputée à l’entreprise qui a conseillé Carrefour pour son implantation, le géant Mitsui. « Les dirigeants français ont fait l’erreur de prendre un consultant japonais qui avait d’autres intérêts que les avantages de Carrefour ». Mitsui est en effet conseiller et fournisseur logistique et n’a pas nécessairement su — ou voulu — voir que l’intérêt de Carrefour état de se positionner sur des produits français comme l’a tout simplement fait le luxe ou la mode dont les acteurs hexagonaux fleurissaient au Japon en s’assumant comme « venu d’ailleurs ».

Signe corroborant cette analyse, d’autres enseignes étrangères de la grande distribution alimentaire ou spécialisée ont réussi à percer au Japon depuis l’échec Carrefour.

Le succès de Costco, d’Ikea et de Zara

Costco est sans doute l’exemple le plus flagrant avec un concept et une « expérience d’achat » aux antipodes de ce que le Japon connaissait jusque-là avec ses magasins géants à l’intérieur « froid », vendant de la nourriture par lots géants avec l’obligation de payer une carte de membre. La chaîne américaine gère aujourd’hui vingt-six aux magasins au Japon, la où Carrefour en a eu au maximum huit.

Autres exemples, la chaîne suédoise de meubles Ikea ou celle espagnole de vêtements Zara poursuit leur conquête de l’archipel en dupliquant leur modèle sans chercher à réellement l’adapter à d’hypothétiques « exigences » du client japonais, et en assumant de venir d’ailleurs. « Ces chaînes n’ont pas cherché des partenaires locaux pour développer des magasins sous licence. Ils se sont installés directement. Et les cadres japonais de Zara doivent même suivre un stage de formation en Espagne aux pratiques de la marque » précise Yves Gasqueres.

L’échec du géant Walmart

Une stratégie que n’a pas su suivre le dernier exemple « d’accident industriel » dans le monde de la distribution : Walmart.

Une décennie sépare l’échec américain de l’échec français, mais les causes sont strictement similaires : un partenariat avec l’acteur local Seiyu pour se « japoniser », des supermarchés proposant un mélange mal défini de produits japonais et américains, le tout implanté dans des zones ou des acteurs japonais proposaient peu ou prou la même offre.

Conséquence : seize ans après avoir tenté l’aventure japonaise, la firme américaine jette l’éponge après de multiples restructurations pour tenter de s’imposer face à la concurrence. Et ceux qui estiment que Walmart n’aurait pas non plus su appréhender un élément inhérent à la clientèle japonaise seront démentis par l’ironie du sort : les magasins Seiyu devraient être rachetés par Don Quijote, une chaîne japonaise spécialisée dans les produits bas de gamme vendus dans de grands magasins avec peu de personnel et un arrangement minimaliste.

A trop vouloir s’adapter, ces acteurs ont surtout oublié que les consommateurs Japonais aiment les enseignes étrangères… pour ce qu’elles ont d’étranger.

Damien Durand

Derniers articles dans Actualité

Go to Top