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L'Empereur Naruhito et la Reine Masako. Crédit photo : l'Agence impériale du Japon.

Japon : La famille royale entre censure et dépression

Tutelle financière, censure et dépression : le trône japonais et la main de fer de l’Agence impériale. Au Japon, la famille impériale, qui a connu un « coup de jeune » avec l’arrivée sur le trône de Naruhito, doit composer avec le Kunaichô, l’Agence impériale chargée d’encadrer ses actions et de faire respecter la séparation entre le trône et la politique.

Les images ont fait le tour du monde et ont pu étonner ceux qui sont peu coutumiers de la dynastie japonaise par leur austérité.

Le mardi 30 avril 2019 et le mercredi 1er mai 2019 se sont tenus derrière les murs du Palais impérial de Tokyo deux cérémonies : la première pour confirmer l’abdication de l’empereur Akihito, la deuxième pour acter de la montée sur le trône du nouvel empereur, son fils Naruhito, et le début de la nouvelle ère Reiwa.

Les deux cérémonies se sont tenues dans la même pièce et ont brillé par leur sobriété. Peu de décors, une ambiance emplie de solennité, et une rapidité qui a pu surprendre. La cérémonie d’intronisation de Naruhito a par exemple duré exactement six minutes, sans qu’aucune parole ne soit échangée, tout étant réglé au millimètre près. Une absence de faste qui peut surprendre en Europe.

Au Japon, elle s’explique certes par des éléments culturels — peu d’empereurs dans l’histoire du Japon ont vécu réellement dans l’opulence — mais aussi par une réalité politique, constitutionnelle et même économique : le bridage total de la famille impériale. Et pour incarner ce carcan, une administration : le Kunaichô, traduit le plus souvent dans les médias français par les termes « agence impériale ».

Si l’institution impériale a évité la dissolution — et même le passage du souverain Hirohito devant a justice — après la Seconde Guerre mondiale et la défaite nippone, celle-ci a été cadenassée par la nouvelle Constitution de 1947 et une loi impériale faite sur mesure pour boucler la boucle.

Les huit premiers articles de la Constitution sont d’ailleurs consacrés à l’empereur pour rappeler qu’il n’est que « le symbole de l’Etat et de l’unité du peuple » et qu’il n’a aucun pouvoir de sa seule initiative. La législation impériale a créée peu après le Kunaichô, une structure civile — autrement dit composée d’agents publics — dont la mission est de prendre en charge la famille impériale. Ce qui signifie d’une part de répondre à tous ses besoins logistiques, mais surtout de s’assurer que la famille régnante ne sort pas des clous de la Constitution et de la loi.

Et la première des tutelles, bien qu’elle ne soit pas forcément la plus visible, est d’abord financière. Si certaines familles royales occidentales font partie des ménages les plus aisés de leur pays, — les Windsor du Royaume-Uni peuvent ainsi se prévaloir d’un patrimoine propre supérieur à 400 millions d’euros selon CNN — la lignée des Yamato, elle, n’a guère de fortune en propre. Et pour cause : la quasi-totalité du patrimoine de la lignée japonaise, principalement des terres et des participations dans les zaibatsu, ces conglomérats démantelés après la guerre, a été confisquée après la capitulation de l’archipel, lors de l’occupation américaine, et réaffectée à des ministères. Les quelques rares possessions restantes sont-elles passées sous la tutelle de l’Agence impériale qui gère l’ensemble de ces biens. C’est également l’agence qui gère et autorise la moindre dépense pouvant être effectuée par un membre de la famille impériale, celle-ci étant entièrement prise en charge par l’argent du contribuable.

Parole bridée

Une autre tutelle, plus visible celle-ci, celle d’ordre politique. Le Kunaichô encadre toutes les prises de parole de la famille impériale qui doit respecter l’agenda protocolaire conçu par l’Agence impériale, sans pouvoir en dévier.

Lorsque le 13 juillet 2016 a fuité dans la presse que l’empereur Akihito aurait exprimé sa volonté d’abdiquer, pour cause de problèmes de santé, l’Agence impériale a immédiatement démenti en expliquant, à la hâte, que « les faits rapportés sont sans aucun fondement ». La structure ne pouvait tolérer qu’une décision politique — une abdication — ait pu échapper à son contrôle.

« Ceux qui dirigent le Kunaichô sont sans doute très compétents, mais le problème, c’est qu’ils sont d’anciens hommes politiques qui trouvent là un dernier poste prestigieux avant leur retraite. Et qu’ils continuent à agir avec des réflexes politiques, quitte parfois à manquer de respect à la personnalité de l’empereur » nous souffle une source politique proche de l’extrême droite qui s’émeut du manque de considération de cette tutelle politico-administrative envers le symbole que représente l’empereur.

Cependant, la principale victime de cette tutelle politique n’est pas Akihito ou son fils Naruhito, le nouvel empereur, mais bien celle qui est montée sur le trône du Chrysanthème aux côtés de ce dernier : la nouvelle impératrice Masako. La presse internationale est revenue en détails sur la dépression dont a souffert la jeune femme au début des années 2000, minée par des contraintes protocolaires et par son « incapacité » à avoir un enfant mâle pour faire perdurer la dynastie impériale. Mais derrière le mythe de la « princesse roturière écrasée par les convenances », la réalité est plus subtile.

La jeune femme, diplomate promise à un avenir brillant et qui a grandi en URSS et aux Etats-Unis, a surtout été victime de la Constitution « progressiste » du Japon qui contrôle fermement la moindre expression politique de la famille impériale pour éviter tout retour d’un pouvoir impérial fort. Le tournant s’est déroulé en juillet 1993, soit un mois à peine après le mariage princier, lors du sommet du G7 à Tokyo. Lors du banquet final entre les dirigeants des sept principales puissances mondiales ainsi que la Russie, où le couple impérial est convié, les journalistes du monde entier seront étonnés par cette future impératrice qui parle avec aisance à Bill Clinton et à Boris Eltsine, directement en anglais ou en russe. Pour le Kunaichô, la crainte de voir émerger une « diplomatie impériale », donc une forme d’expression politique, est réelle, et l’agence exercera son travail de sape sur la jeune femme, rentrée dans le rang de force.

A plusieurs reprises, le prince héritier Naruhito a fait part de son agacement envers la tutelle étouffante de cette administration qui ne rend de compte à personne, pas même d’un point de vue légal au Premier ministre, et avait exprimé sa colère en 2004 lors d’une conférence de presse dénonçant les pressions exercées sur son épouse.

Il est encore trop tôt pour savoir si, maintenant sur le trône, il tentera de profiter de sa nouvelle position et de la bonne image actuelle de l’institution impériale auprès de l’opinion. Lors de son discours d’intronisation, il a annoncé qu’il promettait « d’agir conformément à la Constitution et d’assumer (s)a responsabilité en tant que symbole de l’État et de l’unité du peuple japonais, tout en tournant à chaque instant (s)es pensées vers la population en (s)e tenant à ses côtés ».

Une phrase à double sens laissant entendre, dans le respect de la Constitution, qu’il s’abstiendra de toute position politique, tout en souhaitant être proche d’un peuple dont le Kunaichô est parfois accusé de l’éloigner. La tutelle sur la famille impériale va-t-elle se desserrer un peu avec l’arrivée du 126e souverain de la lignée des Yamato ?

Damien Durand, notre envoyé spécial à Tokyo

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La photo de Une a été fournie par l’Agence impériale japonaise.

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